Sur le parquet financier et le "délit d'emploi fictif"
Auteur : NEVEU Pascal
Publié le :
28/02/2017
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2017
Le Juge et le Politique Le juge et le Politique ont toujours eu des rapports tumultueux.
Ce fut vrai par le passé, mais cela semble encore d’avantage d’actualité aujourd’hui, bien qu’ils apparaissent désormais sous une forme plus feutrée qui n’exclut cependant pas la violence.
Le politique exerce un pouvoir qui lui permet de concevoir et d’élaborer les lois et les règlements qui gouvernent la société, alors que le Juge a pour rôle d’appliquer et de faire respecter ces mêmes lois et règlements, il ne s’agit donc pas d’un pouvoir mais d’une simple autorité, bien qu’elle soit essentielle[1].
Donc « a priori » le Juge et le Politique n’ont pas de raison d’interférer l’un sur l’autre.
Mais, lorsque le Juge reproche au Politique un comportement qui enfreint la légalité, ce n’est plus La politique qui est mise en accusation, mais bien l’homme politique.
Or à ce petit jeu, le Politique est souvent perdant.
En effet, le Juge bénéficie toujours d’une présomption de respectabilité, qui, même si cela blesse, n’est pas toujours méritée.
Certes, l’opinion publique critique la Justice continuellement, mais ce n’est pas le juge qu’elle rend responsable des erreurs de la justice (à de rares exceptions près) mais l’institution elle-même, laquelle, il faut bien le reconnaitre, ne fonctionne pas toujours comme elle le devrait alors que sa tache éminemment délicate, devient de jour en jour aussi écrasante qu’essentielle.
La faute en incombe pour partie au Politique, qui ne lui donne pas toujours les moyens matériels, financiers et humains de pouvoir remplir correctement sa mission, mais cela est un autre débat.
Le Politique, de son côté, suscite dans l’opinion publique la défiance, voire la suspicion, qui là encore n’est pas dans la grande majorité des cas justifiée, même si cela choque en retour.
Ce propos introductif permet de planter le décor d’un psychodrame, comme probablement la France et elle seule, est capable d’en produire, qui agite l’opinion française depuis le 25 janvier 2017.
Que s’est-t-il passé ce jour là ?
Un juge, qui n’en est en fait pas un[2], a annoncé qu’il avait diligenté une enquête sur le candidat et sa famille.
Ainsi, ce 25 janvier 2017, un magistrat d’un parquet devenu « financier » a fait irruption dans la campagne électorale française la plus éminente, à savoir celle qui conduit à l’élection du Président de la République, pour faire planer le doute et donc, le soupçon, sur le candidat qui apparaissait le plus à même, selon il est vrai de simples sondages, d’accéder à cette fonction suprême.
On s’efforcera de donner une réponse en éclaircissant le fonctionnement de cette institution jusqu’ici peu connue qu’est le « parquet financier », de création extrêmement récente (2013) et qui, jusqu’à ce jour, n’avait suscité l’intérêt que d’un cercle restreint de spécialistes. (I)
La campagne électorale ainsi placée « en garde à vue » a privé les candidats, au moins momentanément, de la parole ; ils ne cherchent plus à parler du fond, espérant peut être par l’effondrement du favori, aboutir à une élection par défaut, privant ainsi l’électeur de son choix….
Cet emballement est donc parfaitement stérile, d’autant que comme la marée il monte aussi vite qu’il redescend, ce que l’on commence à constater plus récemment encore[3].
Qui se souvient, encore aujourd’hui, de l’émotion qui s’est emparée de l’opinion, dans des affaires les plus récentes, même celle qui remonte seulement au mois de décembre ?[4]
Une affaire chassant l’autre, rien ne demeure, si ce n’est l’impression d’une corruption généralisée, qui n’est heureusement pas la règle.
En effet, lorsqu’on agite des questions d’argent sur la rémunération du Politique, la question, par nature, enflamme l’opinion et lui fait perdre tout discernement.
La rémunération du Politique n’est pas un sujet nouveau ; mais il faut l’éclairer et dire aussi que la France a fait le choix du nombre au détriment, même si cela choque, de la disponibilité et peut-être même au détriment de la qualité[5].
Au demeurant, le problème provient plus des dépenses faites par le Politique que de sa rémunération ou de son coût réel qui est surtout aggravé par le nombre.
Car, en définitive, il faut bien lever l’impôt pour pouvoir payer et ce sont peut-être ceux qui en paient le moins qui s’en offusquent le plus.
Tout cela pour dire que ce débat, concentré sur un seul homme apparait pour le moins disproportionné et totalement unilatéral.
On a l’impression de relire La Fontaine et les animaux de la fable[6], qui s’empressent d’accuser l’un d’entre eux de tout le mal, pour mieux s’en dédouaner.
Ce qu’il faut aussi remarquer, pour être contraint aussitôt de le déplorer, c’est l’attitude de la presse et des médias dans cette affaire, car elle méprise totalement la présomption d’innocence.
Que des attaques politiques soient le fruit d’une certaine presse, qui s’en est fait une spécialité grâce à des révélations scandaleuses, n’est pas une nouveauté.
L’opinion sait prendre la distance nécessaire avec cette information, qui est, par nature, orientée, et parfois sujette à caution.
Ce qui interpelle, en revanche, c’est lorsque la presse, au sens large (ou ce que l’on appelle désormais les médias) dans sa quasi unanimité porte le même message, certes avec quelques nuances, mais, tout de même, dans la même direction.
Bien sur, il faut respecter la liberté de la presse, mais il faut rappeler aussi, que la liberté de la presse repose sur un principe cardinal : la pluralité de l’information et la diversité des opinions.
Lorsque celles-ci ne sont plus respectées, la presse ne joue plus son rôle, elle devient purement accusatoire et n’informe plus loyalement, même si cette information n’est pas toujours, par essence, objective.
Une telle campagne trouble l’opinion, la dresse contre un homme et par des mouvements d’allers-retours, s’autoalimente, pour faire du soupçon une véritable condamnation, avant – hors - tout procès.
Il est à cet égard symptomatique de relever que ce procès médiatique est justement fait à un homme qui a dit publiquement avoir de lui-même modifié certaines pratiques qui, à ses yeux, n’étaient plus comprises par l’opinion, alors que l’immense majorité de ceux qui en bénéficient encore et toujours aujourd’hui, demeure prudemment taisante.
Ainsi, au-delà de cette polémique moraliste et artificielle, surgit une question autrement plus essentielle et urgente, qui est de mettre en place un statut de l’élu, et c’est ce que justement celui qui est vilipendé souhaitait faire !… Comprenne qui pourra !
A cet égard, la « transparence », terme inutilement agité, est une mauvaise approche du problème.
En effet, la transparence est une loi physique qui concerne certains corps inertes, mais pas l’être humain.
Si l’être humain était transparent, cela se saurait sans doute et il y perdrait une grande partie de sa richesse personnelle.
En revanche, il peut et il doit y avoir une obligation, surtout pour ceux qui occupent une fonction publique, d’être respectable et rigoureux, ce qui suppose qu’ils se soumettent à des règles bien identifiées et comprises de tous, et repose le problème de la visibilité du statut de l’élu par les citoyens.
On doit alors parler de clarté plutôt que de transparence.
C’est cette dernière question qui est donc bien désormais au centre du débat de la prochaine élection présidentielle. (II)
I) De qui le Parquet financier est-il le nom ?
C’est Jérôme CAHUZAC lui-même qui a porté sur les fonds baptismaux cette nouvelle institution, née de l’onde de choc considérable qui a ébranlé l’opinion publique, et déstabilisé un pouvoir qui à défaut de montrer son efficacité dans l’objectif qu’il s’était lui-même assigné (le changement), se rêvait au moins vertueux…
Pour donner plus de solennité à cette naissance, le Chef de l’État est venu l’annoncer lui-même à la télévision le 8 avril 2013, avec un art digne d’un prestidigitateur, puisqu’en huit jours seulement, il avait fait sortir de son chapeau la création d’un « parquet financier ».
Cette génération spontanée, n’a pas manqué de surprendre, car « a contrario », elle pouvait laisser penser que le Parquet, jusque là, manquait d’efficacité sur les affaires financières… (On reste pantois !)
Or une réforme récente avait déjà institué des sections financières spécialisées du Parquet à compétence régionale et l’on pouvait penser que ce qui était présenté comme une « avancée majeure » par le Chef de l’État, était plutôt le signe d’une nouvelle complexité administrative et judiciaire.
Le Syndicat de la magistrature lui-même ne manquait pas de le relever dans un communiqué paru le même jour que l’allocution télévisée.
La principale critique de ce syndicat portait, il est vrai, plutôt sur la « dépendance du parquet au pouvoir exécutif », qui ne garantissait pas à ses yeux la poursuite de ces enquêtes longues et complexes par un magistrat indépendant…. (De quoi alimenter la suspicion en retour du candidat !)
Le représentant le plus éminent du Parquet (Le Procureur Général à la Cour de Cassation), émettait lui-même aussi des réserves, en privilégiant une autre piste, par le renforcement des moyens du parquet de Paris.
Le moins que l’on puisse dire est que de « mauvaises fées » s’étaient penchées sur le berceau du parquet financier, entre le parfum délétère du scandale, la légèreté de la précipitation voire de l’improvisation, la pesanteur du soupçon, ou encore celle de la complexité.
On hésite sur tous ces maux pour savoir celui qui a été le plus déterminant mais il est certain que tous ont joué leur rôle.
Pourtant, la mission était claire : pourfendre la corruption qui avait gagné la société française.[7]
À cet égard, la mission semblait remplie, lorsque le tribunal correctionnel de Paris, le jeudi 8 décembre 2016, sur les réquisitions implacables du Parquet Financier, a condamné à 3 ans de prison fermes et sans aménagement de peine, Jérôme CAHUZAC pour fraude fiscale et blanchiment.
Cette affaire « exemplaire » a donc reçu une sanction qui ne l’est pas moins et dont d’autres délinquants, ayant commis des délits d’apparence beaucoup plus graves, n’auraient sans doute pas bénéficié[8].
Mais voilà, le même Tribunal correctionnel de Paris, quelques jours plus tard, le 12 janvier 2017, sur les réquisitions tout aussi fermes du parquet financier, relaxait les frères Guy et Alec WILDENSTEIN et six autres prévenus, qui étaient accusés d’une fraude fiscale comme on n’en voit sans doute que dans les films ou les romans, aux termes d’un jugement de 85 pages, dont la rédaction a du sans doute donner un travail considérable à son auteur, qui a prononcé cette relaxe non sans faire publiquement d’abord un acte de contrition…
La conscience de quelques « voleurs de chaises », toujours plus sensible (on les comprend) aux fautes des autres, a du en être durablement ébranlée.
Évidemment, il serait malhonnête intellectuellement de présenter un bilan de l’action du parquet financier au travers de ces deux décisions, si spectaculaires quelles soient, d’autant plus que ni l’une ni l’autre n’est définitive.
En revanche, il ne faut pas se méprendre, la Justice n’est pas un glaive, c’est une balance qui pèse et soupèse, car elle a peur de se tromper.
Il ne faut pas évidemment l’en blâmer, car la Justice est faite de mesure, au sens propre, comme au sens figuré et il faut toujours se méfier des opinions trop tranchées.
Pour en revenir au parquet Financier, il faut dire que dès le départ, sa compétence a été sujette à de multiples interrogations.
Il était présenté comme « un procureur spécialisé avec une compétence nationale, qui pourra agir sur les affaires de corruption et de grande fraude fiscale ».
La question de sa compétence était double : s’agissait-il de lui donner une compétence exclusive de celle des autres Parquets, mais alors sur quels critères ? S’agissait-il de lui donner une « compétence d’appui ou même de concurrence », avec ces mêmes parquets, mais alors où résidait la concentration, synonyme d’efficacité?
Certes, pour faire image, un rapprochement était tenté avec la création du parquet national anti-terroriste.
Mais comparaison est-elle raison ?
Fallait-il en déduire que la corruption et les grandes fraudes fiscales menaçaient à ce point le territoire français, que le Gouvernement lui-même, s’était laissé infiltrer par un terroriste ?
Les choses ne sont évidemment pas de la même nature.
Mais cette question de compétence restait sans solution claire.
Ni la loi n° 2013-117 du 06/12/2013, relative au Parquet Financier, ni le décret d’application du 29/01/2014 (n° 2014-64) ni, encore, la circulaire du 31/01/2014 (NOR : JUSD 1402827C) n’apportaient sur ce point de réponses satisfaisantes ; l’embarras était tel que le Procureur Général auprès de la Cour de Cassation, qui avait déjà montré ses réticences, avait suggéré la création d’un « Procureur répartiteur »….
Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ?
La Loi (dite Sapin II[9]) adoptée par l’Assemblée le 7 novembre 2016, relative à la transparence et à la lutte contre la corruption, avait clairement pris le parti du Parquet Financier à compétence nationale.
Mais une décision du Conseil Constitutionnel rendue le 09/12/2016 (n° 2016-741D), invalidait l’article 23 de la dite Loi qui confiait au Parquet Financier une compétence exclusive d’instruction et de poursuites.
La censure était justifiée selon le Juge suprême, par l’absence de dispositions transitoires permettant le transfert des procédures en cours entre les différentes institutions et par la crainte qui pouvait en résulter de favoriser des irrégularités procédurales, de nature à compromettre l’objectif d’une bonne administration de la justice, qui a valeur constitutionnelle.
Pour tenter d’apporter un peu de lumière dans un lieu où il n’y en a guère, la loi remaniée du 09/12/2016 (n°2016-1691, Article 18), devait acter ce curieux attelage entre le procureur financier, le parquet spécialisé ou encore le parquet de Paris.
Donc une compétence partagée et/ou concurrente (les termes ne sont-ils pas contradictoires ?).
On n’est toujours pas totalement rassuré par le « partage » et la « concurrence » faisant irruption dans un domaine où on ne les attendait pas ; ces concepts sont déroutants en matière judiciaire.
Pour qui connait un peu la complexité et les susceptibilités qui règnent dans l’institution judiciaire, ce qui est présenté comme une clarification n’en est point une et des frictions n’ont pas manqué d’apparaitre.[10]
Quoi qu’il en soit, le parquet financier a désormais un visage connu, celui de Mme Éliane HOULETTE, installée par Mme TAUBIRA avant son départ, le 03/03/2014, avec une relative discrétion, ce qui est de bon ton dans le monde judiciaire, et qui a aujourd’hui, et en quelques semaines, gagné en notoriété et visibilité dans la plupart des quotidiens et dans les autres médias[11].
Dressant un premier bilan, après une première année d’existence (dans une relative indifférence), le 4 mai 2015, Mme HOULETTE mettait en avant l’efficacité du parquet financier, fruit de sa spécialisation, lui permettant de se concentrer sur une mission limitée, sans la servitude des audiences ou des permanences.
Forte de ce constat, elle s’assignait une devise que n’aurait pas reniée une équipe de football (non moins connue) « droit au but et amende forte ».
Pour donner plus de consistance à ce propos, elle n’hésitait pas à fournir quelques exemples plus concrets avec des noms. (HSBC, CAHUZAC, DASSAULT, BALKANI).
Elle insistait surtout sur la fraude fiscale, à forte valeur symbolique, en citant plus particulièrement le dossier de l’héritière NINA RICCI, dans lequel et pour la première fois en France, l’avocat du contribuable poursuivi, avait été condamné solidairement avec son client ...
On s’en doute, même s’il faut être prudent car la décision a été frappée d’appel, une telle sanction a naturellement ému tous les Avocats pratiquant la matière, dont l’exercice est devenu, de ce fait, particulièrement, risqué !
Pour pouvoir mener à bien cette lutte « vitale », le législateur n’a pas hésité à s’en donner les moyens, puisque cette même Loi (du 09/12/2016) institue une « Agence Anticorruption »(OCLCIFF), dont la mission est de prévenir et de détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de détournement de fonds publics et de favoritisme.
Le législateur, estimant, sans doute, que les moyens de cette Agence seraient insuffisants, s’enhardissait même à créer le statut ad hoc de « lanceur d’alerte »[12].
Ce statut de « lanceur d’alerte » n’a pas été invalidé par le Conseil Constitutionnel, au motif que le dispositif interne était encadré par trois niveaux successifs, le supérieur hiérarchique, l’employeur ou le référent, enfin, l’autorité judiciaire, chaque niveau étant censé jouer le rôle de filtre…
Les Sages le sont-ils toujours ?
Les parlementaires, dans leur rapport, envisagent même, sous le nom poétique « d’aviseurs fiscaux », la possibilité de rémunérer les délateurs.
Comment doit-on qualifier une société qui met en place un tel système d’espionnage, qui allie la Police (Procureur Financier), l’Agence (de renseignement) et le « lanceur d’alerte » (l’indicateur) ?
Lorsque l’on installe dans une société un tel arsenal au nom de la lutte pour la transparence, c’est la liberté que l’on met en prison.
De plus, l’optimisme affiché par Mme HOULETTE sur le fonctionnement du Parquet Financier, vient d’être sérieusement tempéré, car un rapport parlementaire évoque, déjà, l’encombrement dudit Parquet, ce qui ressemble à de l’asphyxie et un certain découragement au sein des équipes[13].
Dans ce contexte, on est tout de même un peu surpris que Mme HOULETTE ait songé à élargir la mission que lui confère l’article 705 du Code de Procédure pénale, en lançant brutalement une enquête, que l’on peut imaginer de circonstance au seul regard de sa date, contre le candidat à l’élection présidentielle.
En effet, l’agitation qu’a produite cette affaire se concentre désormais sur la question de savoir si le Parquet Financier est compétent pour pouvoir poursuivre le candidat et même et surtout, si ce candidat aurait pu commettre une infraction ou un délit ?
A défaut de pouvoir répondre positivement à ces questions, il faudra s’interroger sérieusement sur l’attitude du Parquet Financier, qui mettrait ainsi, sans raison, à bas la présomption d’innocence[14].
On ne connait pas exactement les éléments dont dispose le Parquet Financier pour pouvoir poursuivre ses investigations, puisqu’il a confié une enquête à l’Office Central de Lutte contre la Corruption et les Infractions Financières et Fiscales (en bref OCLCIFF, ouf !).
On doit donc, pour être précis, s’en tenir au communiqué qu’il a publié[15] et dans lequel il indique que ces investigations sont poursuivies « des chefs de : détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, et recel de ces délits, mettant en cause notamment, Mr et Mme FILLON, diligenté conformément aux règles de compétences de l’article 705 du Code de Procédure Pénale » . Il faut dès lors s’intéresser à l’article 705 du Code de Procédure Pénale. Si l’on reprend la circulaire du 31/01/2014 du Ministre de la Justice qui traitait justement de cette compétence matérielle (à distinguer de la compétence territoriale), celle-ci se situe à trois niveaux :
1 – une compétence exclusive au niveau des délits boursiers
2- une compétence concurrente avec les Parquets des TGI pour :
- les délits de corruption d’agents publics étrangers (Art. 435-1 à 435-10 du Code Pénal)
- les délits de corruption privée et de corruption en matière de paris sportifs (JIRS, créée par la Loi PERBEN II de 2004)
- les atteintes à la probité, savoir : la corruption dans le secteur public, la prise illégale d’intérêts, le pantouflage, le favoritisme, les détournements de fonds publics, les délits d’obtention illicite de suffrages en matière électorale, et l’on ajoutera la précision importante suivante : lorsque ces procédures apparaissent d’une grande complexité
- les escroqueries à la TVA
- les délits de fraudes fiscales complexes et de fraudes fiscales commises en bande organisée
- le blanchiment de l’ensemble des infractions susvisées.
Lorsque l’on reprend cet inventaire à la Prévert, on est frappé de constater que ce texte ne vise pas les abus de biens sociaux, qui ne relèvent donc pas de la compétence du Parquet Financier, mais du Parquet que l’on est désormais conduit à qualifier « d’ordinaire ».
De plus, aucune des autres infractions (délit boursier, corruption en matière de paris sportifs, corruption d’agents publics étrangers, escroquerie à la TVA et naturellement, blanchiments pouvant en résulter) ne peuvent être rapprochées de ce qui est reproché aux époux FILLON.
Que reste-t-il après ce premier tri ? Les délits de corruption privée de grande complexité.
On reste perplexe pour adapter cette qualification aux investigations poursuivies, car pour qu’il y ait corruption, il faut un corrupteur et un corrompu ; or ils ne se sont pas signalés à ce jour, on les cherche toujours…. (personne n’a déposé de plainte….)
Il faut alors se tourner vers ce qui demeure, c’est-à-dire les atteintes à la probité, mais il faut préciser que ces délits de corruption, pour pouvoir être pénalement poursuivis, doivent s’accompagner d’un détournement ou d’une utilisation quelconque de fonds publics.
On peut faire l’usage que l’on veut de son propre argent, mais pas de celui de la collectivité, qu’il soit, d’ailleurs, d’origine publique ou privée.
Or, c’est justement ici que le bât blesse, car de fonds appartenant à la collectivité, il n’y en a point.
La grande presse a fait état de soupçons d’emplois fictifs, mais cela ne signifie pas, même si c’était établi, qu’il en résulterait un détournement de fonds publics.
En effet, les fonds qui sont évoqués par la presse, sont soit des sommes remises par l’employeur de l’épouse du candidat, soit des sommes remises par le candidat lui-même à sa famille.
Or, ces fonds ne sont, ni dans un cas ni dans l’autre, des fonds publics.
Pour les premiers c’est l’évidence, ils étaient remis par l’employeur privé ; mais pour les seconds, aussi !
Il faut, à ce stade, donner une explication supplémentaire.
En effet, les rémunérations et indemnités que l’élu reçoit de l’Assemblée Nationale, lui sont remises à titre personnel, et l’Assemblée s’interdit de contrôler l’usage et/ou la consommation qu’en fait l’élu, pour ne pas violer son indépendance, principe constitutionnel, garanti par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme[16] .
C’est l’élu qui est l’employeur, qui paye son ou ses (jusqu’à 5, mais souvent plus, on le verra plus loin) collaborateurs, leur salaire et les charges sociales.
Ces fonds constituent une indemnité qui lui est versée et qui est destinée à permettre à l’élu de faire face aux frais de personnel qu’entraine sa charge.
Le collaborateur est lié à l’élu par un contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée, ce contrat répond au droit commun et son contentieux relève du Conseil de Prud’hommes.
Ne pas le respecter, entraine pour l’élu des désagréments dont certains ont faits la douloureuse expérience[17].
Le parlementaire n’est pas un dépositaire de l’autorité publique chargé d’une mission de service public, ou encore un comptable public, au sens de l’article 432-15 du Code Pénal.
Faute de détenir des fonds publics ou même privés, mais alors remis pour une mission de service public, il ne peut, bien sûr, les détourner.
Cette distinction est complètement perdue de vue et elle est, d’ailleurs, confondue avec la situation où le même élu occupant un autre mandat, devient alors un ordonnateur de fonds publics, comme par exemple le Président d’un Conseil Général qui rémunère un proche pour un emploi fictif[18].
Il est vrai que cette subtilité peut apparaitre byzantine et qu’elle n’est pas perçue par l’opinion publique, mais elle ne peut pas ne pas l’être par un magistrat.
Il faut donc réaffirmer qu’il ne peut y avoir le moindre fonds public dans cette affaire, pour qui sait lire le Droit, d’autant que les investigations poursuivies reposent sur un prétendu délit, qui au demeurant n’a pas fait de victimes.
Comme cela a été évoqué par le candidat lui-même, les rémunérations ou indemnités ont fait l’objet de déclarations régulières auprès des impôts et au titre des cotisations sociales[19] et il a indiqué que ces rémunérations ou ces versements avaient cessé à partir de l’année 2013.
Or n’existe-t-il pas (par hasard), une prescription pénale de 3 ans pour les délits ?
Si donc ces revenus et indemnités ont fait l’objet de déclarations régulières, rien n’a été dissimulé (sauf, à ce qui est prétendu, « le travail »), mais le départ de la prescription ne s’en trouve pas modifié pour autant et court bien du jour de la perception des sommes, objet du prétendu délit.
En effet, il ne faut pas confondre le travail « fictif » avec ce que l’on appelle « le travail « au noir » », car en ce cas, ce sont alors, les rémunérations qui sont dissimulées et le paiement des cotisations éludées.
Ce n’est que dans ce dernier cas que le délit est constitué et que point de départ de la prescription est repoussé à la date de sa révélation.
En revanche, si le « travail fictif » devait devenir un délit, ce serait un évènement !
En principe, seul l’employeur en est juge, mais s’il devait faire l’objet d’enquête et de poursuites, les enquêteurs auraient certainement du travail.
S’agit-il d’un nouveau moyen de lutter contre le chômage ?
Le délit poursuivi est donc non seulement très curieux, mais au pire prescrit.
Le Parquet a donc beau déclarer poursuivre cette enquête avec « la célérité et la sérénité appropriée », il ne convainc pas vraiment.
On voit aujourd’hui, qu’à l’égard de l’affaire qui nous occupe, il n’a pas vraiment su trouver sa véritable place…
Certains esprits malveillants pouvaient même penser qu’il serait préférable pour lui de poursuive ses recherches avec la certitude de ne rien trouver, plutôt qu’un Juge d’instruction (tatillon) ou un représentant du Parquet (ordinaire) vienne le lui faire remarquer.
Mettant fin à un insupportable suspens qu’il avait lui-même entretenu, le Parquet Financier devait finalement annoncer le 25 février qu’il avait ouvert une information, confiée à un juge d’instruction (plutôt trois juges, ce qui ne serait sans doute pas trop, compte tenu des difficultés…).
Cette annonce est accompagnée du commentaire suivant : « en raison de l’ancienneté des faits concernés et de l’exigence de la mise en œuvre de l’action publique résultant de l’article 4 de la Loi adoptée définitivement le 16 février 2017 ».
Le Parquet semble présenter sa décision comme une réponse à une initiative parlementaire récente.
Le Parlement vient en effet de voter une réforme[20] (encore une) faisant passer la prescription pénale des délits, de 3 à 6 ans et même des crimes de 10 à 20 ans, pour la question des infractions qualifiées « d’occultes » ou « dissimulées », alors que la jurisprudence faisait, au cas par cas, une application mesurée et « in concreto » du décalage du point de départ de la prescription, suivant la révélation de l’infraction.
Cette tendance ne se justifie pas notamment au regard des moyens de connaissance dont on dispose aujourd’hui, et va à l’encontre de l’évolution générale qui tend au contraire à la diminution des délais de prescription.
Comment soutenir une telle « justification », si les sommes payées (et non détournées) n’ont pas été dissimulées dans le délai de la prescription ?
L’argumentaire est d’autant plus déroutant, qu’il se termine par la phrase sibylline suivante : « dans une tout autre affaire, le Parquet Financier a pris la même décision [21]».
On relèvera dans le communiqué que l’information est désormais poursuivie contre « personne non dénommée », alors que le communiqué précédent mentionnait expressément Mme et Mr FILLON.
Faut-il en déduire que les éléments recueillis par l’enquête sont si peu convaincants, qui faut désormais avancer plus prudemment ?
En définitive, que reste-t-il de cette invraisemblable affaire ?
L’impression désagréable que le candidat a fait bénéficier sa femme et sa famille, de sommes importantes (volontairement et artificiellement grossies par un cumul de plusieurs années) pour un travail non effectif (pas fictif).
C’est alors à l’électeur d’en juger et non à la justice, de se prononcer sur cette question purement morale.
Ce qui inquiète, en revanche, c’est le retour du fantôme de l’accusateur public (Antoine de FOUQUET TINVILLE[22]), de sinistre mémoire.
Avant de monter à l’échafaud, il devait écrire ces dernières lignes : « je n’ai rien à me reprocher ; je me suis toujours conformé aux Lois, je n’ai jamais été la créature de Robespierre, ni de Saint Just ; au contraire, j’ai été sur le point d’être arrêté quatre fois. Je meurs pour ma patrie et sans reproches. Je suis satisfait, plus tard on reconnaitra mon innocence ».
Ainsi, on peut accuser les autres des pires crimes et mourir en paix avec sa conscience.
Les Français, décidemment, n’apprennent rien de leur histoire. Pour lire la suite de cet article sur la rémunération des élus et du personnel politique, cliquer ici. [1] Il n’ya a pas, comme on le dit une peu rapidement, séparation des pouvoirs, mais autonomie entre eux [2] Car un magistrat du Parquet, par une erreur du menuisier, n’a pas été placé à la hauteur du juge et, aussi et surtout, pour une raison de fond beaucoup plus légitime, à savoir que le magistrat du Parquet accuse et que le juge tranche et, c’est donc ce dernier qui a toujours le dernier mot de la justice. [3] L’indécision des électeurs est, aujourd’hui très importante et en tous cas, bien supérieure à ce qu’elle était à la même époque en 2012, puisque 4 électeurs sur 10 déclarent pouvoir changer d’avis d’ici le vote. – sondage BVA du 23/02/2017- [4] La comparution de Mme LAGARDE devant la Cour de Justice de la République [5] Ce qu’à tenté de corriger la loi sur le cumul des mandats sans y parvenir vraiment, car elle a été détournée [6] Les Animaux Malades de la Peste [7] En fait si les organismes de transparence sont très sévères avec la France, c’est plutôt sur ses échanges économiques avec l’étranger que portent les critiques, que sur la situation intérieure [8] Ce qui rejoint le sentiment d’un ancien rédacteur en Chef du Canard Enchainé, Claude ANGELI, qui affirme sans rire en parlant de l’affaire CAHUZAC et de l’affaire FILLON, qu’il « a plus de respect pour les vrais voleurs » (Médiapart- 12/02/2017), l’excès est toujours insignifiant… [9] - Mr SAPIN est un récidiviste de la transparence, puisqu’il a été à l’origine d’une première Loi dite « SAPIN I », du 29 janvier 1993 (n°93-122) dite : « Relative à la prévention et à la transparence de la vie économique et des procédures juridiques ». Toujours cette obsession de la transparence, qui a donné, plus de 20 ans après, les résultats que l’on découvre aujourd’hui… [10]- Pour la petite histoire, la nouvelle procureure du parquet financier aurait demandé de figurer au même rang que le procureur de Paris, sur l’annuaire des chefs de juridiction et d’être associée à ce titre dans les cérémonies publiques du monde judiciaire, CF : rapport d’information de l’assemblée nationale du 08/02/2017. [11] Cette magistrate qui a commencé sa carrière comme Juge des enfants, était en charge depuis 1990, du Parquet Économique de Versailles, puis celui de Paris, avant d’être nommée en 2012 Avocat Général près la Cour de Paris [12] - Appellation qui évoque l’urgence du secouriste, mais qui permet, en toute discrétion et en toute impunité, de transmettre au Procureur Financier toute information non vérifiée, ce qui relève de la délation… [13] - Rapport parlementaire de Mme Sandrine MAZETIER et Mr Jean-Luc WARSMANN du 08/02/2017 sur la fraude fiscale, dont la grande Presse s’est même faite l’écho (Le Monde, du 08/02/2017) [14] - Elle vient d’être qualifiée de « coup d’état insurrectionnel » dans une tribune le 18/02/2017, rédigée par des Juristes (Avocats et professeurs de Droit) au nombre symbolique de 13…. [15] Le 16 février 2017, rompant ainsi avec une longue tradition de l’enquête pénale, qui pour être efficace devait demeurer secrète… [16] Affaire FILLON : détournement de fonds publics……ou pas ? (Charles PRAT, Dalloz actualités 10 février 2017) [17] Une ancienne candidate à la Présidence de la République, qui fut un temps la compagne du Président actuel, n’avait pas payé les salaires ni les congés payés de ses deux assistantes parlementaires, qui avaient poursuivi leur travail, au-delà de la date d’expiration leur contrat à durée déterminée. La candidate invoquait qu’elles avaient travaillé « bénévolement comme militantes », pour se soustraire à tout paiement ; elle a été condamnée à des indemnités pour rupture abusive- deux arrêts de la Cour d’Appel de RENNES du 10/04/2008 (RG : 07/02997 et 07/03024) [18] C’est la fameuse affaire du rapport et de l’emploi fictif de Mme TIBERI, qui avait été rémunérée par le Président du Conseil Général de l’Essonne de l’époque (Cour d’Appel de Paris 05/11/1999, RG -04907). [19] Ces déclarations sont faites généralement par le Bureau de l’Assemblée Nationale que le Député peut missionner à cette fin. [20] Proposition de Loi de Messieurs Alain TOURRET et Georges FENECH, adoptée définitivement par l’Assemble Nationale le 16/02/2017 [21] S’agit-il de l’affaire « Théo » dans laquelle les parents et amis d’un brave sauvageon, par le biais d’une association fictive, auraient détourné une somme de plus de 600.000 € de fonds publics destinés aux quartiers en difficultés ? la décision serait alors parfaitement justifiée. [22] Le plus « célèbre » des accusateurs publics, magistrature criminelle créée par le Décret du 10 mars 1793. Ruiné, celui-ci retrouvera un « rôle éminent » pendant la terreur et propagera des rumeurs pour obtenir la condamnation de Marie-Antoinette.
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