Avocats au Barreau de Nice

La décision du Tribunal d'annuler le mariage

Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le : 18/06/2008 18 juin juin 06 2008

Le jugement du Tribunal de Grande Instance de LILLE du 1er avril 2008 est-il un poisson d’avril ?

L'annulation pour cause de non virginitéCe n’est peut-être pas le chœur des vierges qui s’est élevé contre le jugement du TGI de Lille (1) , mais bien celui des hommes et des femmes de bon sens.

Les réactions des non juristes – qui fleurissent sur les forums et dans les courriers des lecteurs - sont très instructives : le rapprochement avec le droit commun du contrat, notamment du contrat de vente, et le droit de la consommation, n’a échappé à personne : nombreux sont ceux qui comparent cette action à celle de l’acheteur d’une voiture qu’il pense neuve et qui découvre qu’il s’agit en réalité d’une voiture d’occasion (même si elle n’a que peu roulé…) ! Avec beaucoup de bon sens, ces personnes dénoncent la marchandisation de l’humain.

Certains juristes ou autoproclamés tels trouvent dans le Code Civil une légitimation sans faille à la décision par qui le scandale est arrivé.

La ministre de la justice, enfin, a pris le parti de défendre les juges lillois. Elle en a peut-être eu assez de mécontenter ses anciens collègues… Toujours est-il que sa position ne manque pas de surprendre : la décision rendue serait un moyen de protéger la jeune fille

Pourtant, l’action en nullité relative dite nullité « de protection » a normalement pour effet de protéger celui agit en nullité, mais pas celui contre qui l’action est exercée !!

Les faits, les moyens des parties :

Il résulte de l’exposé des motifs que le mari sollicite l’annulation du mariage sur le fondement de l’article 180 du Code Civil, arguant avoir été trompé sur les qualités essentielles de sa conjointe, cette dernière n’étant pas vierge.

Dans ses dernières écritures, estimant que la vie matrimoniale a commencé par un mensonge, lequel est contraire à la confiance réciproque entre époux, le mari confirme sa demande d’annulation.

L’épouse demande au tribunal de lui donner acte de son acquiescement (libre et éclairé ?) à la demande de nullité.

Le Ministère public, tel Ponce Pilate, s’en rapporte à justice (2) …

La motivation du jugement :

Pour accueillir la demande, le tribunal retient :

« Attendu qu’en l’occurrence, Yacquiesçant à la demande de nullité fondée sur un mensonge relatif à sa virginité, il s’en déduit que cette qualité avait bien été perçue par elle comme une qualité essentielle déterminante du consentement de X … au mariage projeté ; que, dans ces conditions, il convient de faire droit à la demande …»

Ce qui permet de penser que, dans d’autres conditions – par exemple en cas de contestation de la demande de nullité -, le Tribunal aurait pu faire ce pourquoi il est habituellement requis : juger.

En l’espèce, il a préféré esquiver le débat en se réfugiant opportunément derrière l’acquiescement de l’épouse, sans doute sans mesurer les implications de la position adoptée.

Car nous ne sommes pas dans un système de Common Law et la démarche casuistique ne correspond pas à la tradition juridique française. De la décision de justice, on a tôt fait de tirer des conséquences générales, même si, en l’espèce, il ne s’agit tout de même pas d’un arrêt de la Cour de Cassation !

Le jugement encourt les critiques qu’il a suscitées :

A – Une dénaturation de la procédure d’annulation

- Au regard de la qualité essentielle

La virginité du conjoint (en l’espèce, de la conjointe) peut-elle – en droit temporel - être considérée comme une qualité essentielle de la personne ?

Si elle ne peut l’être, il n’y a pas lieu de se demander s’il existe une erreur sur ce point et si cette erreur a été déterminante du consentement du mari, démarche normalement suivie pour apprécier la recevabilité de l’action en nullité relative.

Cette question ne se pose que si l’on admet que la virginité peut être une qualité essentielle de la personne.

Mais le caractère essentiel de la qualité sur laquelle porte l’erreur doit tout de même faire l’objet d’un certain consensus. D’autant qu’il ne s’agit pas, précisément, d’un simple contrat de vente ou de prestation, mais d’une institution juridique, et la garantie d’un(e) conjoint(e) « de première main » ne participe certainement pas de l’essence du mariage !

Supposons que le mari ait fondé son action sur le fait qu’il avait cru épouser une femme blonde - élément qui aurait eu, pour lui, une importance déterminante - , mais que son épouse lui aurait honteusement caché être une brune teinte en blond.

Pensons-nous réellement que sa demande d’annulation aurait été accueillie ?

Probablement pas (enfin, espérons …), ce qui prouve bien que le juge exerce un contrôle objectif sur le caractère essentiel de la qualité litigieuse, particulièrement, dans un domaine qui intéresse l’ordre public(3).

Supposons, plus sérieusement, que l’épouse ait résisté à la demande d’annulation, indiquant que pour elle, la virginité était parfaitement accessoire.

Comment départager les époux sans avoir à se prononcer sur le caractère essentiel ou non de la virginité ?

Le relativisme a ses limites …

- Au regard de la procédure

Ainsi, sauf à admettre que la virginité doit être considérée par le droit civil comme une qualité essentielle de la personne, le tribunal devait conclure que les conditions de l’article 180 du Code Civil n’étaient pas remplies, que la demande était irrecevableen l’absence d’intérêt légitime du demandeur, ou encore au visa de l’article 6 du Code Civil, … - et qu’il n’était dès lors pas possible d’acquiescer à une demande irrecevable, rejeter les demandes et renvoyer les parties à engager la procédure de divorce de leur choix.

Car en l’espèce, si c’est plutôt le mensonge (4) que le demandeur a entendu sanctionner - et non le défaut de virginité -, la procédure de divorce pour faute était certainement mieux adaptée.

D’emblée, on relèvera que le moyen tiré de ce que la vie matrimoniale a commencé par un mensonge lequel est contraire à la confiance réciproque entre époux se situe sur le terrain de la faute et serait éventuellement susceptible de constituer un grief dans le cadre d’une procédure de divorce pour faute (le mensonge ne paraît d’ailleurs même pas établi). L’épouse pourrait toujours former une demande reconventionnelle en invoquant l’étroitesse d’esprit du mari et sa vision purement consumériste de l’union matrimoniale !

Un consentement mutuel (ou un divorce par acceptation de la rupture) aurait tout aussi bien pu être mis en œuvre.

Moins médiatique, sans doute, mais moins provocateur, aussi, et tellement plus rapide (5).

B – Le spectre de la discrimination

- Fondée sur le sexe

Le relent sexiste que dégage cette affaire n’aura pas échappé. (6)

Pour éviter tout risque de discrimination fondée sur le sexe, et dans une approche délibérément relativiste, il faut donc tirer du jugement lillois la conclusion qu’une épouse pourrait valablement engager une action en annulation du mariage pour défaut de virginité du mari (la preuve pouvant être rapportée notamment par le témoignages d’anciennes conquêtes de celui-ci) dès lors que cet élément revêt, pour elle, une importance essentielle ...

- Fondée sur l’appartenance religieuse

Dans l’espèce soumise au tribunal de Lille, les époux étaient tous deux de confession musulmane.

Bien que le jugement n’en dise rien, il a nécessairement pris en compte l’appartenance religieuse des protagonistes, comme les commentaires (juridiques ou non) qui l’ont accompagné s’accordent à l’admettre. (7)

Or la prise en compte des sentiments religieux fait question.

Elle n’est certes pas nouvelle en matière d’annulation du mariage.

Il n’est pas cependant satisfaisant que la demande d’annulation du mariage puisse connaître un sort différent selon que les parties sont musulmanes, catholiques, animistes, … ou complètement athées.

On aboutit en définitive à une forme de discrimination que notre Président de la République qualifierait peut-être de positive mais qui reste une discrimination fondée sur l’appartenance religieuse et, à ce titre, fermement condamnable.

Enfin, a-t-elle vraiment sa place devant les tribunaux d’une république qui se dit laïque (sans compter les 25 % d’agnostiques et d’athées dont on fait bien peu de cas), qui élève l’égalité au rang des valeurs essentielles et qui s’est même dotée d’une HALDE pour faire la chasse aux discriminations ??


(1) Ce jugement a été publié au recueil Dalloz (n° 20 page 1389) assorti d’un commentaire de Monsieur Pascal Labbée, avocat au Barreau de Lille, se revendiquant de l’institut du droit et de l’éthique.
L’écho donnée à cette affaire par la grande presse révèle cependant que l’avocat du requérant est Me Labbée. Si ce n’est lui, c’est donc son frère (ou son père ou son oncle)… L’usage dans notre profession est pourtant de ne pas commenter les décisions rendues dans les affaires où l’on a soi-même occupé (ou son cabinet) et ce, par délicatesse tant à l’égard de nos propres clients que des clients adverses. Question d’éthique… Mais, on le voit, ce qui est éthique pour les uns ne l’est pas nécessairement pour d’autres … Relativisme, quand tu nous tiens !

(2) En définitive, le Parquet a relevé appel.

(3) Le désordre qui s’en est suivi est bien la preuve que l’ordre public a été troublé !

(4) Bien loin, l’adage d’Antoine Loisel : « En mariage, trompe qui peut ! »

(5) Les intéressés n’étaient pas si pressés, puisque l’affaire introduite en juillet 2006 a fait l’objet d’une radiation pour défaut de diligences des parties en septembre 2007 …

(6) D’autant que cette affaire a révélé un véritable scandale de société, avec le commerce nauséabond des « reconstitutions d’hymen »

(7) voir notamment sur le blog Dalloz, le commentaire d’une française musulmane qui déclare: « … Dire que j’avais fui un pays discriminatoire et intolérant à l’égard des femmes … »





Cet article n'engage que son auteur.

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