Affaire Tapie : suite et enfin … fin ?
Auteurs : BOTTIN Matthieu, NEVEU Pascal
Publié le :
25/06/2018
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Les démêlés d’un « sauveur d’entreprise » confronté à une procédure de sauvegarde Première partie : Introduction Il serait fastidieux de rappeler ici les détails de la trop célèbre affaire Tapie-Adidas-Crédit-Lyonnais-CDR etc. Celle-ci présente le paradoxe d’être à la fois trop connue, car largement étalée sur la place publique, mais aussi d’être souvent méconnue en raison de son extrême complexité, notamment procédurale.
Cette situation contradictoire, mais en définitive assez courante, permet à ses laudateurs comme à ses contempteurs des présentations que l’on pourrait qualifier, selon un doux euphémisme, de contrastées…
Le lecteur pourra donc, s’il le souhaite, se replonger sur le présent site dans les articles parus sur ce sujet, il y a quelques années, qui ont désormais un intérêt rétrospectif[1].
Ce nouvel article s’attache à éclairer et préciser un nouvel épisode judiciaire plus actuel, entamé fin 2015, avec l’ouverture d’une procédure de sauvegarde au bénéfice des sociétés du « Groupe Tapie ». Ce nouveau volet de la saga semble se diriger vers son épilogue puisque, après le dernier arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu le 12 avril 2018 ayant invalidé le plan de sauvegarde arrêté par le Tribunal de commerce, et suivant des informations parues dans la presse, l’affaire sera de nouveau évoquée le 3 juillet 2018 devant le Tribunal de commerce de Paris.
Il est nécessaire de rappeler pour la bonne compréhension de ce qui va suivre qu’une sentence d’arbitrage avait été rendue le 7 juillet 2008 entre d’une part, le CDR CREANCES (venant aux droits de la SDBO) et le CONSORTIUM DE REALISATION, organisme de défaisance du CREDIT LYONNAIS (venant aux droits de CDR PARTICIPATION) et d’autre part les liquidateurs des SOCIETES FIBT (SNC FINANCIERE ET IMMOBILIERE BERNARD TAPIE), ACT (ALAIN COLAS TAPIE) et GBT (SNC GROUPE BERNARD TAPIE), et Monsieur et Madame Bernard TAPIE qui, bien qu’en liquidation judiciaire à titre personnel, avaient tenu à intervenir dans la procédure.
Il faut surtout bien rappeler la chronologie des décisions judiciaires qui se sont succédées pour annuler la sentence arbitrale ayant accordé une somme d’environ 440 millions d’euros aux liquidateurs, aux sociétés et autres parties liées.
Lorsque cette sentence a été connue, elle a suscité une immense émotion dans la presse mais n’a pas été immédiatement suivie de réaction judiciaire du CDR en raison même du fait que les parties dans le compromis d’arbitrage avaient renoncé par avance à contester la sentence lorsqu’elle serait connue. Le CDR a donc réglé dans un premier temps l’importante facture puis a engagé tardivement des recours, tout d’abord, en annulation les 28 juin et 1er juillet 2013 - recours qui ont été déclarés pour ce motif irrecevables -, puis, des appels nullité le 25 juillet 2013, et encore mais surtout un recours en révision le 28 juin 2013, qui malgré sa tardiveté apparente a été jugé recevable.
Le CDR pour justifier n’avoir pu l’engager plus tôt, a fait valoir que la réalité de la fraude, qu’il avait pu soupçonner, ne lui avait été révélée que par la connaissance des pièces pénales réunies dans le cadre d’une information judiciaire ouverte entre-temps à l’initiative du Parquet et pour laquelle il ne s’était constitué partie civile que le 7 juin 2013.
C’est finalement ce recours en révision, engagé in extremis, qui sera couronné de succès.
Un premier arrêt, très solidement motivé, du 17 février 2015, de la Cour d’appel de Paris va rétracter la sentence arbitrale et également toutes celles subséquentes. Mais cette Cour d’appel ne statuera pas immédiatement sur d’éventuelles restitutions se réservant de le faire dans un second temps.
L’arrêt du 17 février 2015 a donné lieu à de multiples recours, qui seront tous rejetés[2].
Finalement, la Cour d’appel de Paris, qui s’en était réservé le pouvoir, a évoqué cette affaire à l’audience du 29 septembre 2015 puis a rendu son arrêt, après un délibéré, le 3 décembre 2015.
La Cour condamnera solidairement les sociétés FIBT, GBT, (« Groupe Bernard Tapie ») leurs liquidateurs et Madame Tapie à payer à titre de restitution la somme de 404 623 082,54 euros avec intérêts au taux légal et capitalisation du jour du règlement, ainsi que la somme de 300000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ce qui souligne que l’opposition formée à la demande du CDR a été pour le moins jugée téméraire.
On pourrait s’étonner de ne pas retrouver dans la liste des personnes condamnées Monsieur Bernard Tapie qui était pourtant le principal intéressé. Cela vient du fait que Monsieur Bernard Tapie a été placé depuis de nombreuses années en liquidation judiciaire (jugement du Tribunal de commerce de Paris du 28 juin 2000) et que cette procédure n’a jamais été clôturée, interdisant dès lors, toute condamnation à son encontre, ce qui ne signifie pas pour autant que cette somme ne puisse pas lui être réclamée un jour, une fois clôturée cette procédure.
De leur côté, les sociétés FIBT et GBT, ayant bénéficié des sommes résultant de l’arbitrage annulé pour régler leur dette, étaient sorties de de leurs liquidations par extinction de leur passif, elles ne pouvaient donc faire l’objet de condamnations.
On ajoutera que l’arrêt condamne aussi le CDR à payer à Monsieur et Madame Tapie la somme de 1 euro au titre de leur préjudice moral, alors que l’arbitrage leur avait accordé la somme plus confortable de 45 millions d’euros… En fait, cette condamnation symbolique n’est que la répétition, pour ne pas dire la prétérition, de la condamnation qui figurait déjà dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris (du 30 septembre 2005) - disposition qui n’avait pas été atteinte par l’arrêt de cassation du 9 octobre 2006 et qui était d’ailleurs revêtue de l’autorité de la chose jugée, ce que les arbitres semblaient avoir un peu perdu de vue…
Les pourvois formés à l’encontre du dernier arrêt de la Cour d’appel de Paris (3 décembre 2015) seront finalement rejetés par un arrêt de la Chambre commerciale du 18 mai 2017. Il est important de souligner ici que cet arrêt ne remet pas en cause les paiements faits au titre du passif des liquidations antérieures, du moins pour les créanciers définitivement admis dans les liquidations FIBT et GBT, les liquidateurs n’ayant pas apporté la preuve qu’un passif résiduel demeuré impayé.
Autrement dit les sociétés FIBT et GBT, bien que n’ayant plus de passif antérieur, se trouvent désormais redevable à l’égard de CDR d’une somme de 404 millions d’euros…
Mais bien sûr, notre « sauveur d’entreprise », avec un sens aigu de l’anticipation que personne ne cherche à lui contester, ne devait pas rester les « bras ballants » devant ce qui semblait se dessiner comme un désastre annoncé, bien qu’il n’ait jamais cessé de proclamer « urbi et orbi » son bon droit.
Ainsi, à la veille du prononcé de l’arrêt de la Cour de Paris (3 décembre 2015), il plaçait opportunément ses sociétés en procédure de sauvegarde.
On ne peut qu’admirer le parfait minutage avec lequel, la sauvegarde a été ouverte : un premier jugement du Tribunal de commerce Paris le 30 novembre 2015 a concerné la Société GBT puis cette sauvegarde a été étendue à la société FIBT par le même tribunal selon jugement du 2 décembre 2015, soit justement la veille du prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 3 décembre de la même année.
On savait que Monsieur Tapie avait toujours plaidé avec conviction en faveur des difficultés d’entreprise, au point de paraître parfois investi d’un véritable sacerdoce, mais on n’avait pas imaginé qu’il se sacrifierait à titre personnel afin d’offrir à la matière un véritable laboratoire de la procédure de sauvegarde car son dossier soulève des problèmes juridiques insoupçonnés que même les meilleurs spécialistes n’avaient pas osé aborder.
La procédure de sauvegarde est relativement récente dans le droit des procédures collectives puisqu’elle remonte à la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 et n’est applicable que depuis le 1er janvier 2006.
Le maître mot de cette procédure est l’anticipation, car devant le constat d’échec des procédures précédentes, on s’accorde à considérer qu’il ne faut pas attendre pour traiter les entreprises, les difficultés devenant inextricables, il vaut donc mieux anticiper en sauvegardant plutôt que de traiter après en redressant.
Une véritable « philosophie » que notre « sauveteur d’entreprise » va exploiter à son profit avec promptitude et malice.
Cependant, trois questions délicates viennent de prime abord à l’esprit si l’on regarde attentivement cette procédure de sauvegarde, on se limitera à leur examen :
- 1°) Les sociétés GBT et FIBT étaient-elles éligibles, au regard des difficultés très particulières qu’elles pouvaient invoquer, à la procédure de sauvegarde ?
- 2°) Un plan de sauvegarde commun aux deux sociétés pouvait-il être régulièrement arrêté ?
- 3°) A défaut de plan, quel devait être le sort de la procédure, et les sociétés GBT et FIBT pouvaient-elles (peuvent-elles encore aujourd’hui) être placées en liquidation judiciaire ?
(à suivre) [1] Six articles parus entre 2013 et 2014 sous un titre commun mais en cinq développements :
Introduction : Un bon procès vaut mieux qu’un mauvais arrangement
1ère Partie : Sur les chances de succès du procès abandonné ?
2ème Partie : Le recours à l’arbitrage était-il légal et justifié ?
3ème Partie : Le litige était-il arbitrable ?
4ème Partie : Comment l’arbitrage a-t-il été conduit ?
5ème Partie : La décision d’arbitrage était-elle acceptable ?
Il est vrai qu’une autre question difficile avait été posée, à savoir ce qu’il fallait penser des chances de succès des recours engagés. La réponse était restée en suspens. Mais les décisions judiciaires qui sont intervenus entre temps se sont chargées d’apporter les réponses les plus fiables possibles. [2] Le pourvoi des liquidateurs sera rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 30 juin 2016, n°932 FS-P+B+I et même une tierce opposition, plus « exotique », de la part de l’arbitre mis en cause, sera dans un premier temps rejeté par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 2 juillet 2015, et le pourvoi qui en suivra sera rejeté par la Cour de cassation le 13 décembre 2016, n°15-25848.
Cet article n'engage que ses auteurs.
Crédit photo : © Oleksandr Dibrova - Fotolia.com
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