Sur les déclarations de patrimoine des candidats à l’élection présidentielle - La transparence n'est rien sans la clarté
Auteur : NEVEU Pascal
Publié le :
19/04/2017
19
avril
avr.
04
2017
(Quelques réflexions impertinentes sur les déclarations de patrimoine des candidats à l’élection présidentielle, mais aussi sur une transparence qui ne montre que ce que l’on veut bien faire voir…)
En cette période de Pâques, le « chemin de croix » des candidats à l’élection Présidentielle s’est alourdi d’une « confession patrimoniale », à laquelle ils ont dû, pour la première fois, se soumettre.
L’objectif est clair : moraliser la vie politique en recherchant au travers d’une déclaration patrimoniale, des signes tangibles de leur honnêteté ou de leur probité, on pourrait ajouter de leur capacité à gérer, mais ce n’est pas, curieusement, celle-ci qui semble être recherchée.
Autrement dit, un exercice divinatoire qui relève des sciences occultes, car chacun peut en faire l’expérience sans être certain d’y parvenir.
Cette « confession », de surcroît publique, doit être faite sur un formulaire[1] déposé auprès du Conseil Constitutionnel, qui, à son tour, le transmet à la HATVP[2], laquelle le met en ligne afin qu’il soit consultable par tout citoyen.
Les candidats se sont donc d’ores et déjà soumis à cette obligation (avant le 17/05/2017, délai de rigueur), avec plus ou moins de bonne foi, d’ignorance ou encore d’habileté selon les cas, on le verra plus loin.
Les candidats les plus radicaux ont même pris la liberté de marquer leur insoumission ou leur indépendance (c’est selon) en refusant d’utiliser le formulaire légal[3].
Peut-on considérer que cet exercice de clarification a atteint son objectif après consultation des déclarations des candidats ?
On cherche vainement à pouvoir comparer ce qui peut être comparable, mais on ne voit rien de tangible ou plutôt, uniquement ce que l’on soupçonne que le candidat pourrait vouloir cacher.
On est donc contraint de constater que le résultat attendu n’est pas atteint … mais pouvait-il l’être ?
En effet, les mesures utilisées ne sont pas convaincantes, ce qui ôte toute fiabilité à l’exercice et révèle sa véritable nature, à savoir un « bricolage législatif » instauré après l’affaire CAHUZAC.
Un système auto déclaratif sans contrôle ni sanction :
Les déclarations des candidats sont faites sans qu’intervienne un contrôle préalable ou même à posteriori, par la HATVP, c’est la première objection.
Certes, le texte dans sa rédaction initiale, prévoyait expressément que la HATVP pouvait émettre à cette occasion « toute appréciation qu’elle estime utile, quant à l’exhaustivité, à l’exactitude et à la sincérité de la déclaration ».
Mais cette disposition a été censurée par le Conseil Constitutionnel, au motif (qu’il est bon de rappeler) « qu’elle conférait à cette Autorité le pouvoir d’intervenir dans la campagne électorale, dans les derniers jours de celle-ci, dans des conditions qui pouvaient porter atteinte à l’égalité devant le suffrage » (on ajoute, universel)[4].
Il faut donc retenir que le pouvoir que s’arroge une Autorité d’intervenir dans la campagne électorale par le biais du simple contrôle du patrimoine d’un candidat, peut porter atteinte à l’égalité du suffrage entre les candidats et ainsi affecter la sincérité du scrutin.
Certes, une obscurité réside dans la référence « aux derniers jours de celle-ci », ce qui peut en limiter la portée[5].
Mais alors, que doit-on penser en écho de la mise en examen d’un candidat, le 14 mars 2017, soit quelques jours avant la publication des candidatures (18 mars 2017) ?
Oserait-on y voir une violation d’un principe constitutionnel ? Ce qui pourrait alors justifier une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) de la part du candidat qui en a été l’objet.
La seconde objection, découle en fait de la première, c’est-à-dire de l’absence de sanction de toute fausse indication ou omission dans la déclaration du candidat qui n’est tenu simplement, que d’attester de son caractère sincère et véritable, ce qui est vraiment un minimum.
Lorsqu’on rappelle la lourdeur et la complexité du dispositif mis en place[6], on est un peu surpris qu’il accouche, en définitive, « d’un trou de souris ».
En effet, il ne faut pas confondre (comme on le fait hélas trop souvent) le dispositif applicable aux membres du Gouvernement, aux membres du Parlement Européen, aux Élus et à une grande partie des représentants des fonctions électives locales, avec celui applicable aux candidats à l’élection présidentielle.
En effet, les premiers (et ils sont trop nombreux pour être cités dans le cadre de cet article), sont sanctionnés très sévèrement, car le fait d’omettre une partie substantielle de leur patrimoine ou de leurs intérêts, ou encore d’en fournir une évaluation mensongère, les expose à une peine de 3 ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende[7].
Il est vrai qu’il ne s’agit pas de mesurer la même chose car, celui qui, a un titre ou un autre, dispose de deniers publics, ne doit pas s’enrichir à l’occasion de ses fonctions, d’où la mise en place d’une déclaration d’entrée et de sortie de ses fonctions, qui permet de savoir s’il y a eu ou non, au travers de l’évolution de son patrimoine, un enrichissement personnel pendant la durée de celles-ci.
Pour le candidat à l’élection Présidentielle, qui n’est pas, par définition, en fonction, il s’agit seulement d’appréhender, au travers de la constitution de son patrimoine, des signes d’honnêteté ou de probité, qui devraient être (à l’évidence) nécessaires à l’exercice de la magistrature suprême (mais, bien sûr, pas suffisants).
Sur ce point, il faudra donc croire les candidats sur la seule affirmation de leur bonne foi.
Les critères choisis sont peu pertinents, voire incohérents.
La dernière objection, concerne les critères choisis pour établir cette déclaration, qui sont pour le moins peu pertinents, voire incohérents.
Certes, contrairement au dispositif applicable aux membres du gouvernement, aux élus et autres fonctionnaires, il ne s’agit pas de vérifier un enrichissement personnel, ni même une situation de conflit d’intérêts, mais de faire simplement une déclaration portant sur la consistance de son patrimoine.
Encore faut-il savoir de quel patrimoine il s’agit ?
En effet, les revenus sont exclus, seuls les biens sont concernés, qu’ils soient propres, communs ou encore indivis … (au sens du Code Civil)
Ainsi, cette « cartographie particulière » du patrimoine du candidat va-t-elle dépendre du fait de savoir s’il est marié ou célibataire, le cas échéant, de son régime matrimonial, du fait de savoir s’il possède ou non des biens indivis avec un conjoint séparé de biens, un partenaire dans le cadre d’un PACS, un(e concubin (e), …
Ainsi, on est bien loin d’une situation de déclaration de foyer fiscal, comme le demande l’administration, pour l’établissement de l’impôt (IRPP, ISF, etc., ...)
Voilà donc un patrimoine bien particulier, qui ne reflète pas toujours la véritable situation de fortune du candidat, si du moins, c’est cela qui était recherché.
Ce que révèlent les déclarations
Les candidats ont parfaitement compris l’ambigüité de cette présentation, du moins pour ceux qui étaient gênés par une certaine opulence, et on peut penser, sans leur faire un procès d’intention, qu’ils ont su en tirer profit (si l’on peut dire).
Il faut donc en venir à l’examen des dites déclarations.
On constatera en premier lieu, que certains « petits candidats » pèsent beaucoup plus « lourd » que les 5 premiers candidats, dont quatre seulement sont désignés par les sondages, comme ayant le plus de chances d’accéder à la fonction présidentielle.
En effet, le patrimoine de Mr MELENCHON (patrimoine brut : 1.131.312 €, après endettement de 151.723 €, patrimoine net : 979.489 €), qui apparait le candidat le plus fortuné des « grands candidats » (y a-t-il une erreur ? Non !), fait tout de même pâle figure à côté de celui de :
- Mr DUPONT AIGNAN (patrimoine brut : 2.418.231,91 € - dont immobilier 2.329.000 €, avec un endettement de 384.445,21 €, soit patrimoine net : 2.033.786,74 €)
- Et même de celui de Mr ASSELINEAU (Patrimoine brut : 1.583.527,62 €, avec un endettement de 446.127,22 €, soit patrimoine net : 1.137.400,40 €)
On notera une curiosité, ces trois candidats, qui apparaissent disposer manifestement d’une certaine aisance financière, ne possèdent pas de véhicule automobile…
Il est vrai que les candidats, dans leur ensemble et sans revendiquer l’étiquette « écologiste », semblent assez allergiques à l’achat d’un véhicule, puisque à l’instar des candidats déjà signalés, Madame LE PEN, Monsieur MACRON, Monsieur CHEMINADE ne possèdent également aucun véhicule automobile.
D’autres, en revanche, qui ne se sont pas encore mis à la marche à pied, possèdent un ou plusieurs véhicules, ainsi :
Mr FILLON (une Toyota : 5.000 € et une Peugeot 306 : 3.000 €)
Mr HAMON (une Opel Corsa : 10.000 €),
Mme ARTHAUD (une Citroën C3 : 14.500 €),
Mr LASSALLE (une Citroën C6 : 45.000 €, une Fiat Cargo : 12.000 €)
Mr POUTOU (une Peugeot 3008 : 9.000 €)
Ainsi, moins d’un candidat sur deux (très exactement 5 sur 11) possède une voiture, ce qui est largement inférieur à la moyenne de la population française, puisque 83 % des français possédaient au moins un véhicule automobile en 2014 (Vous avez dit bizarre ? Comme c’est étrange….[8])
Certaines évaluations immobilières prêtent aussi à discussion.
Ainsi Mr MELENCHON évalue son appartement de 110 m2 dans le 10ème arrondissement de Paris, acquis en 2014, à 837.000 €, dont 37.000 € de travaux, ce qui donne une valeur (avant travaux) de 7.272 € le m2.
Or le prix moyen dans le 10ème arrondissement est de 8.510 €[9], ce qui élève la valeur à 936.100 €, soit après travaux à 973.100 €, donc une sous-évaluation de la différence de 140.000 €.
« Péché véniel » dira-t-on ?, mais avec 140.000 € de plus, Mr MELENCHON, qui déclare un patrimoine brut de 1.129.563,85 €, deviendrait pratiquement éligible à l’ISF (1.129.563 + 140.000 = 1.269.563).
Certes, on objectera que s’agissant (apparemment) de sa résidence principale, il bénéficie d’un abattement et qu’il faut aussi tenir compte de son passif (142.435,74 €).
Toutefois, le candidat est-il si certain de ses estimations, puisqu’il est le seul à déclarer une bien curieuse créance de malfaçons (14.000 €) à son passif.
En effet, en cas de malfaçons résultant de travaux, c’est l’entreprise défaillante qui doit une créance de travaux de reprise au propriétaire et non le contraire…
Alors oui, Mr MELENCHON a sans doute raison, il faut durcir les règles d’imposition de l’ISF pour lutter contre les insoumis….
Il faut redire ensuite que l’absence de toute référence à la notion de foyer fiscal crée des disparités choquantes.
Ainsi, Mr FILLON, qui est marié sous le régime de la communauté universelle et qui prend donc en compte la totalité du patrimoine - le sien, celui qui est commun avec son épouse et le patrimoine de celle-ci - est particulièrement désavantagé à l’égard de Mr MACRON, qui lui aussi est marié, mais sous le régime de la communauté légale, dans la mesure où il habite un bien immobilier qui est un bien propre de son épouse (et qui n’est donc pas pris en compte).
Mr MACRON ne déclare d’ailleurs aucune propriété immobilière, ce qui est tout de même curieux au regard de ses revenus annuels déclarés (sur 5 ans : 325.076 €) et alors que l’achat d’un logement est la première préoccupation de tout Français, dès qu’il en a la possibilité financière (61 % des Français possèdent de l’immobilier).
Mr MACRON va même imputer à son passif, le prêt qu’il déclare avoir fait pour financer des travaux dans la villa de son épouse, pour la somme non négligeable de 246.837,44 €, ce qui lui permet de déclarer un patrimoine net de seulement 156.160 € (le plus faible des grands candidats)[10], mais aussi des « petits candidats »[11], puisqu’il est au niveau de Mme ARTHAUD (131.153 €).
L’incohérence est ici flagrante, car si le mari finance sur ses deniers des travaux sur un bien propre de son épouse (art. 1405 du code civil), il a une créance sur son épouse et non une dette ; Mr MACRON, qui connait certainement bien la finance, semble moins bien maîtriser les règles du Code Civil relatives aux relations pécuniaires entre époux[12].
Il n’est pas inutile de rappeler, à titre de comparaison, que le patrimoine moyen net des français est évalué à 229.000 €.
On résumera, sous forme de tableau, pour une meilleure visibilité, les déclarations de patrimoine des principaux candidats, en rappelant la note que leur attribue le magazine CAPITAL, sur la valeur de leur gestion[13].
CANDIDATS Patrimoine brut Patrimoine net Revenus annuels 2016
(Moyenne sur 5 ans)
ISF Qualité de gestion :
notée sur 20 MELENCHON 1.131.212 977.840 80.000
(Idem)
ISF : non 10/20 FILLON 1.025.659 962.156 275.000
(385.217)
ISF : non 10 ,5/20 LE PEN 630.686 627.171 (90.000)
Idem
ISF : non 8/20 HAMON 522.249 300.886 93.600
(86.980)
ISF : non 12,5/20 MACRON 497.099 156.160 129.200
(325.076)
ISF : oui 6,5/20
Ces annotations, dont certaines frisent le ridicule, (sans le stigmatiser, on relèvera que le candidat « banquier » est le plus mauvais gestionnaire) ne traduisent donc aucun résultat probant dans ce domaine (la meilleure note n’est simplement que de 12,5/20)
L’incohérence du système se révèle aussi au niveau de l’ISF, puisque le candidat qui déclare le plus petit patrimoine est le seul à le payer….
La HATVP : une autorité indépendante ?
Il faut également revoir le mode de désignation des responsables de la HATVP, qui se présente comme une « autorité indépendante ».
En effet, le président de la HATVP[14] a été nommé par le Président de la République, après avoir soutenu publiquement le candidat François HOLLANDE en 2012.
En quoi cette « autorité » peut-elle donc aujourd’hui, « s’auto déclarer indépendante de la vie politique » ?
Dans le domaine sportif, on n’imagine pas de désigner comme arbitre d’une compétition, un supporter de l’équipe adverse….
Il faudrait donc, que les responsables ou les membres de la HATVP s’engagent à ne pas se positionner ou à ne pas s’engager sur le terrain politique si l’on veut donner à cette autorité un peu de crédibilité….
Ce chemin de la « transparence » de la vie politique est donc encore très long et cela vaut, sans doute mieux, car la transparence dans les rapports humains[15], c’est tout simplement « l’enfer totalitaire ».
On se contentera plus modestement de paver ce chemin de «bonnes intentions » et de souhaiter d’avantage de clarté, car en politique c’est surtout cela dont l’électeur a besoin.
[1] Annexe au Décret n° 2016-1819 du 22/12/2016 [2] Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, autorité administrative, article 19 de la loi n° 2013-907 du 11/10/2013 et décret d’application n° 2013-1204 du 23/12/2013 [3] Mme ARTHAUD et Messieurs MELANCHON et ASSELINEAU, au regard de leur déclaration initiale mise en ligne [4] Décision n° 2013-675 du 09/10/2013 [5] Encore faut-il s’entendre sur ce qui constitue le début de la campagne présidentielle, faut-il retenir le début de la campagne officielle (le 10 avril 2017) ? la date de la publication des candidatures (18 mars 2017) ? ou même le début de la campagne officieuse, qui a démarré beaucoup plus tôt et même, en fin d’année dernière, si l’on se réfère aux primaires ? [6] loi du 11/10/2013 et décret du 23/12/2013 (déjà cités), mais aussi, décret 2016-1819 du 28/12/2016 (Art. 9-1 à 9-7) [7] Art. 26 de la Loi N° 2013-907 u 11/12/2013 [8] La célèbre réplique de Louis JOUVET dans le mythique film « Hôtel du Nord » [9] Prix EFFICITY Avril 2017 – fourchette de 6.640 € à 10.390 € [10] Dans l’ordre décroissant pour les grands candidats: Mr MELENCHON : 977.840 €, Mr FILLON : 962.156 €, Mme LE PEN : 627.171, Mr HAMON : 300.886 € [11] Dans l’ordre décroissant pour les petits candidats : DUPON AIGNAN : 2.033.786 €, ASSELINEAU : 1.137.400 €, LASSALLE : 585.290 €, CHEMINADE : 429.955 €, ARTHAUD : 131.153 €, POUTOU : 31.670 € (mais le seul à n’avoir aucun passif) [12] Une réclamation a été déposée le 04/04/2017 à la HATVP, par l’IREF, mais elle n’a été suivie d’aucun effet, puisque cette autorité est dépourvue de tout pouvoir de contrôle sur les déclarations des candidats (CF. n° 4) [13] CAPITAL du 6 avril 2017 : Niveau de patrimoine/revenus + % de diversification + poids du remboursement /crédit reporté sur revenus [14] Mr Jean-Louis NADAL, par décret présidentiel du 19/12/2013 [15] « La Tyrannie de la transparence » Éditorial Grégoire LOISEAU, Dalloz, 22/01/2015
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo: © Ricochet64 - Fotolia.com
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