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Conseil d'Etat

Pas d’obligation d’indiquer dans l’avis d’audience la possibilité de déposer une note en délibéré dans le cadre d’un référé-suspension

Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le : 15/05/2019 15 mai mai 05 2019

L’absence, dans l’avis d’audience, de l’indication de la possibilité de déposer une note en délibéré, entache-t-elle d’irrégularité la procédure de référé-suspension au terme de laquelle l’ordonnance contestée a été rendue ?
C’est la question à laquelle le Conseil d’Etat a répondu négativement dans une décision rendue le 25 janvier 2019.

En l’espèce, la requérante reprochait à la convocation à l’audience de référé suspension de n’avoir pas précisé la possibilité de dépôt d’une note en délibéré et en concluait que la procédure étant irrégulière, l’ordonnance rendue à son terme devait être annulée.  
C’est au visa des articles L. 521-1, L. 522-1, R. 522-6, R. 711-2 et R. 731-3 du Code de justice administrative que le Conseil d’Etat estime «qu’il appartient au juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 de ce code, compte tenu des caractéristiques de cette procédure, d’aviser les parties de la date d’audience par tous moyens utiles, sans que s’appliquent les règles fixées par l’article R. 711-2».
  Tant les dispositions du Code de justice administrative que la jurisprudence tendent à concilier les exigences du procès équitable avec celles propres aux procédures d’urgence. La solution retenue apparait conforme à cette double préoccupation

  I - La soumission du procès administratif aux exigences du procès équitable -au rang desquelles le respect du contradictoire- ne fait plus de doute
L'instruction des affaires est contradictoire, le principe est posé au titre préliminaire du Code de justice administrative à l’article L. 5.
 
La possibilité d’adresser une note en délibéré participe du caractère contradictoire de la procédure administrative.
 
C’est la portée qui lui a été reconnue par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 7 juin 2001, Req. 39594/98), en un temps où il n’était pas possible aux parties de présenter des observations orales après que le commissaire du Gouvernement eut exposé ses conclusions.
 
Certes, le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009, relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions a permis aux parties de rependre la parole pour répliquer éventuellement aux conclusions du rapporteur public -qui a succédé au commissaire du Gouvernement- puis le décret n° 2011-1950 du 23 décembre 2011 modifiant le Code de justice administrative a modifié l’ordre des prises de parole successives de sorte que les parties présentent désormais leurs observations orales après les conclusions du rapporteur public.

Pour autant, la possibilité de déposer une note en délibéré n’a pas été remise en question.
  Cette faculté accuse d’ailleurs une différence notable avec la procédure civile qui prohibe le dépôt d’une note en délibéré, sauf dans le cas où le juge l’a expressément sollicitée (C. proc. civ., art. 455).  
Ainsi, les dispositions de l’article R. 711-2 prévoient que l'avis d'audience par lequel toute partie est avertie par lettre recommandée avec accusé de réception ou par la voie administrative, du jour où l'affaire sera appelée à l'audience, reproduit les dispositions des articles R. 731-3 relatives à la faculté de déposer une note en délibéré, et R. 732-1-1portant sur la possible dispense de conclusions du rapporteur public [1].
 
Ces prescriptions, de nature réglementaire, s’inscrivent dans le Livre VII : «Le jugement», Titre Ier : «L'inscription au rôle», Chapitre Ier : «Dispositions applicables aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d'appel» (CJA, art. R. 711-1 à R. 711-4).
 
L’article R. 731-3, qui s’inscrit dans le livre VII «Le jugement», titre III «La tenue de l’audience et le délibéré», chapitre 1er «Dispositions générales», dispose quant à lui : «à l’issue de l’audience, toute partie à l’instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré».
 
En désignant le président de la formation de jugement, le texte ne semble pas concerner le juge des référés, a fortiori, le juge des référés statuant en urgence, la procédure devant ce dernier étant traitée au livre V, titre II (article R. 522-1 à R. 522-14).
 
La distinction juge des référés/juge du fond, ou encore juge du provisoire/juge du principal conduit à penser que les deux régimes doivent s’articuler, avec une réserve concernant le juge unique statuant en qualité de juge du fond ou le juge des référés en matière contractuelle, lorsque ses pouvoirs relèvent de ceux du juge du fond [2]
 
Pour autant, la faculté de déposer une note en délibéré ne disparaît pas dans les procédures à juge unique, ni devant le juge des référés.
 
D’ailleurs, avant que la note en délibéré soit reconnue par le code de justice administrative (ancien article R. 731-5 issu du décret n° 2005-1586 du 19 décembre 2005 devenu article R. 731-3), son usage s’était spontanément répandu devant la juridiction administrative -les professionnels ne l’ignorent pas- et le Conseil d’Etat avait progressivement fixé les règles encadrant cette pratique.
 
La note en délibéré constitue donc bien un droit pour les parties à l’instance, dès lors qu’une audience s’est tenue.
 
Ainsi, dans le cas où le jugement est rendu le jour même de l’audience sans que les parties en aient été préalablement averties, «elles ne peuvent être regardées comme ayant été mises à même d’exercer leur droit de présenter une note en délibéré ; ce jugement a dès lors été rendu au terme d’une procédure irrégulière» (CE, 16 mars 2010, n° 312890).
 
Mais si le «droit à» la note en délibéré doit être considéré comme acquis tant devant la formation de jugement -collégiale ou à juge unique- que devant le juge des référés, le formalisme de l’article R 711-2 s’impose-t-il à la convocation à l’audience de référé sous condition d’urgence ?

  II - Le Code de justice administrative adapte à l’urgence certaines règles de procédure, et la jurisprudence du Conseil d’Etat a déjà admis que certaines exigences de forme soient atténuées ou disparaissent devant l’urgence  
L’article L. 5 du Code de justice administrative (Titre préliminaire), après avoir rappelé que l'instruction des affaires est contradictoire, prévoit expressément que les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence.
 
Ainsi, l’article L. 522-1 du Code de justice administrative dispose que le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale et que, lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2 (référé-suspension et référé-liberté), de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique. Sauf renvoi à une formation collégiale, l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public.
 
L’article L. 522-1 figure dans la partie législative du Code de justice administrative, au titre II «Le juge des référés statuant en urgence», chapitre 2 «Procédure».
 
Ses dispositions, de nature législative, semblent bien organiser des règles de procédure dérogatoires en matière de référé sous condition d’urgence.
 
Le principe selon lequel les règles spéciales dérogent aux règles générales n’est pas inconnu du droit administratif [3].
 
De la rédaction de l’article L. 522-1, on pourrait donc tirer la conclusion que l’information qui doit être portée à la connaissance des parties est limitée à la date et à l’heure de l’audience publique.
 
L’article L. 522-1 est en outre complété par l’article R. 522-6aux termes duquel, lorsque le juge des référés est saisi d'une demande fondée sur les dispositions de l'article L. 521-1 ou de l'article L. 521-2, les parties sont convoquées sans délai et par tous moyens à l'audience.
 
Cette précision participe également de l’adaptation de l’instruction contradictoire à l’urgence.
  Informer «sans délai» et «par tous moyens», eu égard à l’urgence qui s’attache à voir suspendue l’exécution d’une décision administrative qui serait illégale ou prise toute mesure de nature à sauvegarder une liberté fondamentale, signifie-t-il aussi «sans formes» ?  
En ce cas, les formalités prévues à l‘article R. 711-2 ne s’appliqueraient pas en matière de référés suspension et liberté -et notamment celle relative à la note en délibéré-.
 

Le Conseil d’Etat l’avait déjà jugé à propos du référé dit «mesures utiles» (CJA, art. L. 521-3) qui, bien que n’étant pas visé expressément à l’article R. 522-1, constitue une procédure de référé sous condition d’urgence : si le juge décide de tenir une audience -laquelle est facultative- la convocation à l’audience n’est pas tenue d’observer les règles posées par l’art. R. 711-2 (CE, 15 mars 2004, n° 259803), donc de reproduire les dispositions des articles R. 731-3 (relatif à la note en délibéré) et R. 732-1-1 (dispense de conclusions du rapporteur public).
 
En l’espèce, l’ordonnance déférée au Conseil d’Etat et ayant abouti à l’arrêt du 25 janvier 2019 avait été rendue dans le cadre d’un référé suspension.
 
Une telle procédure est effectivement conditionnée par l’urgence, au terme des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative.
 
Le formalisme de la convocation doit s’en trouver allégé par l’application combinée des textes susvisés.
 
Au demeurant, si le défaut d’information des parties sur la possibilité de déposer une note en délibéré peut compromettre l’efficacité de cette garantie procédurale, l’absence de mention sur la convocation ne remet pas en cause le droit de déposer une telle note.
 
                                                                                                                             
L'article n'engage que son auteur. [1] CJA, R. 732-1 : Sans préjudice de l'application des dispositions spécifiques à certains contentieux prévoyant que l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public, le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience sur tout litige relevant de certains contentieux. Il mentionne également les modalités selon lesquelles les parties ou leurs mandataires peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public, en application du premier alinéa de l'article R. 711-3 ou, si l'affaire relève des dispositions de l'article R. 732-1-1, de la décision prise sur la dispense de conclusions du rapporteur public, en application du second alinéa de l'article R. 711-3. L'avertissement est donné sept jours au moins avant l'audience. Toutefois, en cas d'urgence, ce délai peut être réduit à deux jours par une décision expresse du président de la formation de jugement qui est mentionnée sur l'avis d'audience.

[2] L. Maréchal, La distinction entre le juge des référés et le juge du fond, in Les juges du contrat administratif, Actes de la journée d'études de l'A.E.D.P., 2 avril 2013.

[3] Ch.-A. Dubreuil, Les adages et la rigueur du droit administratif, Revue française de droit administratif, Dalloz, 2014.

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