
Secret professionnel de l'expert judiciaire
Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le :
09/11/2010
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nov.
11
2010
Les experts sont particulièrement sensibilisés à la question du secret professionnel, ce qui est bien normal, car sa violation constitue un délit pénal et peut aussi entrainer des sanctions disciplinaires et civiles.
Expert judiciaire et secret professionnel La présente intervention portera sur le secret professionnel de l’expert judiciaire dans le seul cadre du procès civil.
Demandée par les parties (avant ou pendant le procès) ou ordonnée par le juge, l’expertise s’inscrit dans la problématique de l’administration de la preuve (pour les parties) et la recherche de la vérité (pour le juge) ; elle est encadrée par un certain nombre de règles qui découlent du principe posé à l’article 10 du Code Civil (chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis, peut être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte ou d’amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts)
On peut donc tout faire … mais dans une certaine légitimité…
I – Le secret de l'expert
Il est traditionnellement admis que tous les professionnels qui participent à l’exercice de la justice – fut-ce de façon ponctuelle ou temporaire, comme les experts – sont astreints au respect du secret professionnel (quand bien même ils ne le seraient pas par leur profession) prévu et réprimé par l’article 226-13 du code pénal.
Du code de procédure civile, on rappellera surtout les dispositions de l’article 244: le technicien doit faire connaître dans son avis toutes les informations qui apportent un éclaircissement sur les questions à examiner.
Il lui est interdit de révéler les autres informations dont il pourrait avoir connaissance à l’occasion de l’exécution de sa mission. (…)
Ou encore de l’article 247 : l’avis du technicien dont la divulgation porterait atteinte à l’intimité de la vie privée ou à tout autre intérêt légitime ne peut être utilisé en dehors de l’instance si ce n’est sur autorisation du juge ou avec le consentement de la partie intéressée.
L’obligation au secret de l’expert connaît cependant certaines dérogations, qui relèvent du code pénal (articles 226-14, 434-1, 434-3, 434-11) ou de certaines dispositions spécifiques prévues par d’autres législations, comme par exemple l’article 259-3 code civil en matière de divorce, ou l’article. L 613-20 du code monétaire et financier, ou L 143-10 du code de la sécurité sociale,…
Par analogie avec l’avocat, il faut aussi admettre que l’expert pourra révéler des informations recueillies dans le cadre de sa mission pour les besoins de sa propre défense, par exemple, pour résister à une action en responsabilité qui serait engagée contre lui, ou pour défendre à une contestation relative à sa rémunération.
II – Le secret « contre » l'expert
Lorsque, dans le cadre de l’exécution de sa mission, l’expert recueille des informations couvertes par le secret, il risque, sur le terrain pénal, de se rendre coupable de recel de violation du secret professionnel, avec, comme conséquence sur le terrain civil, l’invalidation du rapport, et la possible mise en jeu de responsabilité civile professionnelle.
Il peut également se heurter au refus opposé par une partie ou un tiers de lui communiquer des informations qui seraient protégées par le secret professionnel, et se trouver ainsi dans l’impossibilité de mener à bien la mission impartie.
Sans prétendre être exhaustif, il convient de rappeler les principales dispositions auxquelles se référer :
Code procédure civile, art. 11 (disp. liminaires) : Les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus.
Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime.
Art. 242 (mesures d’instruction exécutées par un technicien) : le technicien peut recueillir des info orales ou écrites de toutes personnes, en précisant leur identité… 243 : Le technicien peut demander communication de tous documents aux parties et aux tiers, sauf au juge à l'ordonner en cas de difficulté.
Art. 275 : Les parties doivent remettre sans délai à l'expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission. En cas de carence des parties, l'expert en informe le juge qui peut ordonner la production des documents, s'il y a lieu sous astreinte, ou bien, le cas échéant, l'autoriser à passer outre ou à déposer son rapport en l'état. La juridiction de jugement peut tirer toute conséquence de droit du défaut de communication des documents à l'expert.
Les textes organisent donc clairement le recours au juge, juge chargé du contrôle ou juge qui a désigné l’expert, selon les cas – ce qui est logique car le technicien tient ses pouvoirs du juge et est tenu de remplir sa mission (art. 233, 238, …)
La situation de l’expert se révèle de ce fait beaucoup plus confortable que celle de l’avocat qui décide seul et sous son entière responsabilité de produire une pièce de nature confidentielle pour les besoins de la défense de son client…
En pratique, plusieurs séries d’hypothèses peuvent se présenter :
1. Une partie communique une pièce à l’expert mais s’oppose à ce qu’elle soit portée à la connaissance de l’autre partie.
L’expert est ici pris en étau entre le risque de violation du secret et celui de violation du principe de la contradiction. L’un est pénal, l’autre non mais peut entrainer l’annulation du rapport !
Il arrive toutefois que le juge précise dans la mission que l’expert accèdera seul à certaines informations confidentielles : l’expert aura seul accès à un dossier médical, à un listing informatique, … Il est alors libéré de l’obligation de respecter le contradictoire.
2. Une partie – ou un tiers - refuse de communiquer à l’expert la pièce ou l’information qu’elle détient sous prétexte du secret.
L’expert doit d’abord apprécier si l’information ou la pièce litigieuse sont véritablement nécessaires au bon accomplissement de sa mission.
Dans l’affirmative, l’expert devra en référer au juge à qui appartient la solution : il pourra soit ordonner la production de la pièce au besoin sous astreinte, soit inviter l’expert à déposer son rapport « en l’état », la juridiction de jugement devant tirer du refus de production de la pièce les conséquences qui s’imposent …
La jurisprudence est fluctuante : dans le temps, en fonction de la nature propre à chaque type de secret (absolu ou relatif, d’origine législative ou règlementaire, …) des intérêts à privilégier (intérêt privé d’une partie, intérêt collectif d’une profession), des chambres civiles et – surtout – de la chambre criminelle … Ce qui ne manque pas d’inquiéter, en terme de sécurité juridique!
La jurisprudence civile se développe autour de la notion « d’intérêt légitime » pouvant justifier le refus de communication d’une pièce ou d’une information, confronté à l’intérêt légitime de la protection des droits de la partie qui veut y accéder.
Au regard du droit européen, il est admis que la recevabilité des preuves relève d’abord du droit interne, dans le respect des règles du procès équitable.
En conclusion,
L’expert doit toujours veiller à respecter soigneusement les limites de sa mission et ne pas hésiter à recourir au juge chargé du contrôle ou au juge qui l’a commis en cas de doute et impérativement si l’une des parties émet une contestation.
C’est au juge qu’il reviendra de prescrire les mesures appropriées pour éviter la divulgation d’informations confidentielles, lorsqu’une expertise impliquant l’accès à ces informations est nécessaire à la manifestation de la vérité. La Cour de Cassation contrôle l’office du juge sur ce point.
Encore faut-il que les voies de recours soient exercées …
Dans le cas inverse, l’expert peut-il se sentir protégé par la décision du juge qui l’a missionné ou autorisé à accéder à telle information ou à communiquer telle autre ? Est-il pour autant à l’abri de toute poursuite pénale si l’infraction est caractérisée ?
La réponse du pénaliste ne permettra sans doute pas de lever toute incertitude …
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Artsem Martysiuk - Fotolia.com
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