Affaire Tapie : le sort de la sauvegarde après l’arrêt de la Cour d’appel de PARIS
Auteurs : BOTTIN Matthieu, NEVEU Pascal
Publié le :
08/01/2019
08
janvier
janv.
01
2019
Lire l'article précédent Affaire Tapie : Un plan de sauvegarde commun aux deux sociétés pouvait-il régulièrement être arrêté ?
On rappellera que la Cour d’appel de PARIS dans son arrêt du 20 avril 2018 a infirmé le jugement du Tribunal de commerce de PARIS qui avait admis le plan des débitrices. Ce plan a été rejeté clairement par la Cour qui statuant à nouveau à tenu à préciser « rejette le plan de sauvegarde présenté par les Sociétés GBT et FIBT » et à ajouter « rejette leur demande de prolongation de la période d’observation fondée sur l’article L.661-9, alinéa 1 du Code de commerce ». Toutefois, ce même arrêt a déclaré irrecevable la demande de conversion en liquidation judiciaire.
La situation procédurale qui découle de cette décision est complexe car, tout en invalidant le plan, elle ne met pas fin à la procédure de sauvegarde, renvoyant d’ailleurs son sort à une prochaine décision du tribunal de commerce. La Cour l’indique dans ses attendus « il appartiendra au tribunal de se prononcer sur la clôture de la procédure ».
Cet arrêt a donné lieu, comme c’est devenu une habitude dans cette affaire particulière, à des présentations contradictoires.
On a prétendu tout d’abord que la Cour d’appel avait refusé de mettre le groupe TAPIE en liquidation judiciaire. Cela est inexact mais c’est la demande du ministère public fondée sur l’article L.622-10 du code de commerce qui a été déclarée irrecevable.
Sur le plan procédural, l’irrecevabilité d’une demande ne signifie pas son rejet mais tout simplement qu’elle n’a pu être examinée par la juridiction.
On touche ici la difficulté de convertir une procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire.
En effet, pour assurer « l’étanchéité » entre ces procédures, le législateur[1] a soumis la conversion éventuelle à des conditions sévères tant sur le fond[2] que sur la forme[3].
Certes, le tribunal ne peut laisser une entreprise accumuler des dettes à l’abri d’une procédure de sauvegarde et lui offrir ainsi une protection artificielle. Il doit donc la placer en redressement judiciaire, du moins si l’état de cessation des paiements apparaît au cours de la période d’observation ou, fortiori, si cet état de cessation des paiements s’accompagne de la constatation que ce redressement est impossible.
Dans notre cas, l’état de cessation des paiements n’avait pu être constaté ni lors de l’ouverture de la procédure ni même après[4].
Sur le plan de la forme, cette demande de conversion doit être faite soit par voie de requête soit par voie de convocation si le tribunal se saisit d’office[5].
On comprend le souci de s’assurer que toutes les parties intéressées ont bien eu connaissance de la demande de conversion et ont été mis éventuellement en mesure d’y répliquer compte tenu des conséquences que peut entraîner une liquidation.
Or, dans la procédure examinée, la demande de conversion en liquidation judiciaire avait été présentée par le ministère public à l’audience même du tribunal de commerce qui statuait sur le plan, selon des réquisitions orales.
Certes cette demande avait été réitérée en cause d’appel par des conclusions mais la Cour n’était saisie que des seules dispositions tranchées par le jugement.
La Cour n’a donc pas refusé de se prononcer sur la demande de conversion, elle a simplement constaté qu’elle ne pouvait le faire sans excéder ses pouvoirs[6]. La demande a donc été jugée irrecevable.
Aujourd’hui, il faudrait savoir si les sociétés débitrices peuvent encore, à ce stade de la procédure de sauvegarde, échapper à la liquidation judiciaire. Il appartiendra au Tribunal de commerce de PARIS de le dire, mais on peut d’ores et déjà examiner plusieurs hypothèses.
En premier lieu, le tribunal peut-il encore examiner valablement un plan de sauvegarde présenté par les sociétés débitrices et a fortiori l’admettre ?
A cette première question, on est tenté de répondre par la négative.
En effet, un plan de sauvegarde doit être élaboré pendant la période dite d’observation selon un processus précis et contradictoire qui nécessite la consultation des organes de la procédure collective qui consultent eux-mêmes les créanciers.
Or, la période d’observation est achevée depuis plus d’un an (le jugement arrêtant le plan est de juin 2017) et la Cour a, par une disposition expresse, refusé d’ouvrir à nouveau cette période d’observation. Dès lors, aucun plan de sauvegarde nouveau ou amélioré ne devrait être examiné régulièrement par un tribunal.
Ce que traduit d’ailleurs une règle non écrite mais toujours présente en procédure collective qui veut que plan sur plan ne vaut.
On comprend en effet que sans celle-ci le débiteur pourrait de façon répétitive présenter les plans jusqu’à ce que finalement le tribunal en admette un au besoin par lassitude. La procédure collective n’est pas une loterie où on peut tenter sa chance indéfiniment.
En second lieu, cette situation doit-elle aboutir directement à l’ouverture d’une liquidation judiciaire ? Cela ne semble pas le cas, car un redressement judiciaire doit être ouvert préalablement.
En effet, le tribunal n’a de choix que dans l’alternative suivante :
- soit clôturer purement et simplement la procédure de sauvegarde ;
- soit ouvrir un redressement judiciaire sans avoir besoin de constater un état de cessation des paiements[7] si cette clôture le conduirait à constater à bref délai la cessation des paiements.
Le tribunal peut en effet estimer que cette dernière condition est remplie car la clôture de la procédure rendrait immédiatement exigible la condamnation prononcée par l’arrêt de la Cour d’appel de PARIS du 3 décembre 2015 ce qui conduirait inévitablement les sociétés à un état de cessation des paiements.
La situation procédurale est d’autant plus rocambolesque que si ce constat s’était révélée pendant la période d’observation l’impossibilité de tout redressement justifiait à lui seul l’ouverture d’une liquidation judiciaire sans même avoir besoin de constater l’état de cessation des paiements par le jeu de l’article L.631-15 du Code de commerce[8]. L’ouverture de ce redressement judiciaire pourrait d’ailleurs être demandée par le débiteur.
Certes, cette procédure de redressement judiciaire qui succèderait donc à une procédure de sauvegarde n’aurait en principe pas plus de solution que la précédente sauf élément nouveau. En effet, les sociétés débitrices ne peuvent reconstituer leur trésorerie sans apport extérieur ou proposer une cession globale des biens qui sont dans leur grande part incessibles ou même une solution de cession interne, les parts de la Société FIBT faisant l’objet d’une saisie pénale.
En définitive, il apparaît qu’une liquidation judiciaire ne pourra être durablement empêchée, cette solution étant d’ailleurs jugée par les observateurs les plus avertis comme inévitable[9].
En tout cas le déroulement de cette procédure aura au moins montré à quel point une procédure de sauvegarde offre au débiteur les moyens juridiques de se battre et de résister à ses difficultés. Ainsi, à défaut de sauver ses entreprises, Monsieur TAPIE aura pu montrer que la sauvegarde est une procédure redoutable et qu’elle peut mettre en échec les créanciers les mieux armés et même le ministère public.
Le dernier épisode de ce feuilleton à rebondissement appartient désormais au Tribunal de commerce de PARIS devant lequel la procédure a repris son cours puisque l’affaire a été évoquée début octobre et mis en délibéré, puis réévoquée récemment au mois de décembre.
Le tribunal devrait en définitive rendre sa décision le 18 janvier prochain, quelle surprise nous réserve-t-elle encore ?
A suivre :
(Cinquième partie : La réponse du Tribunal de commerce de Paris)
Cet article n'engage que ses auteurs. [1] En effet, la crainte pour le dirigeant de se voir entraîner dans une liquidation judiciaire à la suite de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde pouvait l’inciter au contraire à la refuser, c’est-à-dire à ne pas anticiper ses difficultés. C'était tout l'enjeu de la nouvelle procédure de sauvegarde. [2] Art. L.622-10 du Code de commerce. [3] Art. R.622-11 du Code de commerce. [4] Cf. Partie I. https://www.eurojuris.fr/articles/affaire-tapie-sauvegarde-entreprise-37659.htm [5] Art. R.631-3 et R.631-4 du Code de commerce. [6] En effet, elle ne pouvait évoquer cette demande (article 568 du Code de procédure civile) car l’évocation est limitée aux décisions qui statue sur des mesures d’instruction ou sur des exceptions de procédure. [7] Art. L.622-10, alinéa 4, du Code de commerce. [8] Cass. Com., 28 février 2018, n°16-19422, F-P+B+I, la cessation des paiements condition variable de la liquidation judiciaire, Chr. Claire Ballot-Squirawski, Dalloz, 2018, 10 mai 2018, n°18. [9] Soinne, Affaire Tapie, actualité 11 sept. 2017, « Affaire Tapie : Sire, la cour ne rend pas des services, elle rend des arrêts ».
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