Le pass sanitaire à l'épreuve du droit de l'Union Européenne
Auteur : GRECH Fabien
Publié le :
21/07/2021
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2021
Très décriées, les mesures annoncées par le Président de la République lors de son allocution du 12 juillet 2021 et actuellement discutées au Parlement soulèvent un certain nombre de difficultés juridiques.
Dans un avis n° 21-11 du 20 juillet 2021, le Défenseur des droits a notamment relevé 10 points d’alerte, craignant une restriction grave des libertés publiques et une mise en péril du Pacte Républicain.
De nombreuses voix s’élèvent également pour dénoncer cette atteinte aux libertés fondamentales afin de tenter de mettre en échec ce texte, en ce qu’il crée un régime de discrimination entre citoyens et prévoit un régime de licenciement extrêmement violent et expéditif à l’encontre notamment des personnels soignants.
Nombreux sont ceux qui ont cru trouver un pare-feu dans la Résolution n° 2361 du 21 janvier 2021 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans laquelle elle « demande (…) instamment aux États membres et à l’Union européenne : (…) de s'assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n'est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s'il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ».
Néanmoins, si une telle résolution peut faire office d’argument d’autorité et peut aboutir à terme à un positionnement similaire de la part de l’organe juridictionnel du Conseil de l’Europe qu’est la CEDH, elle ne peut en l’état servir de fondement à une quelconque action dès lors qu’elle est au nombre des normes n’ayant aucune force obligatoire ou contraignante pour les Etats.
Mais c’est du côté de l’Union européenne que se trouve le garde-fou. Le règlement européen du 14 juin 2021 interdit les discriminations à l'encontre des personnes ne souhaitant pas se faire vacciner Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté un Règlement n° 2021/953 du 14 juin 2021, publié au Journal officiel de l’Union européenne le 15 juin 2021.
Celui-ci prévoit en termes clairs et sans équivoque que :
« La délivrance de certificats en vertu du paragraphe 1 du présent article ne peut entraîner de discrimination fondée sur la possession d’une catégorie spécifique de certificat visée à l’article 5, 6 ou 7 ».
Les Considérants de ce Règlement sont encore plus clairs, et traduisent une intention de prohiber les discriminations fondées sur la délivrance d’un pass sanitaire conditionné notamment par une vaccination :
- « (6) Les États membres peuvent, conformément au droit de l’Union, limiter le droit fondamental à la libre circulation pour des motifs de santé publique. Toute restriction à la libre circulation des personnes au sein de l’Union qui est mise en place pour limiter la propagation du SARS-CoV-2 devrait être fondée sur des motifs d’intérêt public spécifiques et limités, à savoir la préservation de la santé publique, comme le souligne la recommandation (UE) 2020/1475. Il est nécessaire que de telles limitations soient appliquées conformément aux principes généraux du droit de l’Union, en particulier les principes de proportionnalité et de non-discrimination. Toute mesure prise devrait dès lors être strictement limitée dans son champ d’application et dans le temps, conformément aux efforts déployés pour rétablir la libre circulation au sein de l’Union, et ne devrait pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour préserver la santé publique » ;
- « (11) Dans leur déclaration du 25 mars 2021, les membres du Conseil européen ont demandé d’engager les travaux préparatoires sur une approche commune concernant la levée progressive des restrictions à la libre circulation afin de veiller à ce que les efforts soient coordonnés lorsque la situation épidémiologique permettra un assouplissement des mesures existantes, et de faire avancer d’urgence les travaux en ce qui concerne les certificats numériques interopérables et non discriminatoires liés à la COVID-19 » ;
- « (14) Le présent règlement entend faciliter l’application des principes de proportionnalité et de non-discrimination en ce qui concerne les restrictions à la libre circulation pendant la pandémie de COVID-19, tout en assurant un niveau élevé de protection de la santé publique. Il ne devrait pas être interprété comme facilitant ou encourageant l’adoption de restrictions à la libre circulation ou de restrictions à d’autres droits fondamentaux en réaction à la pandémie de COVID-19, étant donné leurs effets néfastes sur les citoyens et les entreprises de l’Union » ;
- « (20) La délivrance de certificats en vertu du présent règlement ne devrait pas entraîner de discrimination fondée sur la possession d’une catégorie de certificat spécifique ».
Et le Considérant 36 de porter le coup de grâce, en ces termes :
« Il y a lieu d’empêcher toute discrimination directe ou indirecte à l’encontre des personnes qui ne sont pas vaccinées, par exemple pour des raisons médicales, parce qu’elles ne font pas partie du groupe cible auquel le vaccin contre la COVID-19 est actuellement administré ou pour lequel il est actuellement autorisé, comme les enfants, ou parce qu’elles n’ont pas encore eu la possibilité de se faire vacciner ou ne souhaitent pas le faire ».
Ce Règlement est parfaitement applicable au pass sanitaire institué en France, dans la mesure où il est appelé à être unifié à compter du 1er juillet 2021 pour devenir un seul et unique « Certificat Covid numérique de l’UE ».
Il reste désormais à définir ce que permet d’envisager une telle norme. Le juge devra écarter la loi comme étant non conforme au règlement du 14 juin 2021 Pour rappel, le droit européen bénéficie d’un effet direct, en sorte que les justiciables peuvent invoquer directement une norme européenne devant une juridiction nationale ou européenne.
Cela est encore plus vrai pour les Règlements qui, à la différence des Directives nécessitant un mécanisme de transposition en droit interne, disposent toujours d’un effet direct « complet » (CJCE, affaire n° 43-71, Politi / Italie, 14 décembre 1971).
Le Règlement du 14 juin 2021 a donc la force obligatoire et contraignante que la Résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe n’a pas.
Il convient désormais d’analyser son application et son articulation en France, notamment en ce qui concerne le projet d’extension du pass sanitaire à plusieurs activités de la vie quotidienne.
Disons-le clairement, l’invocation du moyen tiré de la méconnaissance de ce Règlement ne sera pas opérante dans le cadre du contrôle de constitutionnalité de la Loi effectué très prochainement par le Conseil constitutionnel.
Depuis sa Décision du 15 janvier 1975, le Conseil constitutionnel se déclare en effet incompétent pour contrôler la conformité d’une Loi à une norme internationale, limitant ainsi son office au contrôle de la conformité d’une telle Loi à la seule Constitution (Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse).
Pour autant, il a renvoyé aux Juges ordinaires le soin d’opérer eux-mêmes ce contrôle (Juge judiciaire et Juge administratif).
Ce que la Cour de cassation a accepté sans difficulté dans son célèbre arrêt Jacques Vabre (C. Cass., Ch. Mixte, 24 mai 1975, n° 73-13.556).
Ce que le Conseil d’Etat a également accepté au terme de son arrêt Nicolo (CE, 20 octobre 1989, n° 108243), ayant même été jusqu’à étendre le contrôle de la Loi, non plus uniquement par rapport à un Traité, mais aussi par rapport aux deux normes de droit dérivé que sont les Règlements (CE, 24 septembre 1990, Boisdet, n° 58657) et les Directives (CE, 28 février 1992, SA Rothmans International France et Philip Morris, n° 56776/56777).
De ce qui précède, le Juge judiciaire et le Juge administratif exercent un contrôle de conventionnalité des Lois, et se doivent donc d’écarter les normes internes contraires à des normes de droit primaire ou de droit dérivé, et notamment d’écarter une Loi incompatible avec une norme européenne.
C’est ce qu’il devra faire en l’espèce, à l’occasion des nombreux contentieux à naître du fait de l’application de la Loi portant extension du pass sanitaire (que ce soit sur le plan du contentieux administratif au travers des sanctions disciplinaires à intervenir ou des actes réglementaires d’application, du contentieux prud’hommal portant sur les mesures de licenciement, ou encore sur le plan pénal au regard des sanctions pénales dont est assorti le texte), tant ladite Loi paraît frontalement et radicalement contraire au Règlement du 14 juin 2021.
Aussi, et quand bien même le Conseil constitutionnel ne saurait contrôler la conformité de cette Loi au bloc de constitutionnalité, il serait bien inspiré de se référer au Considérant 62 du Règlement, rappelant qu’il « respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus notamment par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après dénommée "Charte"), en particulier le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit à la protection des données à caractère personnel, le droit à l’égalité devant la loi et le droit à la non-discrimination, la liberté de circulation et le droit à un recours effectif. Les États membres sont tenus de respecter la Charte lorsqu’ils mettent en œuvre le présent règlement ».
Ce d’autant que nombre de ces droits et libertés fondamentaux se recoupent avec ceux qui sont constitutionnellement protégés en France, ce qui impose au Conseil constitutionnel de censurer cette Loi multi-liberticide et socialement désastreuse.
Cet article n'engage que son auteur.
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