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L’agent immobilier peut-il obtenir paiement de sa commission avant la réalisation de la vente immobilière ?
Auteur : BROGINI Benoît
Publié le :
18/03/2019
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2019
L’article 6 de la loi du 2 janvier 1970 n°70-9 énonce qu’ « aucun bien, effet, valeur, somme d’argent, représentatifs d’honoraires, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d’entremise quelconque, n’est dû [à l’agent immobilier] ou ne peut être exigé ou accepté par lui, avant qu’une des opérations visées ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l’engagement des parties. » Ces dispositions sont complétées par l’article 73 du décret du 20 juillet 1972, indiquant, en son avant-dernier alinéa, que l’agent immobilier « perçoit sans délai sa rémunération une fois constatée par acte authentique l'opération conclue par son intermédiaire. »
Les Juges considéraient donc traditionnellement que ne pouvait constituer l’acte écrit contenant l’engagement des parties qu’uniquement l’acte authentique de vente signé chez le Notaire.
En conséquence, des jurisprudences très diverses existaient quant au sort de l’agent immobilier lorsque la vente n’était pas signée. La Cour refusait parfois de reconnaître le droit à rémunération de l’agent en l’absence de vente, et ce même si une partie était fautive, parfois les Juges acceptaient le principe de la perte d’une chance (et dans ce cas l’indemnité octroyée ne pouvait pas être égale à celle prévue au mandat) et parfois, les juges retenaient la faute de la partie comme génératrice d’un préjudice justifiant le paiement de la rémunération.
La Jurisprudence a néanmoins amorcé récemment un certain virage en considérant que le caractère authentique de l’acte signé n’était pas une condition sine qua non de paiement de la commission.
Ainsi, la Cour de Cassation dans son arrêt du 9 décembre 2010 (Cass Civ 1 n°09-71205), jugeait que « que l'acte écrit contenant l'engagement des parties, auquel l'article 6 de la loi du 2 janvier 1970 subordonne le droit à rémunération ou à commission de l'agent immobilier par l'intermédiaire duquel l'opération a été conclue, n'est pas nécessairement un acte authentique » et que le refus de signer l’acte authentique par le vendeur n’empêchait pas de retenir que « la vente devait être regardée comme effectivement conclue, » celui-ci étant donc condamné à régler la commission à l’agent.
Peu de temps auparavant, le 3 juin 2008, la 3ème Chambre Civile avait déjà confirmé qu’une simple promesse de vente contenant les conditions de rémunération de l’agent immobilier permettait à celui-ci de pouvoir revendiquer le paiement de sa commission en cas de non réalisation de la vente (arrêt n°07-13990).
Très récemment, le 10 octobre 2018, la Cour de Cassation a confirmé ces précédentes jurisprudences (Civ 1 n°16-21044) en énonçant cette fois très nettement que « la signature de la promesse synallagmatique de vente constituait un accord définitif sur la chose et le prix, et que le vendeur ne pouvait, sans commettre une faute refuser de la réitérer, faisant ainsi ressortir que l’opération avait été effectivement conclue. »
Ces jurisprudences offrent la possibilité à l’agent immobilier de pouvoir réclamer une indemnisation née de la faute d’une partie ayant refusé de réitérer la vente et le privant ainsi injustement de sa commission et mettent un terme aux errances passées.
Désormais les parties, en refusant de réaliser la vente, commettent une faute à l’égard de l’agent immobilier, en le privant injustement de sa commission et de ce fait peuvent se voir poursuivies en paiement de l’intégralité de la rémunération qui aurait été due en cas de vente du bien.
Il reste nécessaire que la faute soit caractérisable.
Ainsi, ces solutions ne trouveront pas à s’appliquer si la promesse s’éteint du fait de la rétractation de l’acquéreur dans un délai de dix jours, ou de la réalisation d’une clause suspensive.
De même, dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente, si l’on suit le raisonnement de la Cour de Cassation dans son arrêt du 9 décembre 2010, et de la Cour d’Appel ayant produit l’arrêt attaqué, la faculté de dédit offerte à l’acquéreur, ferait obstacle à cette solution jurisprudentielle.
Il convient de rappeler qu’une clause de dédit peut parfaitement être intégrée dans un compromis également.
Si la Cour de Cassation considère donc que la signature de la promesse vaut accord définitif sur la chose et le prix au sens de l’article 6 et permet donc à l’agent de pouvoir solliciter le règlement de sa rémunération en cas de refus fautif de réitérer la vente, le principe n’est pas étendu à l’offre acceptée.
En effet, dans son arrêt du 14 novembre 2018 n°17-14885, la 1ère Chambre Civile juge que la vente n’est pas conclue lorsqu’ « aucune promesse ni acte de vente n’avaient été régularisés en raison du refus de la vendeuse de vendre son bien. »
Une offre d’achat contresignée par la vendeuse avec la mention « bon pour vente aux conditions désignées » existait pourtant, et la Cour de Cassation aurait pu considérer que l’échange de consentement avait été réalisé à cet instant, et l’accord définitif sur la chose et le prix ainsi matérialisé par cette offre contresignée.
En précisant bien « qu’aucune promesse ni acte de vente n’avaient été régularisés, » la Cour confirme sa précédente décision du mois d’octobre.
La promesse de vente signée, et contenant les modalités de rémunération de l’agent immobilier (point essentiel), permet donc à l’agent immobilier d’obtenir paiement de sa rémunération, ou plutôt d’une indemnité compensatrice équivalente, en cas de non réalisation fautive de la vente. Il ne faut néanmoins surtout pas voir dans cette décision la possibilité pour l’agent immobilier de pouvoir se faire régler ses honoraires dès la signature du compromis et de ne pas attendre la signature de l’acte authentique de vente.
En effet, cela irait à l’encontre du dernier alinéa de l’article 73 cité ci-avant et qui interdit formellement le paiement de sa rémunération à l’agent immobilier avant la réalisation de la vente.
Les solutions sont désormais très claires :
- En cas de refus de signer l’acte de vente, la promesse de vente vaut acte constituant un accord définitif des parties au sens de l’article 6, et permet ainsi d’agir en responsabilité à l’encontre de la partie fautive, pour obtenir une indemnité égale à la commission, si celle-ci était expressément mentionnée dans la promesse (ce qui est bien différent de l’action en perte de chance).
- En l’absence de refus fautif, si la promesse s’éteint par condition suspensive ou rétractation non fautive ou, sous réserve d’interprétation future de la Cour, faculté de dédit de l’acquéreur, aucune commission ne peut être réclamée par l’agent.
- En cas de réalisation de la vente, l’agent immobilier doit toujours continuer à attendre la signature de l’acte authentique pour pouvoir obtenir le paiement de sa rémunération.
Cet article n'engage que son auteur.
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