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La déchéance de la nationalité est-elle une mesure utile ? Est-elle suffisante ?

Auteur : NEVEU Pascal
Publié le : 02/02/2016 02 février févr. 02 2016

Le constat que cette mesure ne soit pas dissuasive pour des terroristes qui aspirent à mourir en martyre, ne suffit pas à évacuer toute réflexion, ni à exclure de façon catégorique toute utilité à celle-ci.

*** Lire l'introduction de l'article Déchéance de nationalité : le grand « tohu-bohu » ***

I - De l’utilité

S’il existe une controverse sur les questions précédentes, ce de l’utilité fait l’objet d’une réfutation quasi unanime.

Pour mieux forcer le trait et confisquer toute discussion, la mesure est qualifiée de « symbolique », ce qui lui dénie toute portée pratique et minimise son importance.

L’absence de débat sur cette question interpelle, car sauf à considérer que la nationalité n’a elle-même qu’une importance symbolique, sa déchéance ne peut l’avoir….

La permanence de cette mesure dans notre droit traduit au contraire son importance et l’idée que la nationalité n’est pas un droit irrévocable, l’appartenance à la communauté nationale étant incompatible avec certains actes graves qui la menace directement.

Le constat que cette mesure ne soit pas dissuasive pour des terroristes qui aspirent à mourir en martyre, ne suffit pas à évacuer toute réflexion, ni à exclure de façon catégorique toute utilité à celle-ci.

Certes, on ne remettra pas en cause le constat que la mesure ne sera, hélas, d’aucune portée à l’encontre d’un « djihadiste kamikaze », mais à cet égard, on cherchera en vain une peine applicable, à supposer qu’elle puisse encore être donnée à titre posthume.

Mais la mesure doit être envisagée de façon globale et doit pouvoir atteindre toute personne complice d’un acte de terrorisme pour y avoir apporté volontairement aide ou assistance.

C’est à cet égard que la portée ne doit pas se limiter aux crimes, mais également continuer à atteindre les délits.

Heureusement tout étranger, même séjournant en France de façon irrégulière, n’est pas de ce simple fait un terroriste et « l’aide à l’entrée, à la circulation et aux séjours irréguliers d’un étranger » n’est pas susceptible d’entrer dans le champ des actes de terrorisme en France (Cons. Const. Décision n° 96-377 du 16/07/1996).

Toutefois, on sait que le terrorisme est une plante vénéneuse, qui pousse sur un terreau rendu fertile par divers trafics, issus d’une économie souterraine et mafieuse.

Pour lutter efficacement contre le terrorisme, il ne suffit pas d’éliminer la plante, il faut aussi traiter le terrain où elle pousse et éradiquer les racines et mêmes les germes.

Or on peut penser que la crainte de cette mesure sera beaucoup plus forte chez les délinquants qui aident les terroristes, car elle pourrait compromettre leur économie mafieuse et de ce fait, porter atteinte à ce soutien souvent indispensable, réduire ainsi l’importance des actes terroristes et en améliorer la détection et la prévention.

On a également de la peine à envisager que la privation de tous documents d’identité ou passeport, soit sans effet sur la grande liberté dont font preuve les terroristes dans leurs fréquents déplacements à l’étranger.

Certes, il est toujours possible de voyager avec un faux passeport mais les risques d’une arrestation en sont nécessairement accrus.

En tout cas, on ne fera croire à personne qu’il est plus facile de voyager avec un faux passeport qu’avec un vrai, voire avec deux vrais passeports (comme les binationaux).


Ainsi, la mesure de déchéance n’est pas dénuée d’un souci de prévention et de sureté, car elle permet de limiter ou de contrôler le déplacement des individus menaçant la communauté nationale.

De plus, il est particulièrement édifiant d’avoir, au détour d’une question ministérielle[1], la douloureuse confirmation que 290 « djihadistes » avaient touché des prestations sociales en 2014, chiffre, dont on ne peut craindre que la sous-estimation et qui traduit une situation difficilement tolérable.

Ainsi, l’Etat français se rendrait-il coupable à son insu de complicité par une aide financière à ceux qui sont déterminés à massacrer ses ressortissants ?

La mesure, en supprimant les droits sociaux attachés à la nationalité permet au citoyen français d’espérer un meilleur contrôle de l’usage de ses impôts …

Elle n’est donc pas simplement symbolique, comme on le prétend un peu rapidement, elle permet de combattre aussi efficacement que possible cette activité criminelle en la privant, au moins dans une certaine mesure, de la liberté d’action et de ses soutiens financiers.

Certes, cette mesure est, à elle seule, insuffisante pour combattre le terrorisme, mais elle participe de cet objectif et, en ce sens, elle est utile.


a) De l’apatridie

L’argument qui a été brandi, pour empêcher l’élargissement aux mono-nationaux, serait l’interdiction de créer des personnes apatrides.

Certes, l’article 25 du Code Civil le rappelle expressément.

Toutefois, on doit se souvenir qu’il s’agit d’un ajout fait (en catimini ?) par la Loi N° 98-170 du 16 mars 1998 (dite Loi GUIGOU) sans égard aux réserves de la France sur ses engagements internationaux.

En effet, la France n’a pas ratifié la Convention des Nations Unies du 30 août 1961 sur la réduction (non la suppression) des cas d’apatrides, elle a même posé une réserve (comme de nombreux autres pays : Belgique, Autriche, Royaume Uni etc.) pour lui permettre de priver de nationalité un individu « qui a un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’Etat » (art. 8 § 3, A, II).[2]

La convention sur la Nationalité de 1997 n’a également pas été ratifiée par la France.

La « barrière » instituée par la Loi du 16 mars 1998, apparait donc fragile et la Ministre elle-même en a convenu[3], le texte pouvant parfaitement être corrigé par une loi ordinaire.


b) De la rupture d’Égalité

Par ailleurs, vouloir placer le débat de la déchéance sur le plan d’une prétendue rupture d’égalité, entre les français-binationaux et les français mono nationaux, semble vouloir raisonner à rebours.

En effet, d’une part le principe a été déjà tranché par le Conseil d’État de façon négative (D. N° 96-377 du 16 juillet 1996, D. 1997, P. 69) et d’autre part, le cumul de nationalités, qui a été admis (toléré ?) en France, essentiellement pour des raisons de recrutement et de repeuplement de la France après la guerre de 14 (Loi du 10 aout 1927) est, en fait, contraire à la convention de Strasbourg du 6 mai 1963.

Il faut rappeler que le Conseil de l’Europe, dans le but de réaliser une union plus étroite entre ses membres (objectif toujours et peut-être davantage d’actualité), avait choisi de réduire le cumul des nationalités, qui est source de difficultés, d’autant qu’il se double désormais, d’une « citoyenneté européenne ».

Ainsi, en application de cette convention, toute acquisition d’une nouvelle nationalité devait s’accompagner de l’abandon automatique de la nationalité d’origine.

Toutefois, au bénéfice d’un accord d’interprétation, la France a dénoncé en 2009, cette convention et de ce fait, l’acquisition par un ressortissant français de la nationalité d’un état signataire n’entraine plus la perte de la nationalité française.

Ce n’est donc pas contre l’apatride qu’il faut lutter (un terroriste a-t-il une patrie ?), mais bien contre la double nationalité, qui est un facteur freinant l’intégration.

Personne ne peut être contraint de garder une nationalité et de la même façon, on peut toujours acquérir la nationalité de son choix, si l’on remplit les critères du pays d’accueil.

La nationalité n’est donc pas une fatalité ou une soumission, mais doit être un choix d’adhésion, qui, comme dans le mariage, se double d’un engagement de fidélité.

On a parfois défini la nationalité comme un lien d’allégeance.

Toutefois, le Gouvernement dans ses « louvoiements », n’est peut-être pas si innocent qu’il veut bien le paraitre, et fait peut-être preuve d’un pragmatisme cynique.

En effet, en France les binationaux sont pour la grande majorité des ressortissants, issus du Maghreb (2/3 n’ont pas renoncé à leur nationalité d’origine), contrairement à d’autres populations où les binationaux sont très rares (EX. : Asiatiques du Sud Est, Italiens ou Espagnols)[4].

On peut donc penser que le gouvernement tenant « sa cible », souhaite éviter un débat de principe sur l’extension de la déchéance de nationalité, avec sa majorité qui y est clairement hostile.

Mais cette distinction est-elle encore pertinente, avec ce que l’on appelle « l’immigration de la seconde génération », qui est mono-nationale et non binationale ?

Le gouvernement a fait un choix compliqué en s’engageant dans une réforme constitutionnelle qui ne s’imposait pas et en désirant étendre son dispositif ; il pouvait plus simplement procéder à une simple réécriture du régime du retrait de nationalité, qui s’applique à tous les français et qui a été rappelé supra, notamment les articles 23-7 et 23-8 du Code Civil[5].

Sans doute faudrait-il donner quelques couleurs à ces textes anciens tombés en désuétude, pour les actualiser, en se gardant toutefois de commettre un contre sens[6].


c) Les fausses pistes de l’indignité nationale ou de la dégradation civile

Il est paradoxal de voir certains s’offusquer de la déchéance de nationalité qui a toujours existé dans notre droit, tout en se déclarant favorables à « la résurrection » de sanctions fantômes comme l’indignité nationale, issue de l’ordonnance du 26/08/44, qui avait, il faut le rappeler, dessein de sanctionner tout français ayant collaboré avec l’Allemagne nazie postérieurement à la déclaration de guerre du 16/06/1940, ou encore la dégradation civique de l’ancien Code Pénal, qui n’existe plus aujourd’hui que sous la forme de l’interdiction des Droits civils et de famille (Art. 131-26 du Code Pénal).

Il a déjà été souligné que ces concepts flous et surannés n’apportent rien à l’arsenal juridique déjà existant, si ce n’est, d’ajouter de la confusion, dans un domaine où la clarté est une donnée essentielle[7].


II - Est-ce suffisant ?

Mais, derrière la question de la déchéance se profile un autre problème sans doute plus redoutable : celui de l’expulsion.

Car la mesure ne servirait effectivement à rien, si elle n’était pas accompagnée de l’éloignement de l’individu dangereux, ce qui suppose son expulsion du territoire national.

Il est donc nécessaire de faire appliquer la mesure avec rigueur et certains pays européens viennent d’en donner l’exemple, comme la Suède, pays qui par tradition est pourtant accueillant.

Il faut tout de même préciser, bien que cela apparaisse comme une évidence, qu’une expulsion est l’exercice d’une voie de droit, qui ne peut se confondre avec les traitements visés à l’article 3 de la CEDH (qui concerne la torture, les peines et traitements inhumains et dégradants).

Il serait évidemment préférable que la communauté internationale s’empare de façon urgente de cette question, pour lui donner une solution plus globale (car quel pays voudrait accueillir le terroriste déchu de sa nationalité, à part peut-être l’EI mieux connu sous l’acronyme Daech?)[8]

Evidemment, devant la difficulté, il serait peut être plus facile de renoncer, comme le suggère l’ancien Garde des Sceaux dans l’ouvrage qu’elle vient de faire paraître[9]

Mais, conserver des terroristes sur le territoire national, non seulement présente un danger pour la population française, mais de plus revient à les mettre sous surveillance permanente, même si l’on peut prétendre cyniquement que nos services de renseignements pourraient puiser ainsi des sources d’informations.

Nos sociétés semblent seulement commencer à mesurer la difficulté d’appliquer les principes issus des droits de l’Homme à des individus qui les méprisent aussi bien pour les autres que pour eux-mêmes.

Pourtant, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 rappelle dans son préambule que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics.


Index:
[1] Question d’actualité au gouvernement de Mr MARSAUD à Bernard CAZENEUVE en mars 2015

[2] Paul LAGARDE « La déchéance de nationalité » Dalloz 2010 p. 1992

[3] Blog de Mme GUIGOU du 5 janvier 2016, Source MEDIAPART « Les apatrides, une monstruosité juridique « (sic)

[4] Source WIKIPEDIA, « double nationalité »

[5] Prats « retirer la nationalité au Djihadistes de Daech en 15 jours, chiche, Que nous dit le Droit aujourd’hui », D. 06/01/2016

[6] Proposition de la Loi de Bernard DEBRE réduisant le champ de l’article 23-7 du Code Civil, par ajout de la mention « si la perte a pour résultat de le rendre apatride », alors que ce texte ne concerne que les binationaux et que le problème ne peut pas par définition se poser.

[7] Raphaël PARISOT « contre l’indignité nationale », D. 2015, P. 976, même si on ne peut adhérer à l’opposition artificielle entre délinquants et terroristes, car ils sont assurément les deux

[8] Qui figure sur la liste des organisations terroristes de l’ONU mais semble-t-il pas sur celle de l’UE, pourquoi ? Source WIKIPEDIA catégorie « Organisations terroriste)

[9] Ch. Taubira, Murmures à la jeunesse, extrait : « un pays doit être capable de se débrouiller avec ses nationaux, que deviendrait le monde si chaque pays expulsait ses nationaux de naissance, considérés comme indésirables ? Faudrait-il imaginer une terre déchetterie où ils seraient regroupés ? »)


Cet article n'engage que son auteur.
 

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