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Justice : célérité ou qualité?

Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le : 10/12/2012 10 décembre déc. 12 2012

La notification des mémoires et des pièces visées structure l'instruction d'un dossier. Cependant, les contraintes qui pèsent sur l'avocat ne sont-elles pas de nature à mettre à mal l'effectivité de la justice?

La production de mémoires après la clôture de l'instructionAux termes de l’article R 613-3 du code de justice administrative : "les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction. Si les parties présentent avant la clôture de l'instruction des conclusions nouvelles ou des moyens nouveaux, la juridiction ne peut les adopter sans ordonner un supplément d'instruction".

La jurisprudence du Conseil d’Etat a fait cependant obligation au juge de prendre connaissance du mémoire, même tardif, avant de rendre sa décision (C.E. 27.02.2004, Préfet des Pyrénées Orientales, n° 252988).

Le juge administratif doit ainsi s’assurer que le mémoire ne contient aucun élément nouveau ; il ne sera alors pas tenu de le prendre en compte, il n’aura pas à le communiquer aux autres parties, mais devra tout de même le viser dans sa décision, et ce, à peine d’irrégularité de celle-ci (C.E. 27.07.2005, Berreville, n° 258164).

Si en revanche le mémoire comporte l’exposé d’une circonstance de fait dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, ou d’une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d’office, il a alors l’obligation d’en tenir compte, ce qui implique de rouvrir l’instruction, de le communiquer aux autres parties en leur laissant un délai suffisant pour répondre le cas échéant, de le viser et de l’analyser dans la décision. (CE, Préfet des Pyrénées Orientales précité)

Le Conseil d’Etat a étendu ces dispositions aux pièces tardives, aux notes en délibéré, et, de façon, générale, à tout élément produit par une partie postérieurement à la clôture de l’instruction.

Il n’hésite pas à annuler pour erreur de droit, l’arrêt qui n’aurait pas retenu la circonstance nouvelle, de fait ou de droit, de nature à justifier la réouverture de l’instruction (C.E. 16.07.2012, Commune de Vichy, n° 345373)

Ces solutions ne dispensent pas pour autant les parties de faire diligence, puisqu’elles ne sauraient s’étendre aux éléments connus d’elles avant la clôture (C.E. 19.12.2008, Dame Lancon, n° 297716 – C.E. 11.05.2011, sté Barthas Immobilier, n° 327690).

Elles traduisent néanmoins, et hors les cas où les parties ont été négligentes, le souci de rendre une décision éclairée, nourrie des éléments de fait et de droit spécifiques à chaque dossier, gage d’une justice de qualité.

C’est sans doute cette même préoccupation qui a présidé à l’annulation d’un arrêt rendu alors que le dossier de première instance s’était perdu lors de sa transmission par le Tribunal à la Cour, laquelle n’en avait pas avisé les parties (C.E. 11.04.08, Bo, n° 300115).


On ne peut s’empêcher de confronter les solutions prônées par le Conseil d’Etat au récent avis donné par la Cour de Cassation (avis du 25 juin 2012) sur la mise en œuvre de l’article 906 « nouveau » du code de procédure civile au terme duquel les conclusions en appel doivent être notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie.


Interrogée sur les conséquences d’un défaut de simultanéité entre la notification des conclusions et la communication des pièces, la Cour de Cassation a estimé que : « doivent être écartées les pièces invoquées au soutien des prétentions qui ne sont pas communiquées simultanément à la notification des conclusions. »

Autrement dit, le juge d’appel serait saisi de conclusions visant des pièces écartées des débats, quand bien même elles auraient été déjà discutées en première instance et communiquées le lendemain ou le surlendemain du jour de la notification des écritures en appel.

On ne peut manquer de s’interroger sur la pertinence de la décision que la juridiction sera ainsi amenée à rendre, et sur la qualité du service rendu aux justiciables …

Pourtant, comme le rappelait le Professeur ATIAS : « si la justice se rend, c’est qu’elle est due aux parties. Elle n’est pas la chose du juge ; elle n’est pas la chose de l’administration judiciaire » (Christian ATIAS, chronique p. 2499, Recueil Dalloz 2002).

Cette obligation supplémentaire déjà qualifiée de «principe de simultanéité» (Céline Alcalde, commentaire p.2435, Recueil Dalloz 2012), vient s’ajouter au raccourcissement des délais pour conclure et aux imperfections de l’informatisation des procédures, particulièrement en ce qui concerne la communication des pièces.

Elle ne semble tenir aucun compte des contraintes matérielles effectives qui accompagnent, pour l’avocat, l’instruction sérieuse d’un dossier en appel (qui peut compter de multiples parties, des pièces très nombreuses ou volumineuses, ou encore où l’avocat succède à un confrère et ne détient pas encore ses pièces, …)

Elle constitue pour les avocats un nouveau piège qui accroît le risque de voir leur responsabilité recherchée, et pourrait bien procéder, à l’instar des réformes qui se succèdent en procédure civile, du présupposé inacceptable que l’avocat aurait par principe un comportement déloyal dans la conduite du procès (rapport “Célérité et qualité de la justice devant la cour d’appel” du 24 mai 2008).

En multipliant les écueils de procédure et autres irrecevabilités – devenues instrument de gestion des stocks (Christ précité) - c’est bien la qualité de la justice civile qui risque d’être sacrifiée sur l’autel d’une bien mal nommée « rentabilité ».





Cet article n'engage que son auteur.

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