Réforme de la procédure administrative
Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le :
02/11/2007
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novembre
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11
2007
Observations adressées le 23 janvier 2007 au CNB à propos du décret du 23.12.2006 et vœux éventuels concernant la procédure administrative
Dispositions relatives au juge statuant seul
La procédure administrative connaît effectivement, spécialement depuis 1995, l’intervention du juge unique, contrastant avec son attachement séculaire à la collégialité.
Le rapport au premier ministre évoque la nécessité d’amender (entendre : élargir le recours au juge unique) la loi du 8 février 1995 pour tenir compte de l’évolution du contentieux.
Soit. Le juge administratif unique n’est pas plus dangereux que le juge judiciaire unique ; il l’est même plutôt moins … Il est vrai qu’il travaille, sauf exception, avec le « filet » que constitue le commissaire du gouvernement.
En revanche, le rapport se glorifie du nombre de dossiers traités à juge unique dans le cadre de l’article R 222-13 du CJA.
C’est oublier que l’application de cette disposition a, elle-même, généré une abondante jurisprudence sur le point de savoir si tel ou tel litige rentrait bien dans le cadre de ceux prévus au texte !
En outre, le rapport rappelle que le recours au juge unique se cantonne « aux litiges simples, pour lesquels la jurisprudence est bien établie » et ceux « dans lesquels les enjeux sont faibles » …
Qu’est-ce qu’un litige simple ?
Qu’est-ce qu’un enjeu faible ?
Si le législateur le sait, il a bien de la chance !
Il aurait cependant avantage à méditer, par exemple, la chronique du Professeur Atias (Dalloz 2006, n° 44 p. 3004) : « La revanche des causes perdues » …
Il apprendrait ainsi que supposer par avance le cas facile revient à se priver des informations que recèlent les circonstances de fait, les mots qui les recouvrent, et le droit : c’est tomber dans le piège du stéréotype …
Quant à la « jurisprudence bien établie », on peut concéder que la jurisprudence du Conseil d’Etat est dans l’ensemble plus stable que celle de la Cour de Cassation, mais enfin …
Plus surprenante encore est la conclusion du rapporteur qui nous dit que « le souci de réserver ces fonctions (de juge unique) à des magistrats expérimentés n’apparaît pas totalement pertinent » (sic) !?
Les raisons avancées ne sont guère convaincantes :
Les premiers conseillers n’auraient pas nécessairement l’expérience requise : cas des magistrats entrés par la voie du tour extérieur ou du détachement, nommés directement au grade de premier conseiller.
C’est plutôt le mode de nomination des premiers conseillers qu’il aurait alors fallu réformer !
Il ne serait pas pertinent que les magistrats les plus expérimentés jugent les affaires les plus simples - mais, comme rappelé plus haut, quel est le critère de l’affaire simple ? - tandis que les plus complexes seront confiées aux jeunes rapporteurs … Naïfs que nous sommes, nous qui pensions que la collégialité n’était pas qu’une façade !
Enfin, le chef de juridiction a déjà toute latitude pour choisir les membres de la juridiction le plus apte à remplir ces fonctions.
Souhaitons donc que le chef de juridiction, promu directeur des ressources humaines, soit bien avisé ! D’autant plus qu’il pourra désormais désigner des juges ayant moins de deux ans d’ancienneté …
Le plafond des demandes relevant du juge unique est porté de 8.000 à 10.000 euros pour s’aligner sur le seuil de compétence du Tribunal d’Instance.
On pourrait s’aligner tout à fait en décidant la fusion des deux ordres juridictionnels, plutôt que de prendre chez l’autre ce qui arrange et d’y laisser le reste !
La fusion est d’ailleurs au programme de certains partis politiques, notamment libéraux (cf. programme Alternative Libérale), qui ne paraissent pas convaincus que le maintien de la dualité coïncide avec l’intérêt du justiciable…
On notera par ailleurs avec satisfaction que la réforme des voies de recours est reportée à plus tard, la précédente réforme résultant du décret du 24 juin 2003 paraissant « trop récente » !
Le rapporteur s’honore de cette préoccupation à laquelle nous ne sommes guère habitués.
Dispositions diversesPlus inquiétant, en revanche, est l’élargissement des cas dans lesquels la juridiction pourra rejeter sans débat contradictoire les requêtes qui lui apparaîtront manifestement insusceptibles de prospérer (articles 6 et 7 du décret)…
Les ordonnances de rejet ne sont en effet assorties d’aucune motivation spécifique, se bornant à indiquer que la requête est manifestement irrecevable ou infondée, sans que l’on sache pourquoi ni en quoi ...
Il y a donc à la fois violation de l’obligation de motivation et mépris du principe d’accès au juge, cher au droit européen.
L’objectif est clair : compenser « le nombre croissant de requêtes », au besoin par un déni de justice !
En d’autres termes, plus le justiciable français a besoin du juge, et moins le juge lui est accessible ! Sans doute une nouvelle facette de l’exception française, d’autant plus regrettable dans l’ordre administratif, sanctuaire du service public !
Le justiciable ne peut, malheureusement, choisir son juge. Mais nous sommes entrés dans l’ère où le juge pourra choisir la cause qu’il lui plaît de juger …
Une autre recette pourrait être proposée :
La représentation obligatoire est, en matière administrative, quasiment l’exception. Tout le contentieux de l’annulation notamment échappe à cette obligation.
Imposer le ministère d’avocat pour toute procédure devant l’ordre administratif permettrait d’arriver au même résultat : diminution des requêtes infondées ou irrecevables que l’avocat aura déconseillé de déposer, et meilleure qualité des requêtes effectivement déposées.
Inutile d’objecter que l’avocat coûte cher : il ne coûte pas plus cher qu’au Tribunal de Grande Instance (TGI) où nul ne s’indigne de la représentation obligatoire, et les indigents pourront bénéficier de l’aide juridictionnelle.
Voilà pour le décret. Quelques propositions...Dans le sens d’une meilleure efficacité de la justice administrative, d’autres propositions sont à formuler :
Si les réformes de la procédure civile tendent à lui conférer un caractère de plus en plus inquisitorial, on peut se prendre à rêver que la procédure administrative pourrait, elle, devenir de plus en plus accusatoire.
• Instauration d’une véritable « mise en état » :
En pratique, après avoir communiqué la requête et imparti un délai le plus souvent non impératif pour répondre, le juge ne se préoccupe plus guère du devenir du dossier.
Subitement, quand le dossier arrive « en haut de la pile », il est clôturé avec un bref préavis et audiencé, sans perspective de renvoi (d’ailleurs pas souhaitable, l’audiencement intervenant en général au bout de plusieurs années …)
Résultat : les parties – qui avaient parfois même perdu de vue le dossier - se mettent à échanger frénétiquement mémoires et pièces dans le court laps de temps précédent la clôture !
Ce qui n’est pas satisfaisant, notamment en termes de respect du contradictoire, principe sur lequel, il est vrai, le juge administratif n’est guère pointilleux !
En outre, dans le cas d’une mise en demeure assortie d’un délai (supposé, cette fois, impératif), on s’étonnera de l’indulgence des juges qui accueillent souvent les mémoires tardifs (déposés après le délai imparti par la mise en demeure), ce qui aboutit à vider de sens l’article R 612-6 du C.J.A.
Ces écueils pourraient être évités par la tenue d’une véritable mise en état, confiée par exemple au conseiller rapporteur, pendant l’instruction.
• Une plus grande souplesse dans les procédures de référé :
En l’état actuel, il n’est pas possible, par une seule et même requête, de demander au juge des référés à la fois une mesure d’instruction et une provision, ou bien une suspension et une expertise, …
Le plaideur est obligé de déposer autant de requêtes (avec mémoires et pièces en X exemplaires) que de demandes distinctes adressées en référé.
Il faut donc permettre de procéder comme en référé judiciaire.
• Suppression de la distinction entre « recours pour excès de pouvoir » et « recours de plein contentieux »
Si l’on rendait le ministère d’avocat obligatoire en toutes matières, rien ne me semblerait justifier le maintien de cette distinction, quitte à moduler les pouvoirs du juge selon la nature des demandes.
La mixité est bien admise pour les fonctionnaires … pourquoi pas pour les autres ?
• Abandon de l’exigence systématique de la réclamation préalable (comme en matière de dommages de travaux publics)
Le temps du « ministre-juge » est largement révolu !
L’exigence de la réclamation préalable n’est pas toujours opportune et entrave le libre accès au juge ; particulièrement dans les cas où le refus de l’administration est assuré, c’est une perte de temps inutile.
• Instauration d’un régime de communication des pièces comme au TGI
En l’état, seul le juge peut exiger la communication des pièces qui lui paraissent utiles. Les parties doivent pouvoir exiger la communication à la procédure des pièces détenues par l’administration et faire un incident à ce titre. Cet incident serait tranché par le conseiller rapporteur.
• Admission de l’avocat à soulever directement la prescription quadriennale :
Il n’est pas acceptable que l’avocat –mandataire de droit – ne puisse soulever directement la déchéance quadriennale devant le juge administratif.
• Rôle du commissaire du gouvernement :
Le juge administratif demeure très attaché au maintien du commissaire du gouvernement, même si on l’écarte du délibéré.
Mais indépendamment des critiques habituellement formulées au regard du droit européen (participation au délibéré, d’où atteinte au caractère équitable du procès), il convient d’ajouter celle-ci :
Le commissaire du gouvernement rappelle les solutions « bien établies » par la jurisprudence du Conseil d’Etat auxquelles la formation de jugement – relativement peu perméable à toute innovation – se rangera le plus souvent.
C’est totalement démotivant pour les avocats qui essaient d’entraîner le juge hors des sentiers battus, vers des solutions plus audacieuses !
• Possibilité pour toute personne y ayant intérêt de demander au juge l’annulation du contrat public ?
Le régime actuel, qui prive les particuliers de la possibilité de faire annuler un marché illégal, - cette faculté n’étant reconnue qu’au préfet – n’est pas satisfaisant.
Les impératifs de « sécurité des contrats », particulièrement des contrats publics, justifient-ils ce régime ?
Vaste débat … Il justifierait à lui seul une réflexion collective. Cet article n'engage que son auteur.
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