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La sûreté consentie pour garantir la dette d'un tiers : à la recherche des limites d’un engagement impersonnel mais bien réel

La sûreté consentie pour garantir la dette d'un tiers : à la recherche des limites d’un engagement impersonnel mais bien réel

Auteurs : BOTTIN Matthieu, NEVEU Pascal
Publié le : 05/06/2018 05 juin juin 06 2018

On sait depuis l’arrêt de la chambre mixte du 2 décembre 2005 (Bull. civ. n°7) que la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’implique aucun engagement personnel et que dès lors, elle ne peut être qualifiée de cautionnement. Cass. Com., 12 avril 2018, n°17-17542

Cette position n’était pas celle de la jurisprudence antérieure qui voyait dans cette sûreté un cautionnement qui reposait bien sur une obligation personnelle même si elle avait pour objet de garantir la dette d’un tiers dans la limite de la valeur du bien donné en garantie (Civ. 1ère, 15 mai 2002, Bull. civ. n°127).

Toutefois, cette analyse n’était pas partagée par toutes les chambres de la Cour de cassation, ce qui a justifié d’ailleurs l’intervention de la chambre mixte par l’arrêt précité.

Ce changement de regard qui a vu l’objet de l’engagement (le réel) absorbé par l’engagement lui-même (le personnel) a surtout été marqué par une rupture avec les règles du cautionnement.

Toutefois, cette sûreté libérée de l’ombre du cautionnement n’en est pas devenue pour autant un engagement autonome (art. 2321 du Code civil). En effet, la Cour de cassation a toujours refusé d’en faire une garantie indépendante (Com., 3 juin 2014, n°13-1743). 

En traçant de façon abrupte le périmètre de la sûreté réelle pour autrui, la Cour de cassation pensait mettre un terme à la confusion des obligations et donc des régimes. Désormais, aucune obligation personnelle ne peut contaminer l’engagement réel pris par un tiers.

Toutefois, le régime reste ambigüe car cet engagement réel ne peut se résumer à l’objet de la sûreté.

L’imprécision de ce régime est un peu dérangeante car cette sûreté, qui se matérialise souvent par des affectations hypothécaires notariées, est très fréquente en pratique.
On pourrait penser que l’intervention d’un notaire sécurise l’opération mais lorsque la garantie est appelée, on s’aperçoit que le constituant et le bénéficiaire ont des visions très différentes de l’étendu de l’engagement mais également des conditions de sa mise en œuvre. L’espèce traitée dans le cadre de cette brève note (Com. 3ème, 12 avril 2018, n°17-17542, à paraître au bulletin) en constitue un nouvel exemple.
Une personne physique (vraisemblablement le dirigeant d’une entreprise mais l’arrêt ne le dit pas) consent à un fournisseur de la société débitrice principale une garantie hypothécaire notariée sur un bien personnel à hauteur de 200.000 euros le 4 mai 2007.

L’entreprise, sans doute déjà en difficulté, est placée ultérieurement en liquidation judiciaire. Le fournisseur se retourne alors contre le garant en lui réclamant le paiement d’une somme de 210.357,43 euros en lui indiquant qu’à défaut il mettrait en œuvre la garantie hypothécaire. Le constituant sollicite alors la radiation de l’hypothèque et sa mainlevée en invoquant plusieurs textes.

Tout d’abord, les dispositions de l’article 2421 du Code civil, issus de l’ordonnance du 23 mars 2006. Celles-ci précisent que l’hypothèque peut être consentie pour garantir une ou plusieurs créances présentes voire futures mais en ce cas alors déterminable. Autrement dit, le constituant soulève que l’engagement était dépourvu de cause. L’arrêt n’a pas répondu à ce moyen pour une question de procédure puisqu’il n’a pas été soulevé dans le cadre de la procédure d’appel mais la voie était en tout état de cause très délicate.

En effet, l’alinéa 2 de l’article 2421 du Code civil ajoute « la cause en est déterminée dans l’acte ».

Ce débat peut, il est vrai, apparaître dépassé puisque la cause ne figure plus dans le Code civil comme une condition de validité d’un contrat (abrogation des articles 1131 à 1333 du Code civil par l’ordonnance 10 février 2016) puisque l’article 1128 nouveau du Code civil ne reprend plus cette condition pour la validité d’un contrat.

Toutefois, la jurisprudence ne sanctionnait qu’avec beaucoup de prudence cette absence de cause puisque selon l’ancien article 1132, elle était présumée exister même si elle n’était pas exprimée. Si l’on considère que le débat s’est déplacé aujourd’hui de l’existence de sa cause du contrat à la détermination de son objet, ce principe ne semble pas avoir été remis en cause et en l’état d’un acte notarié qui justifiait son existence, le contentieux apparaissait voué à l’échec.

Le constituant fondait également son action sur un autre moyen apparemment plus solide, à savoir que la créance garantie avait été soldée.

Effectivement, une action visant à faire radier une hypothèque sur le fondement de l’article 2443 du Code civil suppose la démonstration d’un titre irrégulier voire éteint ou soldé. Le débat se déplace alors sur le terrain de la preuve. Or, justement le demandeur n’est pas parvenu à démontrer l’existence de ce fait juridique. Les paiements invoqués reposant soit sur des délégations soit sur des règlements partiels. Le débiteur et son fournisseur semblant avoir du mal à débrouiller leur compte.

On ne voit pas jusque-là les raisons d’une publication de cet arrêt au bulletin sauf peut-être que la garantie ayant été constitué en mai 2007, elle se place nécessairement après la réforme des sûretés.

On pourrait donc voir dans le dernier moyen une solution plus novatrice. En effet, le constituant évoquait l'absence de déclaration de créance par le bénéficiaire à la procédure collective du débiteur pour tenter de se libérer selon les dispositions de l’article 2314 du Code civil.

On sait qu’en matière de cautionnement la caution peut échapper au recours du créancier si ce dernier ne déclare pas la créance à la procédure collective du débiteur. Cette solution était certaine hier puisque la sanction d’une absence de déclaration était l’extinction de la créance.

Elle est plus incertaine aujourd’hui puisque l’absence de déclaration n’est plus sanctionnée que par une inopposabilité.

Faut-il voir dans cette différence le passage d’une exception inhérente à la dette à une exception personnelle ? Même si l’arrêt refuse d’entrer dans ce débat au simple motif que la sûreté n’est pas un cautionnement cette règle semble lui être applicable. Etonnante contradiction avec le régime de la caution solidaire.

En conséquence, le créancier imprudent n’encourt pas la déchéance de sa garantie lorsqu’il ne sauvegarde pas les droits du tiers garant.

On le voit la sûreté résiste donc à la contestation du constituant. Mais, il faut rappeler que celle-ci était engagée sous la forme d’une action principale en radiation de l’hypothèque sur le fondement de l’article 2443 du Code civil.

La contestation si elle avait été placée dans un autre cadre, notamment l’hypothèse où le bénéficiaire aurait tenté de mettre en œuvre l’hypothèque, notamment par une saisie immobilière, la discussion aurait pu être beaucoup plus délicate puisque le juge est tenu dans ce cas de déterminer le montant de la créance.

Une créance peut donc être discutée en son montant même si elle n’est ni éteinte ni soldée. Le titulaire de la sûreté n’est donc pas à l’abri d’une contestation sérieuse, au moins dans ce cas.

Si l’on tente de tracer une frontière sur les limites de cette sûreté, on retrouve la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et les exceptions personnelles au débiteur principal. Décidément cette sûreté qui n’a jamais acquis une indépendance véritable continue à ressembler à un cautionnement alors que pourtant elle ne l’est plus.


Cet article n'engage que ses auteurs.

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