Déchéance de nationalité : le grand « tohu-bohu »
Auteur : NEVEU Pascal
Publié le :
02/02/2016
02
février
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2016
A la fin 2015, alors que chacun aspirait à un peu de repos après les événements tragiques qui ont émaillé cette année, la question de la déchéance de la nationalité a surgi brusquement dans le débat politique, provoquant un réchauffement médiatique majeur, alors que nous sortions à peine de la COP 21.Pourtant, cette question aurait pu rencontrer un consensus national, même si elle apparaissait comme une faible réponse à une horreur aveugle, qui n’en porte pas moins les couleurs de la France[1].
Cette mesure est, d’ailleurs, approuvée massivement par les français (près de 85 % si l’on en croit les sondages évoqués[2]).
Mais la politique s’est emparée de la question et l’on assiste à un déferlement d’anathèmes, une cacophonie d’arguments, où chacun semble vouloir se faire entendre, ce qui, il faut le dire, est assez naturel en politique mais aboutit à un vacarme qui empêche toute réflexion.
On qualifie la mesure de « droite » ou plus précisément « d’extrême droite », pour mieux la disqualifier, mais en tout cas nullement de « gauche », alors que 80 % des électeurs socialistes l’approuveraient[3].
La parole politique apparait de ce fait plus que jamais en décalage avec l’opinion, ce qui ne manque pas d’inquiéter.
Il est vrai que la question de la nationalité est devenue un sujet tabou et anxiogène en France sur lequel « la moindre proposition tendant à la modifier déchaine des débats passionnés voire des manifestations de rue » alors qu’elle ne l’était pas par le passé[4].
Cependant, cette mesure n’est pas par nature politique, elle est avant tout juridique, puisqu’elle tend à modifier le Code Civil[5], ce qui ne devrait pas susciter de telles passions.
Il apparait donc plus satisfaisant de tenter d’aborder la question sur le plan du droit, car cela permet une analyse plus rigoureuse et apaisée.
Déjà, lors de l’élaboration du Code Civil, le projet avait été ajourné par le Gouvernement, au motif que « le temps n’est pas venu, où l’on portera dans les grandes discussions le calme et l’unité d’intention qu’elles demandent ». [6]
Pourtant, le besoin d’un Code Civil était à l’époque si pressant que l’ajournement ne fut pas de longue durée mais, avant d’être porté devant le corps législatif, le texte fut largement discuté lors des travaux préparatoires par d’éminents jurisconsultes.
Évidemment, « comparaison n’est pas raison » et le texte sur la déchéance de la nationalité n’a pas l’ambition que pouvait avoir à l’époque l’élaboration d’un monument juridique comme le Code Civil Français ; toutefois, lorsqu’une grande discussion suscite de telles passions, il faut sans doute revenir à la méthode qui a présidé à son élaboration.
On rappellera qu’avant de « graver dans le marbre » les articles du Code, les jurisconsultes, devaient répondre par l’affirmative à deux questions et à deux seules, car elles sont essentielles dans l’articulation d’un texte de Loi[7] :
- Est-ce juste ?
- Est-ce utile ?
Pour être complet sur cette dernière question, il faudrait en ajouter une troisième, subsidiaire :
- Est-ce suffisant ?
Certes, cette démarche n’habite plus aujourd’hui l’esprit du législateur et c’est bien dommage lorsqu’on constate l’incohérence et le dédale des textes adoptés aujourd’hui[8].
Toutefois, avant d’aborder ces questions substantielles, il est nécessaire de rappeler les conditions dans lesquelles on acquiert la nationalité française ou on la perd, avant d’aborder le projet du Gouvernement.
On constatera, à l’issue de ce bref examen, que contrairement à ce qui est généralement prétendu, le droit de la nationalité française reste encore essentiellement gouverné par la filiation, c'est-à-dire le « sang » et non par le sol, qui intervient de façon subsidiaire, et que la mécanique juridique en est particulièrement complexe car elle a évolué au fil des années, sans esprit de cohérence et pour des raisons étrangères au droit des personnes.
Cette évolution s’est faite en fonction des conflits armés et de la nécessité du recrutement ou encore, en raison de la politique de décolonisation ou de celle d’immigration.
Le droit de la nationalité, si l’on peut oser cette image, semble un accordéon qui se gonfle ou se vide suivant les circonstances.
Ce rappel est indispensable, car il est symptomatique de constater que ceux qui s’expriment de la façon la plus véhémente ou péremptoire sur le sujet, ne sont pas toujours au fait du droit applicable.
Les points suivants sont abordés dans plusieurs articles (cliquer sur le titre pour y accéder):
I – Comment la nationalité française s’acquiert, s’obtient ou se perd?
a) L’attribution par la filiation
b) L’attribution par le sol
c) L’acquisition volontaire
d) La perte
Par la déchéance
Par le retrait
II – Sur le projet du Gouvernement
III – La déchéance de la nationalité est-elle une mesure juste ?
a) De la Notion du juste en société
b) Sur le plan du principe et de la législation
c) Au regard des textes européens
d) Sur le plan de la procédure
IV – La déchéance de la nationalité est-elle une mesure utile ? Est-elle suffisante ?
A- De l’utilité
a) De l’apatridie
b) De la rupture de légalité
c) Les fausses pistes de l’indignité nationale et de la dégradation civile
B- Est-ce suffisant ?
Index:
[1] Il faut rappeler que les frères KOUACHI étaient français, nés de parents algériens, que A. COULIBALY était également français de naissance, bien qu’issu d’une famille d’origine malienne, et que son épouse HAYAT BOUMEDDIENE, actuellement réfugiée en Syrie, est également française. Enfin, trois membres du commando des attentats du 13 novembre étaient de nationalité française.
[2] Notamment : sondage Opinion Way Le Figaro 31/12/2015
[3] idem
[4] Pierre GUIHO s’exprime en ces termes, observant le décalage entre la vaste réforme de 1973 et celle de moins grande ampleur de 1993, in : « la nouvelle révision du code de la nationalité et son abolition » D. 1994 Chronique 1
[5] Le Code Civil de 1804 a inclus le droit de la nationalité, mais cette inclusion a fait par la suite débat car la matière relève aussi bien du régime de la personne privée que de celui de l’Etat. Elle a d’ailleurs fait pour cette raison des « aller-retour » au profit de l’ancien Code de la Nationalité en 1945, puis de nouveau au profit du Code Civil en 1993.
[6] AUBRY et RAU – le Droit Civil Français – 1869, introduction.
[7] « Si l’on fixe son attention sur les lois civiles, c’est moins pour les rendre plus sages ou plus justes, que pour les rendre plus favorables à ceux auxquels il impute de faire goûter le régime qu’il s’agit d’établir » Portalis Discours préliminaire du premier projet de Code Civil (1801)
[8] « Il ne faut point de lois inutiles : elles affaibliraient les lois nécessaires » Portalis, Discours préliminaire sur le premier projet de Code Civil (1801)
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © pict rider - Fotolia.com
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