Le juge, la crèche et la laïcité
Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le :
16/11/2016
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2016
Une crèche de Noël est-elle un signe ou emblème religieux dont l’installation dans un bâtiment public est systématiquement interdite par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 garantissant le respect du principe de laïcité ?
1. Dans sa décision du 8 octobre 2015, la Cour d’Appel de Paris, saisie à la requête de la Fédération départementale des libres penseurs de Seine et Marne, estimait, contrairement aux premiers juges, qu’une crèche de Noël, « dont l’objet est de représenter la naissance de Jésus, installée au moment où les chrétiens célèbrent cette naissance, doit être regardée comme ayant le caractère d’un emblème religieux au sens des dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 (1) et non comme une simple décoration traditionnelle ; que par suite, son installation dans l’enceinte d’un bâtiment public est contraire à ces dispositions ainsi qu’au principe de neutralité des services publics ».
Quelques jours plus tard, le 13 octobre 2015, la Cour d’Appel de Nantes, saisie à la requête du département de la Vendée contre la Fédération de la libre pensée de Vendée, estimait que la crèche « s’inscrit dans le cadre d’une tradition relative à la préparation de la fête familiale de Noël et ne revêt pas la nature d’un signe ou d’un emblème religieux ; que par suite, elle n’entre pas dans le champ de l’interdiction posée par l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, alors même qu’elle ne se rattache pas à un particularisme local et ne méconnaît ni les dispositions de cet article ni les principes de liberté de conscience et de neutralité du service public ».
Dans sa séance du 21 octobre 2016, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat a examiné les deux pourvois formés contre chacune de ces décisions.
La question posée à l’Assemblée du contentieux était la suivante : « Une crèche de Noël est-elle un signe ou emblème religieux dont l’installation dans un bâtiment public est systématiquement interdite par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 garantissant le respect du principe de laïcité »? Les conclusions du rapporteur public invitaient le Conseil d’Etat à ne pas « instruire par principe le procès de la crèche » et ne pas s’opposer aux crèches de Noël installées sur le domaine public de façon provisoire, sans intention religieuse ni prosélytisme, et ayant le caractère d’une manifestation culturelle ou festive.
La décision du Conseil d’Etat était très attendue, la Haute Juridiction n’étant en effet pas tenue de suivre les conclusions de son rapporteur public.
2. Par deux décisions du 9 novembre 2016 (2), le Conseil d’Etat a considéré que l’installation d’une crèche de Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse.
Sur ce dernier point, il précise qu’il convient de tenir compte du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l’existence ou non d’usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation.
Le Conseil d’Etat distingue en effet selon qu’il s’agit d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service public, ou d’un autre emplacement public.
Dans le premier cas, et sauf circonstances particulières, l’installation d’une crèche de Noël ne peut être regardée comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques.
Dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des aménagements liés aux fêtes de fin d’année notamment sur la voie publique, l’installation à cette occasion d’une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse.
3. Il serait tout d’abord erroné de voir dans ces litiges un contentieux interconfessionnel, puisque la quasi totalité des recours introduits contre l’installation des crèches dans les mairies ou autres bâtiments publics au moment des fêtes de Noël l’a été par des Fédérations régionales de la Libre Pensée, chapeautées par la Fédération Nationale de la Libre Pensée, dont l’intérêt à agir n’est pas contestable (3), ou par la Ligue des droits de l’Homme, engagée aussi pour la défense de la laïcité.
Il est vrai, par les temps qui courent, qu’on ne peut rester indifférent à la nécessaire protection de la laïcité. (4) Toutefois, la croisade contre les crèches de Noël n’est sans doute pas, au regard de cet objectif, une priorité.
4. Si la tradition de la crèche de Noël, comme d’autres traditions, coutumes ou usages a une origine religieuse, on ne peut tout de même pas oublier que la religion catholique a occupé en France une place politique très importante au moins jusqu’à la révolution, et que ce n’est qu’en 1905 que la séparation des Eglises (mais c’est la religion catholique, majoritaire, qui était principalement visée) et de l’Etat a été consommée. (5)
Le passage du cultuel au culturel s’est fait au fil du temps, mais la coutume est ancienne et bien antérieure à la loi de 1905 qui n’a disposé que pour l’avenir.
5. Par ailleurs, il apparaît que 40 % des français se disent complètement athées tandis que 60 à 70 % ne s’identifient à aucune religion (6).
Pourtant, la tradition de la crèche s’est perpétuée. Sans doute, pour les catholiques croyants, la crèche de Noël conserve t-elle une signification religieuse. Mais, comme l’a relevé le Conseil d’Etat, « en raison de la pluralité de significations des crèches, qui sont aussi des éléments de décoration profanes », la crèche trouve place au moment des fêtes de fin d’année, comme les sapins ou autres décorations, et participe des festivités de Noël - fête de famille, fête des enfants, fête païenne - auxquelles elle apporte une touche bienvenue de simplicité.
Les santonniers, notamment en Provence, ont ainsi fait revivre les villages d’antan, leurs habitants, leurs artisans, leurs traditions, les métiers oubliés. Des foires aux santons sont régulièrement organisées sur le domaine public, comme les petits marchés de Noël. Mais nul n’a jamais soutenu que Jésus – dont d’aucuns s’accordent d’ailleurs à admettre qu’il n’est pas né un 25 décembre – aurait vu le jour dans une ferme de Provence au début du 19ème siècle (après JC !).
C’est dire combien la tradition de la crèche s’est sécularisée.
De ce fait, elle ne pouvait être considérée uniquement comme un signe ou emblème religieux dont l’installation dans un bâtiment public devrait, au nom de la laïcité, être systématiquement interdite.
Index:
(1) « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». (2) CE, Fédération départementale des libres penseurs de Seine et Marne n° 395122 – CE, Fédération de la libre pensée de Vendée n° 395223 (3) Article 2 de ses statuts de la Fédération Nationale de la Libre Pensée (déclaration de principe) : « la Libre Pensée se réclame de la raison et de la science. Elle n’est pas un parti ; elle est indépendante de tous les partis ; elle n’apporte aucun dogme. Elle vise à développer chez tous les hommes l’esprit de libre examen et de tolérance. Elle regarde les religions comme les pires obstacles à l’émancipation de la pensée ; elle les juge erronées dans leurs principes et néfastes dans leur action. Elle leur reproche de diviser des hommes et de les détourner de leurs buts terrestres en développant dans leur esprit la superstition et la peur de l’au-delà, de dégénérer en cléricalisme, fanatisme, impérialisme et mercantilisme, d’aider les puissances de réaction à maintenir les masses dans l’ignorance et la servitude. Dans leur prétendue adaptation aux idées de liberté, de progrès, de science, de justice sociale et de paix, la Libre Pensée dénonce une nouvelle tentative, aussi perfide qu’habile, pour rétablir leur domination sur les esprits. Estimant que l’émancipation de l’homme doit être poursuivie dans tous les domaines, la Libre Pensée réaffirme sa volonté de combattre également aux côtés de tous les hommes et associations qui s’inspirent des mêmes principes ; toutes les idées, forces ou institutions qui tendent à amoindrir, asservir ou pervertir les individus ; sa volonté de défendre la paix, les libertés, les Droits de l’Homme, la Laïcité de l’Ecole et de l’Etat. Estimant que toute croyance est justiciable de la libre critique, elle entend n’imposer ni ne laisser imposer aucune limite dans l’utilisation du libre examen comme méthode de la pensée libre. A ses adhérents, fraternellement unis dans l’action commune, elle propose la méthode la plus efficace de perfectionnement individuel et de rénovation collective. Elle adjure tous les hommes de progrès, oublieux de leurs vaines querelles, de se grouper dans son sein pour travailler à l’avènement d’une morale rationnelle de bonheur, de dignité humaine et de justice sociale. Article 2 bis : « La Libre Pensée défend le principe constitutionnel de laïcité et la séparation des Eglises et de l’Etat, garantie notamment par la loi du 9 décembre 1905. Pour ce faire, elle entend utiliser tous les moyens nécessaires, y compris les voies de recours devant les juridictions compétentes, pour en interdire toute tentative de remise en cause directe ou indirecte. » (4) Il faut tout de même rappeler qu’alors qu’il était ministre de l’Intérieur et des cultes, Nicolas Sarkozy, avait mis en place une commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, dite commission Machelon, du nom de son président, dont l’objectif était de remettre en question la loi du 9 décembre 1905. Le rapport du 20 septembre 2006 préconisait, ni plus ni moins, que les communes puissent financer la construction des édifices religieux, au moyen de subventions directes non plafonnées … (5) Source Wikipédia (6) La laïcité ou l’histoire mouvementée d’un concept français, Daniel Moatti, Revue du Centre d’Etudes et de Recherches en Administration publique, p. 83-98
Cet article n'engage que son auteur
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