Arbitrage TAPIE : « Un bon procès vaut mieux qu’un mauvais arrangement »
Auteur : NEVEU Pascal
Publié le :
12/07/2013
12
juillet
juil.
07
2013
Partie 1:
Introduction Si un dicton est bien ancré dans le langage populaire, et n’est au demeurant pas dénué de pertinence, c’est bien celui qui voit dans un mauvais arrangement plus de vertus que dans un bon procès. Il est vrai que Honoré de Balzac n'y est pas étranger.
Seulement, tout n’est pas définitivement écrit et l’arbitrage, qu’il faut désormais qualifier de « Tapie », est en train de démontrer le contraire, au point où l’on recherche maintenant (soit près de cinq ans après le prononcé de la sentence) désespérément comment retrouver « la terre ferme », c’est-à-dire le « bon procès » alors que les « sables mouvants de l’arbitrage » engloutissent un à un tous ses participants à la plus grande joie de la presse et des médias qui l’ont d’ores et déjà choisi comme le feuilleton de l’été dans la mesure où chaque jour apporte désormais son lot de révélation.
Mais aussi à la satisfaction plus discrète du pouvoir en place qui y voit un contre-feu au « scandale Cahuzac » qui l’a durablement affecté et même peut être un moyen de faire obstacle à une éventuelle et future candidature du président sortant.
La personnalité de Tapie, très haute en couleurs et qui n’hésite jamais à en rajouter (il vient de traiter de « faux-cul » Monsieur De Courson dans les colonnes du Figaro), donnent à cette tragi-comédie des allures de trilogie (1) que n’aurait pas renié Marcel Pagnol, et qui vient de ressortir opportunément au cinéma dans une version rafraîchie.
Cependant, le coût exceptionnel de cette représentation qui s’élève à 403 millions d’euros (2) ôte au spectateur / contribuable toute envie de rire de cette comédie légère.
D’autant que, grandement mis à contribution ces derniers temps, ce dernier n’apprécie guère devoir faire face à cette charge dont il se serait volontiers passé. Elle fait en revanche l’affaire des liquidateurs qui ont pu clôturer leurs procédures et encaisser au passage 1,8 million d’euros au titre de frais de justice, des époux Tapie qui ont encaissé entre 200 et 220 millions d’euros selon les hypothèses avant fiscalité (3) mais aussi du Crédit Lyonnais qui voit sa créance payée (certes par compensation) mais qui conserve surtout la plus-value encaissée lors de la vente Adidas au groupe Dreyfus (884 millions d’euros si l’on en croit Mr TAPIE). Mais il faut ajouter à ce cortège de « gens bienheureux », tous les autres créanciers du groupe Tapie (et notamment les autres banques) qui se voient ainsi réglés à 100% (pour un coût estimé à 70 millions d’euros) - ce qui est évidemment exceptionnel dans une liquidation judiciaire.
Mais, si tous les acteurs intéressés du dossier sont déjà « passés à la caisse », ce n’est pas encore le cas du contribuable qui ignore toujours le montant de l’addition qui va lui être présentée. En effet, le CDR, qui a réglé les condamnations, ne l’a fait qu’en partie avec ses fonds propres (1/4). Le solde, c’est-à-dire l’essentiel (3/4), a été emprunté auprès… du Crédit Lyonnais à un « taux raisonnable », ce qui ne rassure qu’à moitié !
Dès lors, la dette porte toujours intérêts au bénéfice de celui qui a été désigné comme le principal responsable, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes de cette affaire extraordinaire…
Bien entendu, cette dette devra être remboursée par l’Etat, mais celui-ci n’a pas été d’une grande prévoyance puisqu’il s’est abstenu de toute dotation au budget depuis environ cinq ans. Il va donc falloir refinancer « copieusement » le CDR en principe en 2014, date prévue pour sa dissolution. La note risque d’être particulièrement salée (on parle de 5 milliards d’euros) ce qui ne fait nullement les affaires du gouvernement qui est déjà aux prises avec un « casse-tête » pour boucler son budget de 2014 et qui peut expliquer aussi son grand activisme sur le dossier.
Cette affaire ne constitue en réalité que la « queue de la comète » du scandale du Crédit Lyonnais, sans doute le plus grand de la Vème République (coût estimé à 24 milliards ; 15 pour le passif et le reste en recapitalisation et frais de gestion) éclipsant ceux pourtant bien plus nombreux qui ont émaillé la République précédente. Davantage qu’un complot politique, thèse développée par beaucoup d’observateurs et qu’il faut manier avec les plus grandes précautions, cette affaire démontre que la gestion d’un dossier de cette envergure par un organisme ad hoc (le CDR), bénéficiant de la garantie de l’Etat a été une « fausse bonne idée », car sa gestion en a aggravé le coût pour les finances publiques. C’est le véritable naufrage d’une « gouvernance d’état » qui a multiplié les fautes, les erreurs, les mauvaises décisions, la mauvaise coordination ou encore la mauvaise circulation des informations entre les intervenants.
Il faut donc se demander si ce n’est pas les Américains qui ont eu raison en laissant sombrer la banque Lehman Brothers ?
C’est du moins la conclusion qui semble ressortir de la longue mission confiée à une commission parlementaire menée de 2008 à 2011 sous la direction de Monsieur CAHUZAC .
Que dès lors penser du devenir de la Banque publique d’investissement (BPI France) ? On doit avoir les plus grandes inquiétudes sur cette « Banque d’Etat » qui semble partie pour reproduire les mêmes erreurs. Comment d’ailleurs peut-on prétendre « gouverner » la finance alors que l’on nous a dit qu’elle était « l’ennemi » ?
L’arbitrage Tapie, pose au juriste les questions suivantes :
- le procès était-il si mauvais qu’il ne fallait pas le poursuivre ?
- le recours à l’arbitrage était-il justifié et légal ?
- le litige était-il « arbitrable » ?
- comment l’arbitrage a-t-il été conduit et la décision d’arbitrage était-elle acceptable ?
- Et maintenant, que penser des chances de succès des recours engagés ?
Index:
(1) On peut d’ailleurs s’amuser à répartir les rôles, qui semblent échoir en premier lieu au CDR qui serait César, père outragé, à M. Tapie - Marius, fils aventurier et félon, et à Mme Lagarde - Fanny, femme abandonnée à son déshonneur. Mais on peut continuer la distribution en attribuant à M. Guéant le rôle d’Escartefigue, à Stéphane Richard celui de Mr Brun et enfin celui de Panisse peut être à M. Sarkozy, quelle belle partie de belotte !
(2) Selon l’arrêté de compte suivant :
Créance avec intérêts des liquidateurs du groupe Tapie 403 millions d’euros
Franchise (à prendre en charge par les liquidateurs ou le Lyonnais) - 12 millions
Compensation avec les créances du Lyonnais
(Créance 163 millions – 76 millions réalisation des actions) - 87 millions
Versement net 304 millions
(3) Selon Mr De Courson entre 106 et 144 millions d’euros net ; selon Mr TAPIE 38 millions seulement, dont il n’a cependant pas donné le détail à la Commission parlementaire qui l’avait pourtant demandé. Il aurait d’ailleurs déjà dépensé 135 millions d’euros (Le point du jeudi 20/06/2013). Tapie dans son dernier livre admet avoir perçu outre les 45 millions d’euros (le fameux préjudice moral) 92 millions d’euros au travers de son groupe soit 136 millions d’euros au total ce qui semble cohérent avec la « fourchette » de Mr De Courson.
(4) Qui a reçu d’ailleurs le soutien de Monsieur TAPIE, lequel en fin connaisseur lui avait adressé le message suivant : « Nul ne saura remettre en cause votre intégrité » (Nouvel observateur des 21 et 27 mars 2013).
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Gina Sanders - Fotolia.com
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