Que reste t-il du soutien abusif?
Auteur : NEVEU Pascal
Publié le :
05/06/2013
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En créant l’article L650-1 du Code de commerce la loi du 26 juillet 2005 a mis fin aux « beaux jours » du soutien abusif qui avait fait naître les plus folles espérances des mandataires mais aussi hanté les nuits agités des banquiers d’affaires.
Responsabilité de la banque ayant retardé l’ouverture de la procédure collective de son clientLa jurisprudence née au titre du soutien abusif avait consacré la responsabilité délictuelle d’un établissement de crédit qui pratique avec une entreprise une politique de crédit ruineux ou qui la soutient artificiellement en connaissance de sa situation irrémédiablement compromise.
Le nouveau texte était donc destiné à mettre fin à ses actions puisqu’il postule que la responsabilité d’un établissement de crédit ne peut être recherchée pour avoir financé une entreprise placée entre temps en procédure collective sauf dans les cas de fraude, d’immixtion ou de garantie disproportionné sur lesquels on reviendra plus loin.
Ce texte était destiné à rétablir la confiance des banques dans le financement des entreprises en difficultés, à supposer qu’elle n’ait jamais existé. Cet objectif répondant selon le Conseil Constitutionnel à un motif d’intérêt général suffisant (Décision n° 2005-522 DC du 23 juillet 2005), s’est traduit, à défaut de jurisprudence, par une réaction doctrinale vivement opposée à cette tentation de déresponsabilisation.
En effet, la Cour de cassation avait affirmé depuis avec une force inégalée la liberté du banquier de consentir un crédit : « Le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quel qu’en soit la forme, de s’abstenir ou de refuser de le faire » (Cass. Ass. Plen. 9 octobre 2006 n° 06-14.975), plus connu sous l’appellation CDR TAPIE.
Or, une telle liberté peut-elle être envisagée sans responsabilité ?
On aurait donc pu penser que les cas envisagés par l’article L650-1 étant restrictifs ils constituaient par eux-mêmes, à les supposer établis, des cas autonomes permettant d’engager la responsabilité de l’établissement financier sans avoir à fournir d’autres preuves.
C’était semble-t-il une interprétation encore trop large de la lecture du texte puisque par un arrêt du 27 mars 2012 (Cass. com. 27 mars 2012 Bull. 2012 IV n° 68) la Cour de cassation est venue indiquer que l’établissement de crédit ne pouvait être tenu pour responsable dans les cas ouverts par la loi que si le crédit ou le concours était lui-même fautif.
Certes, elle a posé cette solution dans une espèce où c’était la disproportion des garanties qui était évoquée et celle-ci par essence n’implique pas nécessairement que le concours soit lui-même fautif. Tout au plus, celui-ci causerait alors un préjudice au crédit de l’entreprise.
Toutefois, cette solution semble être tenue pour acquise, alors qu’on a quand même de la difficulté à imaginer qu’un concours obtenu soit par une fraude, soit par une immixtion caractérisée dans la gestion de la part du banquier ne soit pas fautif.
L’interprétation restrictive de la Cour de cassation apparaît donc mettre un terme aux actions en responsabilité pour financement abusif.
De surcroit l’évaluation du préjudice qui pouvait résulter de ces actions a suivi la même « peau de chagrin ». En effet, c’est seulement l’insuffisance d’actif (Cass. Com 5 mars 1985, Bull. civ. n° 70) et plus encore la seule aggravation de l’insuffisance d’actif enregistrée entre la date du concours et la date du jugement d'ouverture qui peut donner lieu à indemnisation (Cass. Com. 08 janvier 2008 n° 05-17.936).
L’action en responsabilité pour financement abusif ne peut donc en tout état de cause aboutir à replacer le débiteur dans une situation « in bonis », mais seulement effacer, au moins partiellement les conséquences financières d’une liquidation judiciaire.
Toutefois, même réduit à cette portion congrue, l’intérêt n’est pas totalement inexistant puisqu’elle aboutit à priver le liquidateur de l’intérêt d’engager à l’encontre des dirigeants une éventuelle action en responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif (article L.651-2 du Code de commerce), sauf à établir que le préjudice obtenu à l’encontre de l’établissement fautif ne permet pas de couvrir intégralement l’insuffisance d’actif (hypothèse plutôt difficile à envisager).
La détermination de ce préjudice donne souvent lieu à un combat judiciaire acharné.
C’est ce qu’enseigne une décision récente de la Cour de cassation (Cass. com 23 avril 2013 n° 12-22.843).
Dans cette affaire qui concernait la liquidation judiciaire du groupe FELIX POTIN, le mandataire avait recherché la responsabilité de l’établissement prêteur, la BNP, qui avait octroyé des concours financiers, alors que sa situation était irrémédiablement compromise.
Un premier arrêt de la Cour d'appel de Paris avait limité le préjudice à 897.514,39 € en retenant que les dirigeants titulaires de compte courant débiteur avaient leur part de responsabilité puisqu’ils avaient recherché sciemment ces crédits ruineux, opérant en quelque sorte un partage de responsabilité.
Cet arrêt fût cassé (Cass. com 30 septembre 2008 n° 07-17.384) au motif que la réparation ne pouvait être qu’intégrale, l’établissement prêteur pouvant éventuellement rechercher la responsabilité du dirigeant au titre de la part qui lui incombe dans le préjudice.
Encouragé par cette décision le liquidateur saisit à nouveau la Cour d'appel de renvoi de Paris, pour demander une somme de 50.422.030,00 €, soit une sévère inflation.
La Cour de renvoi ne le suit pas jusque là mais double le préjudice initialement arrêté (897.514,39 €) estimant qu’il constitue la limite de l’insuffisance d’actif. Le liquidateur se pourvoit alors en cassation, et l’arrêt de la Cour d'appel de Paris est à nouveau cassé (Cass. com. 15 février 2011 n° 10-15.768).
La Cour de Paris, reprenant pour la troisième fois sa copie, fixe à 5.425.508,00 € le montant de l’insuffisance d’actif, soit environ 10% de la somme réclamée par le liquidateur (Paris, 22 mai 2012).
L’affaire connaît alors son épilogue par l’arrêt du 23 avril 2013 précité qui rejette le pourvoi du liquidateur en rappelant que si l’action en responsabilité fondée sur l’article 1382 du Code Civil postule une réparation intégrale, il ne pouvait en l’espèce obtenir à titre de préjudice que l’aggravation de l’insuffisance d’actif résultant des concours fautifs de la Banque, ce qui ne s’étend pas notamment à la dépréciation des titres des filiales et à la perte de valeur de ces participations.
Reste à savoir si le Banquier fautif et lourdement condamné prendra le risque d’engager une action à l’encontre des dirigeants eux-mêmes fautifs à la supposée non prescrite.
Il n’est pas inutile de rappeler que cette action en responsabilité relevait de la prescription décennale (et non triennale comme pour celle exercée au titre de l’insuffisance d’actif – article L.651-2 alinéa 3 du Code de commerce) mais qu’advenant le 18 juin prochain, la prescription quinquennale résultant de la loi du 17 juin 2008 pourra le cas échéant être opposée (article 2224 du Code Civil).
La jurisprudence publiée ne traduit pas de trace de l’engagement d’une telle action dont le résultat apparaît pour le moins aléatoire.
Toutefois, cette espèce semble désormais appartenir au passé, en l’état de l’article L.650-1 du Code de commerce. Reste à savoir cependant si cette disposition qui a franchi tous les obstacles juridiques sur le plan national n’est pas à l’abri d’un recours en annulation devant la Cour de justice européenne (comme pour les tableaux d’amortissement CEDH 14/02/2006 n° 67847/01), mais ceci est une autre histoire.
Cet article n'engage que son auteur.
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