Affaire Tapie: le litige était-il "arbitrable"?
Auteur : NEVEU Pascal
Publié le :
21/08/2013
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Une question inédite se pose dans la mesure où cet arbitrage a été conduit avec des parties en liquidation judiciaire : les règles de celles-ci pouvaient-elles faire échec à « l’arbitrabilité » du litige ?
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Arbitrage Tapie« Un bon procès vaut mieux qu’un mauvais arrangement » (9)
La faculté de compromettre (à distinguer de celle de transiger) n’est pas incompatible avec une procédure collective, mais elle est alors soumise à des conditions procédurales strictes (10). Ainsi, cette faculté n’est pas paralysée par la procédure collective lorsqu’elle s’inscrit dans un arbitrage ouvert en vertu d’une clause figurant dans un contrat en cours, la clause compromissoire devant être respectée comme le sont en principe toutes les clauses et conditions d’un contrat en cours lors de l’ouverture de la procédure collective.
En revanche, la situation est plus délicate lorsque l’arbitrage est décidé après l’ouverture de la procédure collective.
C’était le cas dans l’affaire TAPIE puisque les sociétés du « groupe TAPIE », principalement Groupe Bernard Tapie (GBT) et Financière Immobilière Bernard TAPIE (FIBP), sociétés en nom collectifs, et leurs associés personnes physiques, Mr et Mme TAPIE, ont été placés en procédure collective le 30 novembre 1994 (à l’époque et par le jeu de l’ancien article L624-1 du code de commerce, les associés en nom collectif se voyaient étendre automatiquement la procédure collective au motif qu’ils étaient tenus sans limitation du passif des sociétés, disposition abrogée par la loi du 26 juillet 2005). Ces procédures ont été converties en liquidation judiciaire le 31 mai 1995.
Le fameux arbitrage n’a été entamé qu’en janvier 2008, soit donc près de quatorze ans après l’ouverture des procédures collectives. Les liquidateurs ont fait le choix très discuté aujourd'hui de recourir à un arbitrage et ils ont pour cela sollicité l’autorisation du juge commissaire de compromettre sur le fondement de l’ancien article L.622-20 du code de commerce alors applicable.
Le recours à cet arbitrage faisait donc échapper à la compétence du tribunal de la procédure collective le règlement d’un litige qui devait lui échoir à raison des dispositions d’ordre public qui régissent les procédures collectives (11).
Cette compétence spéciale issue de l’article R.662-3 du code de commerce (qui reprend l’ancien article 174 du décret du 26 décembre 1985) concerne les actions qui sont nées de la procédure collective, ou encore les actions dans lesquelles le droit de la faillite exerce une influence sur la solution du litige.
Les faits du litige ADIDAS remontent au début des années 90 et sont donc largement antérieurs à l’ouverture de la procédure collective. On pouvait donc en conclure à première analyse que le litige n’était pas né de la procédure collective. Mais les règles de la procédure collective exerçaient elles une influence sur le litige ?
Les mandataires avaient mis en œuvre, le 21 février 1996, une action sur le fondement de l’intérêt collectif des créanciers. Certes, il s’agissait principalement d’une action en responsabilité à l’égard d’une banque, ce qui ne justifie pas en principe sa soumission à la compétence du tribunal de la procédure collective, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, du moins pour un financement fautif (Cass. com. 15/12/2009, n° 08-18.728).
Cependant, la solution doit être nuancée lorsqu’il s’agit d’un financement artificiel ou abusif qui retarde la constatation de l’état de cessation des paiements.
Le litige exerce alors une influence sur l’ouverture de la procédure collective et les règles de celle-ci s’appliquent à la résolution du litige puisque le liquidateur, qui agit en responsabilité, le fait alors dans l’intérêt des créanciers, ce qui conduit à exclure la compétence du tribunal arbitral. La Cour de cassation l’ayant retenu même en présence d’une clause compromissoire (Cass. com. 14 janvier 2004, Bull. Civ n°10).
C’était le cas en l’espèce puisque les liquidateurs des sociétés du groupe TAPIE ont toujours prétendu que le comportement des banquiers (SDBO, Crédit Lyonnais, puis CDR) était à l’origine de l’ouverture des procédures collectives dans la mesure où ils avaient rompu abusivement un protocole d’apurement des dettes en date du 13 mars 1994 et provoqué ainsi l’état de cessation des paiements des sociétés.
Les liquidateurs avaient d’ailleurs fondé cette action en responsabilité à l’égard des Banques pour soutien abusif mais aussi pour liquidation abusive (le motif était peut être alternatif (12)). Les liquidateurs avaient de plus soutenu que l’attribution judiciaire du gage à la Banque (SDBO) des titres de la société BTF autorisée par une décision du Juge Commissaire du 25 octobre 1995 était frauduleuse.
Il était dès lors difficile d’affirmer que les règles des procédures collectives n’exerçaient aucune influence sur le litige soumis à l’arbitrage ou que ce litige n’aurait pu naître sans l’existence des procédures collectives.
La meilleure preuve résulte du fait que postérieurement à la décision rendue sur l’arbitrage, le tribunal de commerce de Paris a procédé à la révision, au sens de l’article 593 du code de procédure civile, des jugements d'ouverture par des décisions en date du 06 mai 2009, estimant donc que l’état de cessation des paiements des sociétés n’aurait jamais dû être constaté.
Il résulte de ces jugements que les actions engagées par les liquidateurs exerçaient non seulement une influence sur les règles de la procédure collective mais reposaient même sur des faits qui avaient pour origine l’ouverture de celle-ci et que dès lors les litiges et les procédures collectives apparaissaient indissociablement liés.
Le tribunal de commerce de Paris a donc nécessairement considéré que les banquiers, en plaçant les sociétés du Groupe TAPIE en état de cessation des paiements, avaient agi par fraude au sens de l’article 595 alinéa 1 du code de procédure civile.
Les exemples de révisions de jugements d’ouverture sont extrêmement rares (13). D’ailleurs cette question ne semble pas avoir donné lieu à une production significative de la doctrine. Il est vrai que la plupart des demandes se heurte à une irrecevabilité tirée de la tardiveté du débiteur à agir (Civ.3, 9 mars 2010, n° 09-12.203 ; Paris 25/05/2010 Pole 5 Ch. 08 n° 09/03095, Aix-en-Provence 15/11/2007 8e ch A n° 05/9272, en sens contraire Paris 15 Ch B, 01/06/2007 n° 05/20267 mais pour l’admission d’une créance). On rappellera en effet que l’action doit être engagée dans les deux mois du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision.
Ce délai très bref a été jugé suffisant, même en cas de liquidation judiciaire d’un débiteur personne morale qui se trouve dépourvue de représentation, et est contraint d’obtenir la désignation d’un mandataire ad hoc en vue d’introduire un tel recours (Civ. 2, 05 mars 2009, Bull. civ. II, n° 68), et ce bien que la Cour de Justice Européenne ait sanctionné la France (CEDH 8 mars 2007, Dalloz 2008 Pan. 570, note FX Lucas) ce qui ne serait plus le cas aujourd'hui en raison de la nouvelle rédaction de l’article L.641-9 du code de commerce.
Cependant, les sociétés du groupe TAPIE ainsi que les époux TAPIE ont pu convaincre le tribunal de commerce de Paris (seul compétent pour réviser les décisions qu’il avait lui-même rendues), qu’ils avaient bien agi dans le délai de deux mois de l’article 596 du Code de procédure civile, ce qui ne manque pas de surprendre lorsqu’on rappelle qu’ils avaient engagé leur action en responsabilité à l’encontre de la Banque dès 1996.
Quoi qu’il en soit, il apparaît que le litige engagé par les liquidateurs exerçait une influence déterminante sur l’existence des procédures collectives, que les règles les gouvernant exerçaient une influence sur sa résolution, et que dès lors le litige aurait dû être soumis au tribunal de la procédure collective.
On peut donc se poser la question de savoir si des créanciers n’auraient pas été tentés d’engager une tierce opposition-nullité pour excès de pouvoir à l’encontre de l’ordonnance du Juge Commissaire autorisant les liquidateurs à compromettre ? La question ne s’est sans doute posée qu’à l’issue de l’arbitrage. Mais à ce stade, les créanciers ayant été payés, ils n’avaient plus d’intérêt à agir.
Toutefois, lors du prononcé de l’ordonnance, cet intérêt pouvait exister car, par définition, le sort de la décision d’arbitrage ne pouvait être par avance connu et ce quelle que soit la suspicion qui l’entoure désormais.
Existait-il des contrôleurs de la procédure collective auxquels la décision du juge commissaire aurait été notifiée, leur ouvrant alors un recours ?
L’histoire ne le dit pas.
Toutefois, le Crédit Lyonnais aurait été bien avisé d’être vigilant et aurait pu engager un tel recours puisque son Président de l’époque (14) s’est toujours déclaré opposé au principe même de l’arbitrage.
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Index:
(9) Titre paraphrasant une citation de Honoré de Balzac.
(10) Article L622-7 du Code de commerce
(11) LE CORRE P-M., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2013/2014, n°422.33, « compromis et transaction ».
(12) Le jugement du 07/11/1994 du Tribunal de commerce de Paris condamnera d’ailleurs la SDBO pour soutien abusif à une provision de 600 millions de francs (environ 90 millions d’euros), ce n’est qu’en appel que la demande des liquidateurs se fondera sur une exécution dolosive des accords conclus entre les parties et visera à être indemnisé de « la fameuse plus value » fixée à 135 millions d’euros, ce qui constitue la plus importante condamnation jamais prononcée par une juridiction française.
(13) Monsieur Bernard TAPIE le reconnaît lui-même puisqu’il indique dans son livre « Un scandale d’Etat, oui ! Mais pas celui qu’ils vous racontent » page 167 que « seules quelques révisions auraient abouti au cours des cinquante dernières années » sans que l’on sache d’où est tirée cette statistique.
(14) Monsieur PEYRELEVADE a déclaré à propos de la sentence arbitrale devant la Commission Parlementaire qu’elle était « mensongère, j’insiste sur le mot, par incompétence ou par mauvaise foi, je vous laisse le choix ».
Cet article n'engage que son auteur.
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