La réouverture de l'instruction
Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le :
08/06/2012
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La clôture de l’instruction donne lieu à un contentieux nourri, particulièrement dans ses rapports avec le principe du contradictoire : plus de 30 arrêts du Conseil d’Etat sur ce thème, mis en ligne sur Légifrance pour les premiers mois de l’année 2012 !Limite : La réouverture de l’instruction …
La réouverture de l’instruction …
Cette mesure - qui devrait demeurer exceptionnelle, au regard du principe posé par l‘article R 613-3 al. 1 (les mémoires produits après la clôture ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés) – tend à devenir un instrument de régulation de l’instruction, la faculté offerte par l’article R 613-4 étant volontiers mise en œuvre (quitter à vider de sens l’article R 612-6 …).
Comparativement, le juge civil est beaucoup plus rigoureux lorsqu’il s’agit de révoquer, à la demande d’une partie, l’ordonnance de clôture (appréciation stricte de la « cause grave » postérieure à la clôture)
Le Conseil d’Etat a élaboré un véritable « statut jurisprudentiel des écritures tardives » qui confirme la portée qu’il entend réserver au respect du contradictoire.
Par exemple : C.E. 16 mars 2012, n° 340952 : le mémoire tardif devait être visé, à défaut la décision est irrégulière - C.E. 30 mars 2012, n° 348025 : en cas d’élément nouveau, le mémoire doit être communiqué et l’instruction rouverte - C.E. 21 mars 2012, n° 346414 : a fortiori si la décision se fonde sur cet élément nouveau !
1. Clôture et « élément nouveau »
L’élément nouveau est à la fois celui dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction ET celui que le juge ne peut ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts.
Cette double exigence n’est pas sans conséquences.
En déclarant irrecevable la requête présentée par un syndic dûment habilité par l’assemblée générale des copropriétaires au motif que l’habilitation n’avait pas été produite avant la clôture (CE 11 mai 2011, n° 327690), ou celle présentée par un voisin qui a bien procédé aux notifications prévues à l’article R 600-3 du code de l’urbanisme au motif qu’il n’a pas été justifié de l’envoi des notifications avant la clôture (CE 19 décembre 2008, n° 297716), le juge va cependant fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts.
Le débat sera alors déplacé sur le terrain de la responsabilité civile professionnelle de l’avocat, qui n’a pas veillé à produire les pièces en temps utile…
2. Clôture et procès équitable
Les exigences du procès équitable, notamment le respect du contradictoire, irriguent désormais la procédure administrative (art. L 5 du CJA).
Elles impliquent de laisser toujours un délai aux parties pour s’expliquer sur un moyen que le juge se propose de relever d’office nonobstant une éventuelle clôture (C.E. 11 avril 2012, n° 347510 – voir cependant : C.E.15 mai 2012, n° 351964), le contenu de l’information relative au moyen susceptible d’être relevé d’office devant être suffisamment précis (C.E. 12 mars 2012, n° 343209). Elles imposent au juge de ne pas fonder sa décision sur un moyen, une pièce, qui n’auraient pas été contradictoirement discutés, sauf à réouvrir préalablement l’instruction.
Toutefois, aux termes de l’article R 611-1 al. 3, rien n’oblige le juge à communiquer aux parties les mémoires ou les pièces s’il estime qu’ils n’apportent rien de nouveau (pour une application récente : C.E. 1er février 2012, n° 338665).
Ce faisant, nos règles heurtent frontalement la jurisprudence de la CEDH.
On évoquera simplement l’arrêt Asnar/France du 18 octobre 2007, dans lequel la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif que le respect du droit à un procès équitable, pris sous l’angle du respect du contradictoire, exigeait que le requérant, partie défenderesse au pourvoi, eût la possibilité de soumettre ses commentaires au mémoire en réplique du ministre ou, pour le moins, qu’il en soit informé pour décider, le cas échéant, d’y répondre. Or précisément le mémoire ne lui avait pas été transmis …
Pour le droit européen, toute production devrait être communiquée et c’est aux parties de juger de l’opportunité d’y répondre ; en d’autres termes, le dernier membre de phrase du 3ème alinéa de l’article R 611-1 (les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s’ils contiennent des éléments nouveaux) devrait être purement et simplement supprimé !
Dans le même ordre d’idées, les dispositifs résultant des articles R 611-8 (procédure sans instruction), R 222-1 (rejet par ordonnance) semblent bien peu respectueux de l’article 6 précité …
3. Devenir des notes en délibéré :
La procédure administrative reconnaît un véritable « droit à la note en délibéré » (art. R 731-3) qui surprend toujours les civilistes pour lesquels la note en délibéré ne peut répondre qu’à une demande du juge (art. 445 du code de procédure civile).
Ce « droit » a découlé, principalement sous l’impulsion du droit européen, de la nécessité de permettre aux parties de compléter ou préciser leur argumentation après avoir auditionné les conclusions du commissaire du gouvernement.
Le nouveau rôle du rapporteur public justifie t-il toujours cette pratique ?
Propositions :
- Une simple mesure d’administration judiciaire : le calendrier de procédure
Les travaux du colloque de TOULON des 23 et 24 novembre 2009, conduiraient à privilégier plutôt la piste d’un plus grand espace de temps entre la clôture et l’audience, à la condition toutefois que ces deux dates soient annoncées suffisamment à l’avance !
Il est certain que les délais de 15 jours (mais c’est un minimum) de l’art. R 613-1 (entre la transmission de l’ordonnance de clôture et la date de clôture), 3 jours francs de l’art. 613-2 (clôture automatique avant l’audience) et de 7 jours (également un minimum) de l’article R 711-2 (entre la transmission de l’avis d’audience et la date d’audience) sont trop brefs. (Pour mémoire, les dates de clôture et de plaidoiries devant le juge civil sont annoncées plusieurs mois à l’avance)
- Une réforme en profondeur : l’instauration d’une véritable mise en état ?
- circuit « court » pour les affaires paraissant les plus simples
- circuit « long » pour les affaires plus complexes
Les échanges seraient facilités par la dématérialisation des procédures (cf. Décret n°2005-222 du 10 mars 2005 sur l’expérimentation des téléprocédures, prorogé en 2009 et projet de généralisation au 1er janvier 2013)
Paradoxalement, dans la procédure civile accusatoire, les pouvoirs du juge de la mise en état sont extrêmement importants.
Si les dispositions des articles 763 et suivants du code de procédure civile lui confient le suivi et l’encadrement de l’instruction, lui permettent de joindre ou disjoindre les instances, inviter à des mises en cause, homologuer un accord, régler les incidents de communication de pièces, celles de l’article 771, modifié par le décret du 28 décembre 2005, lui donnent compétence exclusive pour statuer sur toutes les exceptions de procédure et les incidents susceptibles de mettre fin à l’instance, allouer une provision, ordonner des mesures provisoires, des mesures d’instruction, …
Les pouvoirs du conseiller rapporteur pourraient ainsi être accrus, en s’inspirant de ces dispositions.
Les incidents devant le conseiller rapporteur seraient dispensés de la présence du rapporteur public.
Si la spécificité de l’ordre administratif doit absolument être préservée, la pratique conjointe des deux ordres de juridiction rend inévitables – et souhaitables - des rapprochements entre les deux procédures, dès lors qu’il s’agit d’améliorer le service rendu aux justiciables.
Cet article n'engage que son auteur.
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