Contentieux et responsabilité du risque inondation
Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le :
05/11/2007
05
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nov.
11
2007
Intervention de Maître Brigitte CHARLES-NEVEU au Colloque de la Compagnie des Experts près les Tribunaux Administratifs de NICE et TOULON (C.E.T.A.N.T.), vendredi 8 juin 2007.
Introduction
Le sujet est au cœur de l’affrontement entre d’une part les intérêts particuliers – propriétaires fonciers, professionnels de l’immobilier, entreprises – et d’autre part, cette notion floue et mal définie qu’est « l’intérêt général », à l’aune du droit européen. (FG Trébulle, Droit communautaire de l’environnement : vers une consécration de l’analyse fonctionnelle de la propriété ? RDI 2006 n°6 p.436)
Le Président CALDERARO a évoqué tout l’arsenal législatif et règlementaire destiné à se protéger du risque « inondation ».
Mais le législateur s’obstine à ne pas comprendre que plus il multiplie les règlementations, dans le but, naïvement, d’anticiper et éviter les conflits, plus il génère du contentieux !
La remise en cause, par le Droit Public et notamment par le Droit de l’Urbanisme et le Droit de l’Environnement, du droit de propriété privée, tel que proclamé par le Code Civil de 1804 (notamment articles 544, 545, 552), héritage de la Révolution , entraîne des réactions de « résistance » de la part de ceux que l’on veut protéger malgré eux (I).
Lorsqu’il n’est pas ou plus possible d’échapper aux contraintes liées à l’urbanisme, à l’environnement, le justiciable tentera d’obtenir réparation du préjudice qui en découle (II).
Enfin, et un peu paradoxalement, si le risque survient, le justiciable n’hésitera pas à rechercher la responsabilité de la puissance publique afin d’être indemnisé (III). Le contentieux de la résistance à la protection forcée
Pour défendre leur droit de propriété privée et ses attributs (notamment, le droit de construire !), les justiciables vont pouvoir attaquer, devant le juge administratif, les actes qui leur font grief.
C’est le domaine d’élection des REP (recours pour excès de pouvoir), recours faits « à un acte », qui pourront être dirigés contre la décision approuvant un PPR (plan de prévention des risques), celle approuvant un PLU, un SCOT, une carte communale, etc., …
Ce sera le moment d’invoquer les anomalies affectant les actes dits « préparatoires », par exemple, l’enquête publique, dont Madame CANIS MILETTO nous a donné tous les tenants et aboutissants…
C’est également le domaine des procédures d’urgence : référé suspension, qui permettra peut-être de donner au recours au fond le caractère suspensif qu’il n’a pas, référé liberté, car la propriété privée est protégée à la fois constitutionnellement et par le droit européen (ou encore le référé voie de fait devant le juge judiciaire)
On s’intéressera plus particulièrement aux PPR, qui ont occupé largement les précédentes interventions.
• REP contre PPR
. Le recours sera dirigé contre l’arrêté approuvant le PPR (les actes antérieurs sont des actes préparatoires ne faisant pas grief, donc insusceptibles de REP, sauf la décision de mise en application anticipée prise par le préfet )
. Le PPR est considéré comme un document d’urbanisme lorsqu’il s’agit d’appliquer au recours dirigé contre lui la formalité de notification prévue à l’article R 600-1 du Code de l’Urbanisme (également pour l’application de l’article L 600-1).
Cette formalité, non régularisable au-delà du délai de 15 jours après dépôt de la requête, est sanctionnée par l’irrecevabilité pure et simple du recours …
Alors même qu’elle s’impose au recours dans un domaine dispensé du ministère d’Avocat, cette formalité ne serait pas incompatible avec le droit européen ; du moins est-ce l’avis donné par le Conseil d’Etat ( CE 03.12.2001 SCI rue de la Poissonnerie).
Cette position est critiquée en doctrine (P. SOLER COUTEAUX, RDI 2006 n° 4, page 321 – voir également Ch. ATIAS D.98 chronique p. 131)
Pour reprendre la formule du Professeur F. SUDRE, le Conseil d’Etat pourra-t-il encore persister, dans une attitude familière, à ignorer délibérément la jurisprudence européenne des droits de l’homme ?
Le débat n’est cependant plus trop d’actualité, pour les seuls « documents d’urbanisme », en l’état de la réforme issue du décret du 5 janvier 2007.
. La nature juridique du PPR fait également question : servitude d’utilité publique, mais document d’urbanisme pour l’application des articles R 600-1 et L 600-2 (et maintenant L 600-1 depuis un arrêt de la CAA Bordeaux en date du 31.08.06) …
Pour le Professeur Malinvaud, « ces distorsions ajoutent au sentiment d’une perte de cohérence du droit de l’urbanisme. Ce n’est pas la première fois que la jurisprudence suscite une complexité inutile que seul le législateur peut ensuite dépasser ».
. Qui a intérêt à attaquer un PPR ?
A) Les élus locaux :
Un exemple emblématique est celui de la petite commune de BUIS LES BARONNIES, dans la DROME, dont le territoire était affecté par la proximité d’un PPR « inondation » et où tous les permis de construire étaient systématiquement déférés par le Préfet.
Choisissant le combat médiatique plutôt que judiciaire, le Maire a convoqué la presse et déambulé en tenue de scaphandrier dans les rues du village pour protester contre cette situation !
Car un Maire sait bien qu’une commune sur laquelle on ne peut plus construire est une commune qui va mourir ...
B) Les particuliers, les associations, les entreprises :
Le propriétaire foncier veut – et c’est bien normal - sauvegarder la constructibilité de son terrain, laquelle conditionne sa valeur vénale.
L’entreprise, quant à elle, s’insurge contre « l’arrêt des possibilités d’urbaniser, les baisses de valeur patrimoniale, les surcoûts d’exploitation (qui) condamnent l’activité, les restrictions drastiques
sur les sites existants (qui) limitent la capacité d’évolution du site et aboutissent à la remise en cause des stratégies de développement » (Laurent LESIMPLE, Chambre de Commerce et de l’Industrie de l’Eure, atelier-débat du 18.12.2001)
« Toute entreprise est donc un partenaire à associer dans l’élaboration des PPR » (op. cit)
Ici, deux aspects de l’intérêt général s’affrontent : la protection contre le risque inondation et le développement économique, donc l’emploi.
La dimension économique ne doit pas être méconnue ou minimisée dans ce débat.
. Pour terminer sur les PPR, on peut ajouter que la loi du 30.07.2003 a complété le dispositif en instaurant des :
- zones de rétention temporaire des eaux de crue ou de ruissellement
- zones de mobilité du lit mineur d’un cours d’eau
Mais pour certains auteurs, il n’est pas certain que les normes législatives existantes ne permettaient pas déjà les atteintes d’utilité publique à la propriété qu’en visage la Loi » ( FG Trébulle et L. Fonbaustier RDI p. 24).
Un texte inutile de plus ?
• REP contre les documents d’urbanisme (SCOT, PLU, CC)
L’article L 121-1 3° du Code de l’Urbanisme (C.U.) rappelle que ces documents déterminent les conditions qui permettent d’assurer la prévention des risques naturels prévisibles.
• REP contre les décisions individuelles (refus de permis de construire ou autre autorisation, opposition à déclaration de travaux, sursis à statuer,…)
En l’absence de document d’urbanisme, le permis peut être refusé sur le fondement de l’article R 111-2 du C.U., ou assorti de prescriptions spéciales (des prescriptions trop coûteuses pourraient amener le pétitionnaire à renoncer à son projet et produiraient donc l’effet d’un refus).
• Enfin, dans l’hypothèse d’une Expropriation pour risque naturel, les actes administratifs (déclaration d’utilité publique, arrêté de cessibilité) pourront être attaqués par la voie du REP.
Cette expropriation est limitée, pour ce qui concerne le risque lié à l’eau, aux cas de crues torrentielles ; elle implique qu’il y ait menace pour les vies humaines et que son coût (montant total des indemnités à verser aux expropriés) soit moindre que celui d’autres mesures de protection. Elle peut être engagée en urgence et même en extrême urgence.
Si les recours contre ces différents actes n’ont pas été introduits dans les délais ou ont été rejetés, les restrictions à la propriété privée s’imposent aux fonds concernés.
Mais d’autres possibilités procédurales existent, pour tenter d’obtenir réparation.
Le contentieux de l'indemnisation
C’est le domaine d’élection du plein contentieux.
A l’exception notamment des dommages de travaux publics, les recours de plein contentieux sont conduits devant le juge administratif par ministère d’Avocat.
- Pour les PPR, il n’est pas possible d’invoquer les dispositions de l’article L 165-1 du C.U., lequel, après avoir posé le principe de non indemnisation des servitudes d’urbanisme, admet deux exceptions : en cas d’atteinte à des droits acquis et en cas de modification de l’état antérieur.
Le PPR étant considéré comme une servitude d’utilité publique, l’indemnisation aurait pu être envisagée, mais la jurisprudence administrative a estimé que le législateur avait entendu exclure toute réparation (CA NANCY 2003, Sté Le Nid, confirmé CE 29.12.2004 Sté aménagement Coteaux de St Blain)
- Pour les servitudes d’urbanisme (instituées par le C.U. : documents de planification urbaine, POS, PLU, …), le principe est donc celui de non indemnisation, avec les exceptions prévues à l’article L 160-5 C.U.
Mais, même dans ces hypothèses, la jurisprudence pourra écarter l’indemnisation en l’absence de lien de causalité entre la servitude et le préjudice allégué : ce n’est pas la servitude instaurée qui cause le préjudice, mais le risque affectant la parcelle (par exemple, le caractère inondable du terrain) ! (voir également : CE 03.07.98, Bitouzet , Rec. p. 288)
- Pour les expropriations : l’indemnité d’expropriation est fixée « sans tenir compte du risque » (L 561-1 C. ENV.) .
La situation de l’exproprié est donc plus « confortable » que celle des propriétaires dont le fonds est grevé d’une servitude.
Pour mémoire, il convient d’évoquer le cas de la destruction des immeubles par sinistre, qui pose deux séries de problèmes :
- l’indemnisation au titre de la Catastrophe Naturelle, par les compagnies d’assurance
- la non indemnisation de la construction irrégulière au sens de l’article L 111-3 CU :
Ce texte, issu de la loi SRU, permet, sauf dispositions contraire dans le PLU, de reconstruire à l’identique le bâtiment détruit par un sinistre, même si les règles d’urbanisme ont évolué négativement, mais à la condition que la construction soit régulière, c'est-à-dire édifiée en vertu (et en conformité) d’un permis de construire.
En revanche, le législateur persiste à refuser à la construction édifiée sans permis, même depuis plus de 10 ans, une « légitimité de fait » qui autoriserait sa reconstruction, ce qui peut avoir des conséquences humaines extrêmement graves …
Pas de pardon pour cet abominable crime (au sens commun du terme ; au sens juridique, ce n’est encore qu’un délit !) … Le contentieux du risque méconnu
Ces mêmes justiciables, prêts à faire annuler tous les actes restreignant leur droit à construire, n’hésiteront pas cependant à rechercher la responsabilité des personnes publiques dans l’hypothèse où ces restrictions viendraient à manquer…
L’exemple le plus caractéristique est donné par une affaire soumise à la Cour Administrative d’Appel de MARSEILLE, dans laquelle le requérant – dont la construction avait été gravement endommagée par une inondation - avait recherché la responsabilité de la commune pour avoir approuvé un POS qui rendait sa parcelle constructible, et d’autre part, pour lui avoir délivré un permis de construire sur ladite parcelle … elle n’aurait pas dû, puisque le terrain s’averrait exposé au risque inondation.
Mais, par la même requête, le propriétaire demandait réparation du préjudice résultant de la dépréciation de sa parcelle, laquelle avait été, entre temps, placée dans une zone inconstructible !
La Cour a rejeté en bloc toutes ces demandes (18.05.2006 n° 02MA01217) …
Les hypothèses dans lesquelles la responsabilité de l’Etat, ou des collectivités territoriales, peut être recherchées sont nombreuses et variées.
On en dressera seulement un petit catalogue, bien sûr non exhaustif !
• L’Etat commet une faute s’il n’engage pas la procédure d’élaboration d’un PPR en cas de risque naturel prévisible
Si le risque n’est pas avéré, en l’état actuel des connaissances, il n’y a pas de faute même si le risque se réalise : CE 25.10.1985 Poinsignon – CE 16.06.1989 Association « Ski Alpin Murois »
• L’Etat commet une faute s’il refuse de constater l’état de catastrophe naturelle alors qu’il s’est bien réalisé (ce qui permet l’assurance) : CE 10.02.1993 Etablissements Jean Diant et Compagnie.
• Si les documents d’urbanisme ou les autorisations individuelles n’ont pas tenu compte du risque inondation, la responsabilité de la personne publique concernée (maire, préfet) peut être recherchée ; éventuellement, la responsabilité peut être partagée avec la victime.
• Le Maire qui accorde un permis de construire ou omet de le soumettre à des prescriptions spéciales dans une zone inondable connue commet une faute : CE 02.10.2002 Epoux Grondein
L’application du principe de précaution aux autorisations d’urbanisme a été écartée (CE 20.04.05 Sté Bouygues Télécom).
• L’Etat engage sa responsabilité s’il autorise des travaux sur un cours d’eau domanial qui favorisent les inondations (Veillard, précité), gênent le libre écoulement des eaux (défaut de curage), mais depuis 2003, c’est la collectivité territoriale qui sera responsable s’il s’agit de son domaine fluvial.
• La responsabilité du service d’annonce des crues a pu être retenue, puis écartée par la jurisprudence. Depuis la Loi du 30.07.2003, et le décret du 12.01.05, le service de prévision et surveillance des crues est obligatoire. Ses défaillances devraient en conséquence être sanctionnées.
• La Faute d’un agent ou le mauvais fonctionnement d’un service engagent la responsabilité publique.
Aux termes de l’article L 2216-2 CCGT, la commune est civilement responsable des dommages qui résultent de l’exercice des attributions de police municipale, quels que soient les agents. Si les dommages résultent même partiellement de la faute d’un agent ou d’un mauvais fonctionnement du service autre que dépendant de la commune, il y aura partage de responsabilité, mais cette « personne » doit être dans la cause (exception si communauté urbaine.
Les causes exonératoires sont classiques :
- fait de la victime : cas de la construction détruite réalisée sans PC (ou en violation du PC) …
- fait d’un tiers
- force majeure
• Le Maire qui n’utilise pas ses pouvoirs de police (prévention, interdiction de certains travaux susceptibles entraîner un sinistre, information des citoyens, injonction de faire des travaux) commet une faute.
• Le retard dans l’intervention des secours est également sanctionné (CE 28.06.98 Commune de Hannapes, CE 29.12.99 Communauté urbaine de Lille)
• Enfin, le défaut de mise en œuvre d’une expropriation pour risque naturel devrait engager la responsabilité publique.
C’est la conclusion à tirer de l’arrêt du Conseil d’Etat du 16.02.2004 (SARL Le Panoramic) qui a annulé le refus du préfet d’engager la procédure d’expropriation pour risque naturel d’un terrain de camping qui avait fait l’objet d’une mesure de fermeture, privant ainsi de toute ressources l’exploitant, précisément en raison du risque d’inondation affectant son emplacement.
• Si l’Etat et les communes n’ont pas l’obligation d’assurer la protection des propriétés privées, riveraines de cours d’eau, en revanche, la responsabilité publique peut être engagée si les dommages subis ont été provoqués ou aggravés par l’existence ou le mauvais état d’entretien d’ouvrages publics : CE 19.10.1988 Epoux Veillard
Idem en cas de défaut de curage d’un cours d’eau domanial : CE 23.02.1973 Société Entreprise Tomine.
Il s’agit alors de dommage de travaux publics.
Riche et diversifié, le contentieux du risque en général et du risque inondation en particulier nourrit une abondante jurisprudence, alimentée par une réglementation toujours plus fournie.
Notre nouveau Président de la République a annoncé qu’il voulait redonner aux français le goût du risque …
Vaste programme, qu’il faudra combiner avec la législation protectrice qui n’a cessé de se développer, et la place donnée par son prédécesseur au principe de précaution ! Cet article n'engage que son auteur.
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