Affaire Tapie: sur les chances de succès du procès abandonné
Auteur : NEVEU Pascal
Publié le :
16/07/2013
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2013
Le dossier est d’une grande complexité et le caractère restreint de ce modeste article ne permet ni de le développer, ni même de l’aborder de façon satisfaisante, on se contentera donc de rappeler les très grandes lignes.
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Le dossier est d’une grande complexité et le caractère restreint de ce modeste article ne permet ni de le développer, ni même de l’aborder de façon satisfaisante, on se contentera donc de rappeler les très grandes lignes, ce qui expose, il faut bien le reconnaître, à la caricature.
Sur les faits :B.TAPIE, homme d’affaires et redresseur d’entreprises dont la réputation n’était plus à faire, a eu l’opportunité au début des années 1990 de faire l’acquisition, dans des conditions intéressantes, de la société Adidas qui éprouvait alors des difficultés financières et économiques.
Le groupe Tapie (7) en fit donc l’acquisition en étant financé intégralement par son banquier traditionnel, la SDBO (groupe Crédit Lyonnais).
Deux ans plus tard, B.TAPIE, qui souhaitait entrer au gouvernement mais aussi sans doute assainir sa situation financière, a pris la décision de céder cet actif et a donné à son banquier un mandat de vente le 16/12/1992 pour 315 millions d’euros, réalisant au passage une plus-value appréciable au regard du prix d’achat (243 millions d’euros) (8), d’autant qu’il avait échoué dans sa tentative de revente à PENTLAND (REEBOK).
Il faut ajouter que ce mandat avait été accompagné d’un « mémorandum » daté du 10/12/1992, qui prévoyait qu’à son dénouement l’opération permettrait une remontée financière au sein du groupe Tapie afin de lui permettre d’éteindre son endettement.
Usant (et abusant ?) de son mandat, la SDBO va s’entendre avec le groupe Dreyfus pour revendre Adidas en février 1993, pour un montant encore plus considérable (une promesse de vente pour 533 millions d’euros dont le prix sera porté à la levée de l’option à 670 millions d’euros, puisque le prix était lié au redressement de la société) la Banque, encaissant seule une plus-value conséquente.
Elle va pour cela faire appel à des sociétés de son groupe pour organiser un portage financier, dans l’attente de la levée de l’option, ce qui l’exposera plus tard à la critique d’avoir enfreint l’interdiction du mandataire de se porter « contrepartiste », posée par l’article 1596 du Code Civil.
Mais il faut dire que la Banque avait assumé seule tous les risques de l’opération (9) puisque le financement octroyé au groupe Dreyfus avait été fait à des conditions de très faible intérêt (0,5 % !) et surtout avec un « recours limité » ce qui signifiait que si Dreyfus ne levait pas l’option, il n’était pas tenu de rembourser la Banque.
La convention prévoyait en outre que si le prix obtenu était supérieur au principal du prêt, la plus value reviendrait 2/3 au préteur et 1/3 à l’emprunteur et même totalement en cas de remboursement anticipé.
Dreyfus n’a donc accepté l’opération qu’à ces conditions préférentielles qui n’ont pas été sans influence sur le prix proposé. Il aurait tout de même injecté des fonds dans l’entreprise pour permettre sa restructuration financière (10).
Cependant, le Crédit Lyonnais après avoir encaissé seul la très forte plus value puisque calculée au jour de la valeur de l’introduction en bourse d’ADIDAS (1 milliard 67 millions d’euros), s’est estimé libéré de son engagement de rembourser les dettes du Groupe Tapie.
Un moratoire avait pourtant été établi pour l’apurement des dettes du groupe Tapie le 13 mars 1994.
Mais, le Crédit Lyonnais va le dénoncer brutalement et provoquer la liquidation judiciaire de toutes les sociétés (dont des SNC) et par contrecoup celle des époux Tapie.
Au passage, la Banque se fera attribuer les actions de la Holding (BTF S.A.) ayant servi à l’acquisition d’Adidas, pensant ainsi « verrouiller » l’opération et empêcher qu’elle soit tenue à combler le passif du groupe Tapie.
Sur la procédure :Découvrant ultérieurement ce qu’il qualifiera de « manœuvres » de la SDBO et du Crédit Lyonnais, dans le cadre d’une poursuite pénale pour banqueroute, TAPIE et ses liquidateurs vont engager de multiples procédures (au total 12) devant le Tribunal de commerce de Paris dont la plus emblématique avait pour vocation de récupérer la plus-value qui lui aurait été confisquée selon Mr TAPIE.
Après avoir obtenu une première condamnation provisionnelle par le Tribunal de commerce de Paris le 07 novembre 1996 qui ordonnera pour le surplus une expertise, les liquidateurs obtiendront davantage devant la Cour d’appel de Paris le 30 novembre 2005 (après une tentative de médiation qui échouera) puisque celle-ci va leur allouer une somme de 135 millions d’euros (11) à titre de dommages et intérêts (en fait 145 millions, la différence étant due à une erreur matérielle), cette somme représentant en fait le 1/3 de la plus value dont Mr TAPIE aurait été privé.
B.TAPIE avait ainsi réussi le prodige de se faire attribuer la part de la plus-value promise à DREYFUS, au motif qu’il avait été privé de la perte de la chance de la percevoir, s’il avait pu bénéficier du crédit préférentiel accordé par la Banque au cessionnaire,
Cette décision fut vraiment critiquée, au motif qu’elle avait retenu « des fautes inexistantes » et accordé « un préjudice introuvable » (12).
Toutefois, par un arrêt « spectaculaire » de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation rendu le 9 octobre 2006, cette condamnation va être annulée, au motif affirmé avec force que « la banque est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision, qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit, quelle qu’en soit la forme, de s’abstenir ou de refuser de le faire » (13).
La cause a été renvoyée devant la Cour d’appel de Paris, mais celle-ci n’aura jamais l’occasion de statuer puisqu’elle sera dessaisie au profit d’un tribunal arbitral.
Que « valait » donc ce procès qui a été abandonné au milieu du gué ?Evidemment, il faut tenter de répondre à cette question avec beaucoup de prudence car la solution finale n’a jamais été connue.
Il existe cependant des éléments objectifs pour forger une conviction sur l’orientation du procès.
Certes l’obtention d’une décision de cassation pour une partie n’est jamais l’assurance d’obtenir gain de cause devant la Cour de renvoi qui statue à nouveau en fait et en droit (article 625 du CPC).
Toutefois, une décision de cassation n’est jamais neutre, surtout lorsqu’elle émane, comme en l’espèce, de l’Assemblée plénière (14) de la Cour de cassation, car le pouvoir de la Cour de renvoi se trouve alors limité dans la mesure où elle ne peut plus remettre en cause les points de droit qui ont été tranchés (article L 431-4 alinéa 2 du COJ).
Il faut donc identifier les points de droit qui avaient été tranchés par l’Assemblée plénière en se reportant aux moyens qui constituent la base de la cassation (article 624 du CPC).
La cassation est tout d’abord intervenue sur le deuxième moyen qui critiquait la Cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité du Crédit Lyonnais sur le terrain des articles 1134 et 1165 du Code civil pour immixtion dans l’exécution du mandat.
Or le Crédit Lyonnais n’était pas une partie contractante et son immixtion prétendue n’était pas de nature à caractériser un mandat apparent.
Sa mise hors de cause aboutira en définitive à l’exclure de l’arbitrage.
La cassation est ensuite (et surtout ?) intervenue au titre du premier moyen (branches 3 et 4) qui critiquait la Cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité du CDR et du Crédit Lyonnais pour s’être abstenus de proposer au groupe Tapie les mêmes conditions favorables de crédit (recours limité) consenties au groupe Dreyfus affirmant à cette occasion et de façon inégalé la liberté du banquier de consentir un crédit.
Dès lors, les liquidateurs du groupe Tapie se voyaient fermer les deux pistes les plus importantes qui leur avaient permis d’obtenir satisfaction devant la Cour d’appel.
En effet, que devient la responsabilité délictuelle du Crédit Lyonnais s’il n’est plus possible de lui reprocher une immixtion dans le mandat litigieux ?
Que devient la responsabilité contractuelle de SDBO ou du Crédit Lyonnais s’ils étaient libres de fournir leurs crédits de façon discrétionnaire ?
Certes, il pouvait être reproché à la Banque de ne pas avoir (officiellement) informé B. TAPIE de ses engagements avec Mr DREYFUS, mais comment le groupe Tapie, en grande difficulté financière, aurait-il pu prétendre sérieusement poursuivre pendant plusieurs années le redressement et la restructuration d’Adidas pour revendre l’entreprise avec profit ?
Quelle est donc la chance de réaliser une opération fructueuse qui aurait été perdue, et qui aurait alors pu être invoquée par les liquidateurs ?
La difficulté de répondre à ces question montre bien que la banque était en situation de force après la cassation, ce que ses conseils n’avaient pas manqué de souligner en lui adressant des notes détaillées (15).
De plus, à supposer qu’une responsabilité soit établie, quelle condamnation la banque pouvait-elle craindre ?La thèse de la Cour d’appel de Paris, qui s’était basée sur la perte d’une chance d’obtenir 1/3 de la plus-value, avait été nettement condamnée par la Cour de cassation qui n’avait retenu pour justifier le droit à agir des liquidateurs que le « préjudice personnel » de la société GTB.
En effet, l’arrêt de l’Assemblé plénière justifie la recevabilité de l’action des liquidateurs au titre du seul préjudice personnel résultant de « la privation des fonds affecté par le mémorandum au remboursement des dettes » de la société GTB.
C’est dans cette limite très stricte qu’il fallait apprécier le risque encouru par la Banque.
Au demeurant, on conçoit mal que des liquidateurs judiciaires qui engagent une action dans l’intérêt collectif des créanciers puissent obtenir davantage que le paiement du passif.
L’arrêt de cassation rejoint donc le principe qui avait toujours été défendu dans ce dossier, selon lequel si une solution devait être trouvée, elle ne pourrait avoir comme résultat que de rendre M. TAPIE « ni riche, ni failli ».
Autrement dit, tout le passif, mais uniquement le passif et rien de plus, soit selon les données accessibles 167 millions d’euros .
Mais il faut ajouter cette précision importante, puisque le préjudice était demandé sur le fondement de la perte d’une chance, la réparation ne pouvant être que partielle, car suivant la formule consacrée : « elle doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance, si elle s’était réalisée. »
Le risque maximum se situe donc fort loin des limites acceptées par le CDR dans le compromis d’arbitrage, soit 295 millions d’euros au titre du préjudice matériel augmenté des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 1994 (soit 403 millions d’euros), 50 millions d’euros au titre du préjudice moral, des frais de liquidation pour le CDR soit 1,8 million d’euros et des frais d’arbitrage, 1 million d’euro, soit au total 455,8 M€ !
Les chances de gagner le procès étaient donc bien réelles et le risque encouru était bien plus faible que celui, démesuré, accepté dans le cadre de l’arbitrage.
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Index:
(7) En fait c’est la Holding BTF (Bernard Tapie Finance) par le biais d’une filiale Allemande la société BTFgmbh qui en a fait l’acquisition.
(8) Les prix étant alors en francs, on ne donnera que les contrevaleurs en euros.
(9) Une commission d’enquête parlementaire avait été réunie à l’époque, pour faire la lumière sur cette opération.
(10) On parle de 78 millions d’euros, ce qui souligne que contrairement à ce que prétend TAPIE la santé financière d’Adidas était loin d’être florissante même après son intervention.
(11) Il s’agirait de la plus importante condamnation jamais prononcée par une juridiction française
(12) (X. LAGARDE, Observations critiques sur une affaire médiatique Dalloz 2005, Chronique 2945).
(13) Cet arrêt a été approuvé dans son ensemble par la doctrine (X. DELPECH, Dalloz 2006, Act. Jur. P. 2525, Dimitri HOUTCIEFF, Dalloz 2006, Juris. P. 2933)
(14) Les conditions de la réunion de cette Assemblée plénière méritent d’être rappelées : l’avocat général, avait conclu que le préjudice invoqué par B. TAPIE ne pouvait s’analyser en la perte d’une chance. Mais ce rapport ayant été diffusé accidentellement, le Premier Président de la Cour a dessaisi la Chambre Commerciale au profit de l’Assemblée Plénière (Cf. Recueil DALLOZ Act. Jur. Observations DELPECH P. 2525)
(15) Dans le contenu a été rappelé devant la commission parlementaire.
(16) 87 millions pour le Crédit Lyonnais après compensation du prix encaissé par suite de l’attribution des actions, 70 millions pour les autres créanciers, les frais de justice étant, dans cette hypothèse, exclus.
Cet article n'engage que son auteur.
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