Tribunal des conflits : quelles sont ses attributions ? Comment le saisir ?
Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le :
09/03/2020
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L’organisation et les attributions du Tribunal des conflits ont été profondément remaniés par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 « relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures », complétée par le décret n° 2015-233 du 27 février 2015. Notamment, le Tribunal des conflits a vu sa compétence s’étendre, avec l’article 13 de la loi susvisée insérant un article 16 à la loi du 24 mai 1872, aux actions en indemnisation du préjudice découlant d'une durée totale excessive des procédures afférentes à un même litige et conduites entre les mêmes parties devant les juridictions des deux ordres en raison des règles de compétence applicables et, le cas échéant, devant lui.
En effet, le rapport établi en 2013 par le groupe de travail présidé par Jean-Louis GALLET en vue de la réforme du Tribunal des Conflits, avait relevé que les justiciables ayant subi un préjudice du fait de la durée excessive des procédures engagées devant les deux ordres de juridictions, peinaient à déterminer l'ordre de juridiction compétent pour connaître de l'action en indemnisation contre l'Etat, et que les solutions variables posées par le Tribunal des Conflits ne se révélaient pas satisfaisantes. (1)
La procédure applicable à cette action indemnitaire est régie par les dispositions générales figurant aux articles 3 à 13 du décret du 27 février 2015, et par les articles 43 et 44 dudit décret.
Par un arrêt du 9 décembre 2019, le Tribunal des Conflits se prononce sur les conditions de régularité de sa saisine et sur les possibilités de régularisation (I), et donne une illustration de l’indemnisation accordée du fait du jeu « normal » des actions et voies de recours dans un litige intéressant les deux ordres de juridictions (II).
I - Saisine irrégulière et possibilité de régularisation La nouvelle procédure en indemnisation est régie par des dispositions directement inspirées des règles du contentieux administratif :
Ainsi, aux termes de l’article 43 du décret du 27 février 2015, modifié par décret n° 2016-308 du 17 mars 2016 : « Dans le cas prévu à l'article 16 de la loi du 24 mai 1872 susvisée, la partie qui entend obtenir réparation doit préalablement saisir le garde des sceaux, ministre de la justice, d'une réclamation.
En application du 3° de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, le silence gardé pendant plus de deux mois sur la réclamation vaut décision de rejet. A l'expiration de ce délai, la partie intéressée peut saisir le Tribunal des conflits.
En cas de décision explicite de rejet, la requête doit être présentée dans un délai de deux mois à compter du jour de la notification de cette décision. Ce délai n'est opposable qu'à la condition d'avoir été mentionné, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. »
L’article 44 précise que le Tribunal des conflits statue sur la réparation, après avoir ordonné, s'il y a lieu, les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Pour le surplus, la procédure est régie par les dispositions communes figurant aux articles 3 à 13 du décret du 27 février 2015.
Il en résulte notamment (article 5 alinéa 1) que la requête doit être introduite par un Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. (2)
En l’espèce, le Tribunal des Conflits n’avait pas été saisi par le justiciable, représenté par un Avocat aux Conseils, mais par le Juge de la mise en état du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE devant lequel la demande d’indemnisation avait été formée à tort et qui lui avait transmis le dossier.
Cette demande n’avait pas davantage été précédée d’une réclamation au ministre de la justice.
Les dispositions des articles 5 et 43 du décret du 27 février 2015 n’avaient donc pas été respectées.
L’Etat n’avait pas manqué de soulever à titre principal l’irrégularité de la saisine.
Pour autant, le Tribunal ne rejette pas la demande comme irrecevable.
Empruntant à nouveau aux règles générales de la procédure administrative, il invite le requérant à régulariser. (3)
Celui-ci adresse alors, le 19 juillet 2019, une demande préalable au ministre de la justice.
Le 25 juillet suivant, il dépose un mémoire en indemnisation par ministère d’Avocat aux Conseils.
Le Tribunal relève que « le ministre n’a pas répondu à cette demande » et estime en conséquence que le mémoire du 25 juillet 2019 l’a valablement saisi.
Il se place donc à la date où il statue pour apprécier la régularité de sa saisine. (4)
II - Sur le fond, conditions de l’indemnisation La rédaction de l’article 16 de la loi est suffisamment large et englobe tant les hypothèses de saisine successive des deux ordres de juridictions (conflits « positifs », conflits « sur renvoi », conflits « négatifs »), que celles de saisine conjointe des juridictions administratives et des juridictions judiciaires par application des règles « normales » de compétence.
En l’espèce, il ne s’agissait pas de sanctionner la durée excessive de procédures successives devant les deux ordres juridictionnels, mais de procédures poursuivies conjointement devant chaque Ordre en raison des règles de compétence applicables.
En effet, une première affaire avait été portée devant l’ordre administratif à la requête de l’employeur du requérant, salarié titulaire d’un mandat de représentation du personnel, et à l’encontre du refus de l’administration d’autoriser son licenciement économique, ce qui rendait incontournable la compétence de l’ordre administratif. (5)
Le Tribunal Administratif de Marseille rejetait le recours le 29 octobre 2007, soit au terme d’une instruction de quelques mois.
En revanche, la Cour Administrative d’Appel de Marseille ne rendait son arrêt que le 24 janvier 2012, soit quatre ans et 3 mois plus tard.
Ce délai – a priori fort long – a eu également pour effet de paralyser la procédure initiée parallèlement en octobre 2007 par le salarié devant le Conseil des Prud’hommes de Marseille aux fins de voir prononcée la résiliation de son contrat de travail aux torts de l‘employeur, et ayant donné lieu à un jugement de décembre 2009 (soit au bout d’un peu plus de deux ans) étant précisé que le licenciement du salarié pour faute lourde est intervenu en cours de procédure, en septembre 2008.
La Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE a sursis à statuer dans l’attente de la décision du juge administratif, puis a rendu un arrêt en juillet 2012, soit au bout de deux ans et 7 mois, mais seulement 6 mois après intervention de l’arrêt de la Cour de MARSEILLE.
Un an et 4 mois plus tard intervenait un arrêt de cassation avec renvoi, la cour de renvoi se prononçant dans le délai d’un an ; son arrêt de novembre 2014 était cependant cassé par décision de la Cour de cassation de juin 2016, soit au bout d’un an et 7 mois, et renvoyé devant une autre cour.
Cette procédure sera interrompue par la transaction signée entre les parties en avril 2017.
Le requérant saisira le Tribunal des Conflits deux ans plus tard, en 2019, après saisine d’une juridiction incompétente …
Après avoir rappelé que « le caractère excessif du délai de jugement s’apprécie en tenant compte des spécificités de chaque affaire, de sa complexité, des conditions de déroulement des procédures et du comportement des parties, ainsi que de l’intérêt pour l’une ou l’autre des parties au litige à ce que celui-ci soit tranché rapidement », le Tribunal des Conflits estime que « la durée des procédures depuis la saisine du Conseil de Prud’hommes de Marseille le 30 octobre 2007 jusqu’au 14 avril 2017 (date de la transaction), de près de 9 ans et demi, doit être regardée comme excessive ».
Cette motivation assez lapidaire ne permet pas au lecteur de savoir quels sont, au regard des critères susvisés, les éléments d’appréciation retenus …
Le montant alloué est de 4000 € au titre du préjudice moral et 3.500 € au titre des frais irrépétibles.
Désormais seul compétent pour réparer le préjudice né de la durée excessive globale des procédures devant les deux ordres juridictionnels, le Tribunal des Conflits ne semble pas avoir été surchargé de demandes ; si l’on se réfère aux rapports d’activité annuels de 2015 à 2018, aucune décision n’a été encore rendue en ce domaine.
L’arrêt rapporté constituerait donc une première.
Est-il de nature à assurer un succès grandissant de la procédure ouverte depuis 2015 ?
En pratique, l’Avocat devra informer son client de la possibilité d’exercer ce recours indemnitaire dès lors que la poursuite conjointe ou successive de procédures devant les deux ordres de juridictions aura accusé un certain délai (moins de dix ans dans l’arrêt rapporté), mais en appelant aussi son attention sur le fait que les montants alloués ne seront peut-être pas à la hauteur de ses attentes, d’autant qu’il devra solliciter le concours d’un Avocat aux Conseils.
L’existence d’un préjudice matériel, économique ou financier, chiffrable - au besoin après expertise selon l’article 44 du décret - en sus du préjudice moral, pourrait inciter à user de cette voie procédurale qui n’a pas encore fait ses preuves.
Index:
- Circulaire du 31 mars 2015 de présentation du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles pris pour son application § 1.2.4. - T. conflits 30 juin 2008, M. et Mme Bernardet, n° 3682, Lebon 559 - T. conflits 8 juill. 2013, Mme Gentili, n° 3904 Lebon 373
- L'Etat est dispensé du ministère d'avocat. Les mémoires, lorsqu'ils ne sont pas présentés par le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, doivent être signés par le ministre intéressé ou par le fonctionnaire ayant reçu délégation à cet effet. L'Etat est représenté par le ministre dont relève l'administration concernée.
- Voir article R 612-1 code de justice administrative
- Rappr. Avis Conseil d’Etat n° 426472 du 27 mars 2019 : la recevabilité de la requête au regard de l’exigence d’une décision préalable de l’administration doit s’apprécier non à la date où le juge est saisi mais à la date où il statue ; l’intervention d’une telle décision en cours d’instance régularise la requête (et ce, même si l’administration avait soulevé l’irrecevabilité pour ce motif).
- Articles L 2421-1 et suivants du code du travail
Cet article n'engage que son auteur.
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