La concentration des moyens devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)
Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le :
19/05/2015
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La position de la CEDH sur le principe prétorien de concentration des moyens consacré par la décision de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 7 juillet 2006 était attendue, au regard du droit d’accès à un tribunal résultant de l’article 6 de la convention éponyme.La position de la CEDH sur le principe prétorien de concentration des moyens consacré par la décision de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 7 juillet 2006 (1) était attendue, au regard du droit d’accès à un tribunal résultant de l’article 6 de la convention éponyme.
C’est par un arrêt du 17 mars 2015 que la CEDH a été amenée à se prononcer (2).
Dans cette affaire, le requérant M. Barras, tentait depuis l’année 2000 de récupérer, pour y loger son propre fils, un bien immobilier dont sa défunte grand-mère avait laissé l’usage à un couple d’anciens gardiens sans en fixer la durée.
Sa première action, accueillie favorablement par le Tribunal de grande instance de Lisieux, avait été rejetée par la Cour d’appel de Caen par décision du 3 septembre 2002.
En l’état de la position de la Cour de cassation ayant alors cours sur le sujet et qui refusait au prêteur tout droit de résiliation unilatérale du prêt à usage à durée indéterminée, il avait renoncé à former un pourvoi en cassation.
Mais, par une décision du 3 février 2004, la Cour de cassation se rangeant aux critiques récurrentes d’une partie de la doctrine, modifiait sa jurisprudence et admettait la possibilité, pour le propriétaire de mettre fin au prêt à usage à durée indéterminée.
En janvier 2005, le sieur Barras engageait une nouvelle procédure en vue de l’expulsion des occupants, rejetée par jugement du 23 mars 2006.
Il en relevait appel, tandis que le 7 juillet 2006, l’assemblée plénière de la Cour de cassation consacrait le principe dit « de concentration des moyens », sanctionnant de la fin de non recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, la demande présentée entre les mêmes parties et tendant aux mêmes fins, sur des fondements juridiques différents.
Par arrêt du 30 octobre 2007, la Cour d’appel de Caen jugeait la demande de M. Barras irrecevable comme ayant été précédemment jugée.
Le 24 septembre 2009, la Cour de cassation rejetait son pourvoi.
Il se tournait, en désespoir de cause, vers la CEDH, invoquant une atteinte au droit d’accès à un tribunal et au procès équitable, s’estimant privé de la faculté de bénéficier d’un revirement jurisprudentiel favorable, lequel constituait un fait nouveau qui aurait dû faire échec au principe de concentration des moyens. Il se plaignait enfin d’une atteinte au respect de son bien en violation de l’article 1er du Protocole n° 1.
► Sur le principe de concentration de moyens:
La CEDH rappelle que les Etats peuvent, dans une certaine mesure et dans un but légitime, limiter le droit d’accès au juge. L’objectif de réduire le risque de manœuvre dilatoire de la part d’un plaideur constitue par ailleurs un objectif légitime.
Toutefois, en l’espèce, le sieur Barras pouvait difficilement être taxé de manœuvre dilatoire en n’ayant pas soulevé dès la première instance, c'est-à-dire entre 2000 et 2002, le moyen tiré du revirement jurisprudentiel intervenu en 2004, fut-il attendu et espéré…
Mais de façon plus générale, et si l’on se reporte aux travaux ayant présidé à l’adoption du principe de concentration des moyens, cette limitation de l’accès au juge ne peut sanctionner que les plaideurs qui se sont abstenus de soulever un moyen dans un but dilatoire.
Il doit donc s’agir d’une inaction volontaire, et non d’un simple oubli ou d’une négligence dans la conduite du dossier.
Ce serait alors à la partie qui oppose le principe de concentration des moyens, voire au juge qui le relève d’office, d’établir l’abstention volontaire et dilatoire.
Ce n’est pourtant pas ce qui semble découler des décisions rendues…
Faut-il en conclure que pèse désormais sur les plaideurs, avec l’aval de la CEDH, une présomption (simple ? irréfragable ?) de mauvaise foi dans la conduite de la procédure, le simple fait d’évoquer à l’occasion d’un second procès un fondement de droit omis dans le précédent caractérisant la manœuvre dilatoire ?
► Sur la portée du revirement de jurisprudence:
Sur le point de savoir si un demandeur débouté par une décision irrévocable peut invoquer une modification ultérieure de l’état du droit (au demeurant, la loi ne disposant, en principe, que pour l’avenir, la question semble bien se limiter à la seule jurisprudence et à la portée de ses revirements), la Cour – qui se pose bien la question – n’y répond pas directement, se bornant à relever que le requérant n’a pas été empêché de bénéficier du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation le 3 février 2004 du fait de l’application du principe de concentration des moyens, mais que sa deuxième procédure était fondée non sur le droit de résiliation du prêteur nouvellement reconnu, mais sur un défaut d’entretien, tout comme la première.
On pourrait donc en conclure que le principe de concentration des moyens ne fait pas obstacle à l’introduction d’un second procès fondé sur un droit reconnu à la suite d’un revirement de jurisprudence …
► Sur l’atteinte aux biens:
Enfin la Cour estime que le requérant ne peut se plaindre d’une atteinte aux biens, puisqu’il a lui-même fondé sa seconde action sur un défaut d’entretien du bien par les occupants et non sur la nouvelle jurisprudence dont il n’a pas sollicité l’application.
Pourtant, il résulte de l’arrêt (§ 25, thèse du gouvernement) que M. Barras avait bien sollicité devant la Cour, à titre subsidiaire, le bénéfice du droit de résiliation unilatérale du prêt à usage, tendant aux mêmes fins que sa demande principale, savoir l’expulsion des occupants.
Il ne resterait donc plus à M. Barras qu’à donner un nouveau congé motivé au regard du seul droit de résiliation unilatérale, comme l’arrêt le lui suggère, puisqu’il semble que sa volonté de mettre un terme au contrat de prêt à usage, de congédier les occupants et de reprendre l’usage de son bien ne transparaissait pas suffisamment de ses démarches procédurales entreprises depuis plus de quinze ans…
Index:
(1) Cass. ass. plén. 7 juillet 2006, n°04-10.672 (Il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci.)
(2) Requête n° 12686/10
Cet article n'engage que son auteur.
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