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Saga bernard tapie

Affaire Tapie (8) : Quels sont les acteurs de la saga Tapie ?

Auteurs : BOTTIN Matthieu, NEVEU Pascal
Publié le : 09/08/2019 09 août août 08 2019

Après la parole donnée à Bernard Tapie, découvrons qui sont les acteurs de cette grande saga...
Lire les articles précédents :   
  • Maurice LANTOURNE : un avocat à la barre…
  1°) Une plaidoirie à l’audience  
Maurice LANTOURNE, dont personne ou à peu près n’ignore qu’il a été l’avocat attitré de Bernard TAPIE mais aussi très proche de l’arbitre ESTOUP, a donné du dossier une présentation plus technique. Il est vrai qu’il a été le seul avocat qui a suivi depuis le début cette très longue procédure (25 ans). Il pouvait donc en parler à son aise sans trop risquer d’être contredit. Il a martelé son credo juridique « j’affirme et continue de penser qu’il y avait interdiction de se porter contrepartie » pour évoquer la position ambiguë du CREDIT LYONNAIS[1].
Pourtant, la Cour d’appel de Paris a jugé le contraire dans un arrêt ultérieur, du 3 décembre 2015, approuvé par la Cour de cassation[2].

On rappellera que cette juridiction avait motivé sa décision en retenant que « le projet de cession de titre de la société BTF (Bernard Tapie Finance) avait été préparé par le propre avocat de la Société » et que celui-ci avait donné « son consentement éclairé à la vente des titres à son mandataire [la SDBO, émanation du CREDIT LYONNAIS] ».
Ainsi, selon ces décisions, le banquier non seulement n’avait commis aucune faute, ni aucun manquement à son obligation de loyauté mais, encore, n’avait commis aucune rupture abusive de crédit (ce qui était également soutenu).

En conséquence, les sociétés de Bernard TAPIE, en grande difficulté financière, disposaient de toutes les informations nécessaires lors de la cession de leur titre et cette solution proposée par son banquier la SDBO (qui l’avait informé également des négociations en cours avec le repreneur pressenti (DREYFUS)) avait été décidée avec son accord pour un prix correspondant à leur valeur réelle et, en conclusion, il n’existait donc ni tromperie ni aucun préjudice.
Certes, Maître LANTOURNE contestait toujours cette décision et a regretté « ne pas avoir pu plaider devant la cour de Paris » en raison de sa mise en examen. Songeait-il sincèrement à cet instant qu’il aurait pu à lui seul faire échec à ce qu’il qualifie de « jurisprudence inversée (sic) » qui le « scandalise »[3] ?

Il avait pourtant mené un autre combat très intense pour contester la régularité des poursuites pénales, notamment sur la durée des gardes à vue, et plus encore la communication aux magistrats instructeurs du dossier des poursuites contre Christine LAGARDE par les juges d’instruction de la Cour de justice de la République. Ce volet pénal de l’affaire, qui visait directement Maître LANTOUNE, devait lui-aussi tourner en sa défaveur[4]. Sa démonstration arrivait donc trop tard pour convaincre et pouvait apparaître même contreproductive alors que justement il se défendait d’avoir entretenu avec l’arbitre des relations suspectes qui pouvait faire douter de l’impartialité de ce dernier.

Certes, son Conseil (l’avocat de l’avocat !) a prétendu avec raison que dans un arbitrage chaque partie choisit un arbitre plutôt favorable à sa cause et que ce serait « une faute professionnelle de ne pas le faire ». Mais en l’espèce, curieusement, ce processus n’a pas été respecté puisque les arbitres n’ont pas été choisis par les parties mais par une sorte de consensus entre elles.

On touche ici un point important de l’accusation qui voit dans ce modus operandi la révélation de l’intention cachée de parvenir à un résultat voulu d’avance, marque de la fraude qui a été consacrée par la juridiction civile sous le qualificatif de « simulacre d’arbitrage ».
Tout laisse penser que la décision devait apparaître régulière en raison du seul prestige et de l’autorité attachée à la personne des arbitres. Cette observation concerne plus particulièrement Maître BREDIN et Monsieur MAZEAUD, ce dernier n’avait pourtant jamais eu à intervenir en matière d’arbitrage mais, malgré ce handicap, avait été désigné comme président. Il avait donc la tache de diriger une procédure qu’il n’avait jamais pratiquée.

Mais la justice n’est pas divine, elle est rendue par des hommes, elle doit donc convaincre. Ainsi, la qualité et l’autorité de leurs décisions ressort donc davantage de la justesse de leurs raisonnements que de la seule signature des personnes qui les rédigent.
 
Il faut ajouter qu’en matière d’arbitrage la fonction n’étant pas institutionnelle comme pour les magistrats, l’indépendance est considérée comme une qualité consubstantielle à l’arbitre. Elle est donc plus exigeante et un manquement peut résulter d’une simple apparence.
 
Il faut encore ajouter que Maître LANTOURNE se défendant parfaitement tout seul n’avait pas jugé utile de faire citer des témoins pour conforter sa défense.
  2°) La charge de l’accusation  
Il était reproché à Maître LANTOURNE de s’être concerté pendant plusieurs mois avec Monsieur ESTOUP, qu’il savait acquis à la cause de Bernard TAPIE, afin d’organiser un arbitrage pour régler les litiges de son client afin d’obtenir par la fraude une décision indemnisant son client dans des proportions exorbitantes pour un préjudice inexistant.
 
Le simple énoncé de ces griefs dépassait donc un simple manque d’indépendance et le présentait comme un auteur de la fraude qui avait permis à l’arbitre ESTOUP de « circonvenir les deux autres dans un dessin frauduleux »[5].
 
Pour le parquet, les poursuites pour escroquerie était non seulement justifiées mais se dédoublaient d’une complicité de détournement de fonds publics pour en avoir facilité la préparation et la consommation par Bernard TAPIE.
  3°) La réponse du Tribunal  
En revanche, pour le tribunal « il ressort clairement des éléments du dossier et des débats que les modalités du compromis d’arbitrage sont le fruit de négociation entre avocats ».
Le tribunal prenant notamment appui sur les nombreux échanges entre le cabinet AUGUST et Maître LANTOURNE révélé par le dossier pénal.
 
Certes, mais que ce compromis ait été « le fruit » d’une négociation entre avocats n’évacue pas le fait qu’il ait pu être une fraude constitutive d’escroquerie.
 
Un point, sans doute le plus délicat puisqu’il porte sur le « fameux » préjudice moral, l’éclaire particulièrement et rend le raisonnement du tribunal guère convainquant.
 
Ainsi, après avoir fait une assimilation douteuse entre « préjudice moral » et « préjudice de carrière » (sic), le tribunal énonce qu’ « il n’est pas contesté que l’engagement a été pris que le préjudice moral, qui devait être remis directement à Monsieur et Madame TAPIE, serait en fait versé aux liquidateurs des sociétés du groupe TAPIE, lesquels ne seraient autorisés à le leur remettre que s’ils disposaient des fonds nécessaires pour payer l’intégralité du passif ».
 
Voilà donc un bien curieux préjudice qui change de nature en fonction des personnes susceptibles d'en recevoir le montant...
 
Mais un préjudice moral ne ressemble pas à un caméléon, il ne peut être réclamé que par celui qui en a souffert. Il est attaché à la personne et pour cette raison insusceptible d’être appréhendé par des liquidateurs. Il n’est pas de nature patrimonial et échappe pour cette raison au dessaisissement produit par le jugement de liquidation judiciaire[6].
 
Il ne peut servir de variable d’ajustement de la procédure collective pour combler une éventuelle insuffisance d’actif et ce préjudice qualifié de « moral » ne pouvait être remis qu’à Monsieur et Madame TAPIE et à personne d’autre.
 
Il faut aussi revenir sur « les évolutions » de la rédaction du compromis d’arbitrage.
 
On sait que la première rédaction était la suivante « en qualité de liquidateurs des époux TAPIE, les parties B limitent le montant de leurs demandes d’indemnisation à 50 millions d’euros ».
 
Ainsi, lors de cette première présentation, aucune référence n’était faite à un préjudice « moral » et d’ailleurs c’était bien les liquidateurs qui étaient les demandeurs.
 
Or, de façon inexplicable, la version finale devait être la suivante : « en qualité de liquidateurs des époux TAPIE, les parties B limitent le montant de leurs demandes d’indemnisation du préjudice moral à 50 (cinquante) millions d’euros ».
 
La demande était donc irrecevable (ou au moins inexpliqué), on l’a vu puisque les liquidateur n’avaient aucune qualité pour réclamer un préjudice moral qui constitue un droit propre du débiteur[7].
 
Le plus extraordinaire (oule plus invraisemblable), c’est que le CDR a fait valoir le moyen dans ses mémoires mais l’a abandonné inexplicablement lors des plaidoiries devant les arbitres lors de l’audience du mois de juin 2008[8]
 
Ce comportement interpelle car si le compromis était bien « le fruit » d’une négociation entre avocats, comment ne pas voir des manœuvres frauduleuses dans un tel processus ?
 
Certes, Maître LANTOURNE n’était pas l’avocat du CDR puisque c’était Maître Gilles AUGUST qui l’était, mais ces derniers étaient en contact étroit et semblent bien avoir agi dans le seul intérêt de la partie « TAPIE ».
 
Dès lors, on a du mal à admettre que le recours à l’arbitrage et la signature du compromis soit le « fruit » « de décision librement consentie » ou encore « de décisions prises en toute connaissance de cause par les conseils d’administration du CDR et de l’EFR » comme l’énonce le tribunal[9].
 
Le tribunal va d’ailleurs plus loin encore puisqu’il « dédouane » Maître LANTOURNE en énonçant « qu’il ne saurait être reproché (à celui-ci) avocat d’une partie, au demeurant soumis au secret professionnel, d’avoir tu ce qui n’avait pas à être divulgué par l’arbitre à l’époque des faits ».
 
Ce jugement constitue même pour Maître LANTOURNE un satisfecit inattendu puisque le tribunal énonce « qu’il n’y a pas de manœuvre à savoir manier habilement ses droits dans le cadre d’une stratégie judiciaire ».
 
Mais toute stratégie judiciaire d’un avocat a une limite, celle de l’escroquerie au jugement qui consiste à tromper les juges afin d’obtenir une décision favorable aux intérêts de ses clients. L’escroquerie au jugement peut être retenue même dans une procédure arbitrale[10].
 
Cette catégorie d’escroquerie a été reconnue par la jurisprudence sous l’affirmation du principe suivant « si l’exercice d’une action en justice constitue un droit, sa mise en œuvre peut constituer une manœuvre frauduleuse caractérisant le délit d’escroquerie »[11].
 
L’affirmation du tribunal semble donc être en décalage avec cette jurisprudence bien acquise, qui constitue la limite de toute « stratégie judiciaire » qui peut facilement revêtir la couleur d’une escroquerie lorsque ses véritables buts sont dissimulés.
 
En revanche, une question demeure sans réponse claire, celle de savoir si les juges (les arbitres) ont été trompés par cette « stratégie » ou ils ont accepté de l’être ?[12]

La Cour d’appel de Paris (dans son arrêt du 17 février 2015) n’avait pas eu d’état d’âme sur le comportement des « coarbitres soumis à l’effacement, par facilité, excès de confiance, parti pris, voire incompétence » par le rôle prépondérant donné à l’arbitre ESTOUP.
 
Cette motivation apparaît donc plus convaincante que celle développée par le Tribunal.
 
(à suivre…)


Cet article n'engage que ses auteurs.
  [1] Allusion au « double jeu » qu’aurait utilisé le Crédit Lyonnais pour s’emparer de la fameuse plus-value alors que la banque soutient au contraire avait par ce moyen sauvé Tapie de la faillite. [2] Paris, 3 déc. 2015, rejet du pourvoi ; Cass. Com., 18 mai 2017, NP 15-28683/16-10339/16-10344. [3] Il semblait faire allusion à une autre décision rendue par la cour d’appel de Paris qui sur le recours en révision à rétracté la sentence arbitrale (Paris, 17 février 2015, Dalloz 2015, p. 1253, note Mouralis). [4] Cass. Com., 19 janv. 2016, n°15-81039. [5] Paris, 17 février 2015 [6] Article L. 641-9 du Code de commerce ; une plainte pour escroquerie au jugement pouvait-donc émaner du dirigeant dessaisi (Cass. crim., 30 janvier 2019, NP 17-86344) mais en l’espèce ce n’était autre que TAPIE… [7] Cass. com., 13 février 2007, n°05-12471. [8] Cf. Affaire Tapie : Comment l’arbitrage a-t-il état conduit ? [9] Jugement du 9 juillet 2019. [10] Cass. crim., 30 juin 2004,NP°03-85019. [11] En dernier lieu, Cass. crim., 31 janvier 2018, NP 16-84-612 ; Cass. crim., 24 octobre 2018, NP 17-802015. [12] Suivant la déposition ambigüe de Me BREDIN (déjà citée) « nous nous sommes peut-être fait avoir… enfin ESTOUP, je ne sais pas, mais Pier MAZEAUD et moi oui ».

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