Affaire Tapie : les sociétés GBT et FIBT étaient-elles éligibles à la procédure de sauvegarde ?
Auteurs : BOTTIN Matthieu, NEVEU Pascal
Publié le :
10/07/2018
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2018
Lire la première partie de cet article sur l'affaire Tapie en cliquant ici. Les sociétés GBT et FIBT étaient-elles éligibles à la procédure de sauvegarde, au regard des difficultés très particulières qu’elles pouvaient invoquer ? Cette question peut apparaître désactualisée dans la mesure où les jugements d’ouverture de la sauvegarde rendus par le Tribunal de commerce de PARIS remontent déjà à plusieurs années[1] et sont définitifs.
Toutefois, il n’est pas inutile de revisiter cette question car ces décisions, et sans doute plus encore leur chronologie très particulière s’insérant dans une affaire très médiatisée, ont soulevé une immense émotion puisqu’on a évoqué tour à tour « un détournement de procédure » voire « un dévoiement de la procédure de sauvegarde » et même, « des défaillances du Tribunal de commerce de PARIS »[2].
Il serait pourtant injuste de soupçonner le tribunal de ne pas avoir vérifié que les débitrices remplissaient bien les conditions légales car il est tenu de le faire, et s’il avait constaté qu’elles n’étaient pas remplies, il devait rejeter la demande[3].
Ces réactions montrent que le droit des entreprises en difficultés reste méconnu alors que justement son emprise n’a cessé de s’étendre puisqu’il concerne aujourd’hui, non seulement les entreprises mais également tout débiteur exerçant une activité économique.
On mesure donc à quel point « l’affaire Tapie », qui a déjà terni l’image de l’arbitrage, est en train de produire le même effet dévastateur à l’égard de la procédure de sauvegarde.
On est ainsi contraint de rappeler que le législateur n’a pas institué la procédure de sauvegarde dans le but de permettre à des débiteurs indélicats de se soustraire à l’exécution des décisions de justice et aux condamnations pécuniaires prononcées contre eux.
Cependant, on peut parfois être en présence d’une telle situation, qui peut paraître choquante, mais résulte de l’effet mécanique de la procédure collective. En effet, toute procédure collective (la procédure de sauvegarde n’en étant qu’une version allégée et récente) repose sur un principe de base qui est l’arrêt des paiements[4]. Ce gel du passif doit permettre la réorganisation de l’entreprise, la poursuite de son activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif, mais il s’agit alors des buts recherchés et non des conditions d’éligibilité.
Cette interdiction de payer[5] est générale, seules ne sont pas concernées les créances alimentaires et les créances postérieures qualifiées de « méritantes », c’est-à-dire nées régulièrement pour les besoins de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur[6].
Ainsi désormais, le critère chronologique de la date de naissance des créances au regard de la date du jugement d’ouverture, n’est plus le seul à prendre en compte puisque seules les créances dites « méritantes » bénéficient du privilège et de la priorité de paiement, les autres relèvent de l’article L.622-24 alinéa 6 du Code de commerce, c’est-à-dire qu’elles suivent le régime du passif antérieur.
Le gel du passif s’étend donc aujourd’hui à une grande partie du passif postérieur, disposition censée améliorer encore les chances de redressement.
Si l’on revient sur les seuls critères d’éligibilité de la procédure de sauvegarde, le débiteur est simplement tenu de remplir deux conditions : - La première, négative, celle de n’être pas en état de cessation des paiements ;
- La seconde, positive, est de justifier de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter.
Autant la première condition est précise, elle procède du constat que le débiteur possède un actif disponible suffisant pour répondre de son passif exigible, ce que le tribunal doit vérifier au vu des documents qui sont remis au greffe à l’occasion de l’ouverture de la procédure.
En revanche, la définition de la seconde condition est plus floue mais elle avait pour objet de répondre à la volonté du législateur d’ouvrir largement la procédure de sauvegarde[7].
Il est également important de souligner que ces conditions, sont cumulatives et non alternatives, c’est-à-dire que si l’une manque, la sauvegarde ne peut être ouverte.
L’appréciation de ces conditions se fait in concreto au regard de la situation du débiteur à la date de l’ouverture de la procédure et, si on est en présence d’une société, cette appréciation se fait indépendamment de la situation de ses associés[8], ce qui semble ici avoir été un peu perdu de vue, mais on y reviendra.
Dans l’affaire qui nous occupe, l’état de cessation des paiements de ces deux sociétés n’a jamais été prétendu, ni même soutenu, dans le cadre de la procédure, du moins à la connaissance des rédacteurs de ces lignes, ce que confirment d’ailleurs les comptes accessibles[9].
Dès lors, ces sociétés apparaissaient disposer d’un actif disponible suffisant pour faire face à leur passif exigible, ce qui exclut tout état de cessation des paiements. Certes, elles ont été condamnées ultérieurement (le 3 décembre 2015) à restituer, par suite de l’annulation de l’arbitrage, une somme de 404 000 000 euros à laquelle elles ne pouvaient faire face.
Mais cette condamnation n'a pris effet qu’après l’ouverture de la procédure de sauvegarde. La nature de cette créance faisait donc difficulté mais elle ne pouvait être qualifiée de « méritante » faute de répondre aux critères précédemment énoncés. Elle relevait donc des dispositions de l’article L.622-24, alinéa 6, du Code de commerce.
Il faut en effet compléter l’observation en rappelant que les sentences arbitrales ont fait l’objet d’un recours en révision pour fraude et que de ce fait, elles ont disparu de l’ordonnancement juridique[10] ; la Cour d’appel a statué à nouveau en fait et en droit, la créance de restitution est donc une nouvelle créance de restitution, qui ne se substitue pas à l’ancienne, et qui est née le 3 décembre 2015 seulement.
Il s’agit donc d’une créance postérieure mais qui, bien que née régulièrement, ne bénéficie pas de la priorité de paiement car elle n’est pas née pour les besoins de la procédure ou pour ceux de la période d’observation ou encore en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur.
Certes la Cour d’appel avait statué sur l’annulation dès le 17 février 2015 mais elle n’avait pas alors liquidé les créances de restitutions et elle ne l’a fait que par son dernier arrêt.
En conséquence, cette créance ne pouvait être prise en compte pour caractériser un éventuel état de cessation des paiements[11].
D’autre part, le débiteur doit justifier de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter. Ainsi, des difficultés de toutes natures peuvent être invoquées. La Cour de cassation a même précisé que les motifs du débiteur qui demande l’ouverture d’une procédure de sauvegarde n’avaient pas à être examiné[12].
A cet égard, l’arrêt du 17 février 2015 ayant annulé les sentences pouvait à lui seul justifier les difficultés rencontrées, d’autant que la Cour d’appel s’apprêtait à statuer sur la restitution après son audience du mois de septembre 2015.
Il a déjà été évoqué que les sociétés GBT et FIBT sont des sociétés financières ou patrimoniales et non des sociétés opérationnelles, elles ne seraient donc pas de véritables entreprises au sens où on l’entend généralement. Mais l’argument est sans portée car cela ne les exclut pas du bénéfice d’une procédure de sauvegarde puisque l’article L.620-1 du code de commerce n’évoque plus le terme d’entreprise mais celui de débiteur, ce qui a été choisi à dessein pour en élargir le champ d’application.
Ainsi, les sociétés holding ou simplement patrimoniales relèvent de la procédure de sauvegarde, sans pour autant que leur spécificité influence les solutions de la procédure.
On ne peut donc pas établir que cette procédure de sauvegarde a été ouverte irrégulièrement. Il n’est pas inutile de rappeler que le Parquet a interjeté appel de ces décisions mais que la Cour de PARIS a rejeté ces recours par deux arrêts du 8 juin 2016. Le Parquet a encore engagé un recours contre la décision du tribunal du 30 mai 2016, qui avait prorogé la période d’observation jusqu’au 15 mai 2017, appel qui a encore été rejeté par arrêt de la Cour d’appel de PARIS du 25 novembre 2016.
Néanmoins, une critique plus sérieuse peut être émise à l’égard d’une disposition des jugements d’ouverture de sauvegarde. C’est celle d’avoir laissé le dirigeant « à la tête de ses affaires » alors qu’il était lui-même en liquidation judiciaire depuis plusieurs années[13].
Cette situation particulière justifiait un encadrement plus strict de la procédure de sauvegarde. Certes la procédure de sauvegarde, si elle prévoit la désignation d’un administrateur, limite l’étendue de sa mission qui va de la simple surveillance à l’assistance, mais - c’est le point important - exclut toute représentation[14].
Ainsi, si un administrateur a bien été désigné (Maître ABITBOL), celui-ci ne pouvait pas représenter les sociétés soumises aux procédures de sauvegarde laissant ainsi au dirigeant failli la possibilité de présenter un plan qui sera plus tard invalidé par la Cour d’appel.
Or rien n’empêchait le tribunal, par une disposition spéciale, de désigner un autre administrateur judiciaire[15] avec une mission de représentation, parallèlement à celui qu’elle désignait au regard des textes applicables, ce qui aurait permis à celui-ci de présenter plus sérieusement un plan ou de choisir l’orientation de la procédure la mieux adaptée à cette sauvegarde hors normes. Il était clair que dans une affaire aussi médiatique aux enjeux financiers considérables, et en l’état de l’opposition du parquet qui défendait les deniers publics, il valait mieux séparer les intérêts des sociétés et ceux du dirigeant failli[16].
On comprend dès lors mal qu’une telle précaution n’ait pas été prise même si elle avait un caractère exceptionnel.
En tout état de cause, et même si ce n’était pas l’objet de cette affaire atypique, l’ouverture de la procédure de sauvegarde permet de mesurer, dans des conditions extrêmes, à la fois son efficacité et sa souplesse.
A suivre : un plan de sauvegarde commun aux deux sociétés pouvait-il être régulièrement arrêté ? [1] Pour GBT, le 30/11/2015 ; et pour FIBT, le 02/12/2015. [2] F.-X. LUCAS, « La faillite d’Eva Joly », Lextenso du 1 septembre 2017. [3] Art. R621-5 du Code de commerce, les deux sociétés étant immatriculées auprès du RCS de PARIS : pour SNC GBT n°316 65 51 25 et pour SCI FIBT n°316 23 89 06. [4] Art. L.621-1 du Code de commerce. [5] Art. L.622-7 du Code de commerce. [6] Art. L.622-17 du Code de commerce. [7] Le texte d’origine (Loi n°2005-845 du 12 juillet 2005, art. 5) se voulait un peu plus précis sur la conséquence de ces difficultés puisqu’elles devaient être « de nature à le (le débiteur) conduire à la cessation des paiements ». Mais cet ajout, jugé sans doute un peu redondant a été supprimé (Ord. n°2008-1345 du 18 décembre 2008, art. 12). [8] Cass. Com., 26 juin 2007, Bull. civ. IV. [9] Si l’on s’en tient du moins aux seuls comptes accessibles qui ne concernent que la société GBT. Celle-ci disposait au 30 juin 2011 d’une trésorerie de 213 358 300 euros, bien qu’elle affichât un déficit de 2 586 800 euros et un chiffre d’affaire de seulement 400 000 euros. D’autres comptes ont été fournis pour l’exercice 2016 mais qui étaient postérieurs à l’ouverture de sauvegarde.
En revanche, pour la SCI FIBT, on ne possède ni chiffre ni résultat. [10] D. MOURALIS, « Les sentences sont rétractées », D. 2015, n°1253. [11] Ce qui permet de souligner que la date d’ouverture de la sauvegarde a été choisie à dessein puisque si elle avait été ouverte après le 3 décembre, la sauvegarde ne pouvait plus être ouverte mais alors la créance n’aurait pu relever de l’article L.622-24, alinéa 6, du Code de commerce. [12] Cass. Com., 8 mars 2011, Bull. civ. IV, n°33. [13] Jugement du Tribunal de commerce de PARIS du 31 mai 1995. [14] Art. L.622-1, al. 1, C. com : « l’administration de l’entreprise est assurée par son dirigeant ». [15] Ou pour permettre la démarcation des fonctions, un mandataire ad hoc. [16] Une saisie pénale a été faite sur les parts sociales de la Société FIBT depuis le 28 juin 2013.
Cet article n'engage que ses auteurs.
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