Faut-il dépénaliser le droit des affaires?
Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le :
04/05/2008
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2008
Au mois d’août 2007, à l’occasion de l’université d’été du MEDEF, le Président de la République a déclaré qu’il voulait « mettre un terme à la pénalisation du droit des affaires, redonner aux français le goût du risque, l’envie d’entreprendre … »
La dépénalisation du droit des affairesDéclaration révolutionnaire s’il en est, qui a abouti, à l’automne 2007, à la constitution d’une Commission de réflexion dite « Commission COULON », du nom de son Président, Jean-Marie COULON, 1er président honoraire de la Cour d’Appel de PARIS, composée de nombreux magistrats, universitaires, avocats, représentants et dirigeants d’entreprises, …
Elle a remis son rapport au Garde des Sceaux le 20 février 2008.
- Le débat apparait plus idéologique que juridique
- Le projet va t-il réellement dans le sens de la dépénalisation?
- Des critiques constructives, des solutions intéressantes
- L'historique
- Les enjeux
-La méthodologie
- Critiques et propositions
- Faudrait-il aller encore plus loin?
LE DEBAT APPARAIT PLUS IDEOLOGIQUE QUE JURIDIQUE
Les réactions de quelques syndicalistes, aussitôt relayées dans la grande presse, étaient-elles vraiment justifiées ?
Le Syndicat de la Magistrature dénonçait:« de nouvelles citadelles d’impunité, une justice en catimini, la clémence pour les cols blancs, … »
Pour le parti socialiste, « la répression de la délinquance financière doit redevenir une priorité car les délinquants en col blanc ne sont pas moins nuisibles à la société que les autres »
Dans le Nouvel Obs, on a pu s’émouvoir du « risque de mettre l’éteignoir sur certaines malversations, Sarkozy a choisi le camp des patrons voyous,… »
Le site de l’AFP évoquait quant à lui « l’émoi des syndicats qui ont soupçonné le pouvoir de vouloir exonérer de poursuite une grande partie de la délinquance financière, notamment en matière d’abus de biens sociaux, … »
Enfin, Le Monde relançait ce « vieux débat : les affaires politico financières s’accompagnent toutes de polémiques sur la volonté de mieux les étouffer par des voies judiciaires ou législatives … faisant état de ses soupçons de manœuvre politique»
Pourtant, après avoir rappelé que la situation actuelle est source d’insécurité juridique, qu’elle handicape l’esprit d’entreprise et que les modes de régulation ne sont pas toujours adaptés à la vie économique, après avoir rappelé que le rôle du Droit Pénal n’est pas de régler les conflits entre personnes privées, mais de punir les malversations condamnables par des sanctions nécessaires et proportionnées, et d’assurer la protection des valeurs essentielles (le rapport sera d’ailleurs introduit par cette citation de Paul Ricoeur, philosophe français du 19ème siècle : les valeurs ne sont pas des essences éternelles »),
La lettre de mission du Garde des Sceaux demandait simplement au groupe de travail d’examiner l’ensemble des infractions qui pèsent sur les entreprises, proposer la suppression des sanctions inutiles, ou leur adaptation, ou leur remplacement par des procédures civiles ou commerciales, ou par des sanctions administratives, disciplinaires ou pécuniaires.
Y avait-il matière à faire un tollé ?
LE PROJET VA-T-IL REELLEMENT DANS LE SENS DE LA DEPENALISATION ?
Plusieurs des propositions contenues au rapport COULON vont plutôt dans le sens contraire d’un renforcement de la pénalisation du droit des affaires !
C’est ainsi qu’il est notamment envisagé :
- De porter la sanction du délit d’initié à 3 ans d’emprisonnement au lieu de 2
- D’aggraver certaines infractions prévues au Code Monétaire et Financier, notamment en relevant le montant des amendes
- De renforcer la responsabilité des personnes morales (par l’extension des peines applicables aux personnes physiques)
- Et surtout, de rallonger la durée de la prescription de l’action publique pour l’ensemble des infractions et non plus seulement pour le domaine du droit des affaires !
Les délais de prescription passeraient donc de 10 à 15 ans pour les crimes, et de 3 à 7 ans pour les délits punis d’une peine égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement, et 5 ans pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure à trois ans d’emprisonnement !
Seule la prescription de l’action publique pour les contraventions resterait fixée à un an.
En revanche, le point de départ serait fixé à la date de commission des faits – ce qui est déjà le cas – mais sans modification possible du point de départ, ce qui a seulement pour objet de mettre un terme à la jurisprudence zélée qui s’est dégagée en matière d’abus de biens sociaux …
DES CRITIQUES CONTRUCTIVES, DES SOLUTIONS INTERESSANTES
Fort heureusement, le rapport ne se borne pas à ces suggestions « sur pénalisantes ».
Après un bref rappel de l’historique, des enjeux, et de la méthodologie retenue, il articule de pertinentes critiques et propose diverses pistes de réflexion.
L’HISTORIQUE
Le droit pénal des affaires apparaît surtout au 19ème siècle du fait :
- De la nécessité de créer des infractions spécifiques (difficulté à sanctionner à partir des incriminations de droit commun : faux, escroquerie, abus de confiance)
- Du désir de créer des infractions formelles moins pour punir que pour obliger à faire (est-ce bien le rôle du droit pénal ?)
La loi du 24.07.1966 sur les sociétés commerciales va ainsi créer près de 250 infractions !
La doctrine pénaliste et commercialiste critiquera majoritairement cet excès, parlant même « d’erreur de politique criminelle ».
S’amorce alors un mouvement de dépénalisation : ordonnance du 01.12.86 (en matière de concurrence), Loi NRE 15.05.01 (cumul), Loi 01.08.03 (obligations formelles), ordonnance du 25.03.2004…
Entre 2001 et 2004, près de 40 infractions sont supprimées.
La Commission conclut à la nécessité d’harmoniser ces initiatives ponctuelles, de poursuivre le mouvement, de l’inclure dans une réflexion globale.
LES ENJEUX
La démarche répond à une forte attente des acteurs économiques car la pénalisation a des effets nuisibles :
- déstabilisant pour l’entreprise
- impact médiatique désastreux
- conséquences économiques et financières (elle serait même un frein à l’implantation d’entreprises étrangères)
Le rapport pose en suite un certain nombre de postulats de base :
- Le besoin de sécurité juridique, en vue de garantir les opérations sur le marché, implique des règles prévisibles, accessibles et justes, conformément aux conventions internationales, au droit communautaire,
- Pas question de remettre en cause les incriminations qui sanctionnent les comportements frauduleux : abus de confiance (ABS), escroquerie, faux (en écritures comptables)
Toutefois, les infractions sont complexes, techniques (il n’est pas rare d’avoir recours à une expertise comptable et financière, pour établir le délit) : la frontière entre le comportement réellement délictuel et celui simplement audacieux ou négligent est souvent difficile à situer.
Suffit-il de s’en remettre à la sagesse du juge ?
LA METHODOLOGIE
Ceci posé, le rapport envisage plusieurs critères de dépénalisation :
- faiblesse des condamnations prononcées
- infractions en concours
- incohérences
- seuil en dessous duquel certaines infractions pourraient être dépénalisées
- gravité de l’intérêt protégé
Les outils disponibles sont nombreux :
- amendes civiles
- injonctions de faire
- nullités
- sanctions civiles (intérêt à agir, préjudice)
- contrôles préalables
- déontologie
- formation des entrepreneurs
- injonction administratives avec « faculté » de transmission au Parquet sanctions administratives.
Les infractions dont la dépénalisation est proposée ne sont pas légion !
Il s’agit principalement de :
- l’omission de déclaration de la répartition des parts dans l’acte de constitution d’une SARL (actuellement punie de 6 mois d’emprisonnement, 9000 € d’amende)
- pour les SARL, l’absence de réunion de l’AG ou d’approbation des comptes, l’absence de décision quand les capitaux propres deviennent inférieurs au capital social (actuellement : 6 mois, 4500 à 9000 €)
- pour les SA, l’absence de réunion de l’AG ou d’approbation des comptes (actuellement : 6 mois, 9000 €)
- le non respect des règles de dissolution
- l’absence de mention « société à capital variable » dans les documents comptables
- la mise au nominatif des actions des dirigeants et de leurs proches
- la fraude à l’AOC,à l’AOP, au label rouge
- la publicité comparative illicite
- l’infraction à l’appellation de boulanger,
Ces infractions étant actuellement punies de 2 ans d’emprisonnement et 37.500 € d’amende…
CRITIQUES ET PROPOSITIONS
Elles s’adressent tour à tour : au législateur, au juge, au plaideur, aux médias …
I – LE LEGISLATEUR
La dispersion des normes (renvois à d’autres textes, voire à d’autres codes) nuit à l’accessibilité de la loi, elle est contraire aux exigences du droit européen.
Certaines infractions étant inconnues du chef d’entreprise (notamment dans les PME) ou incompréhensibles par non professionnel du droit, elle perdent toute dimension préventive.
La norme pénale est souvent créée pour donner force à une obligation plutôt que pour sanctionner un comportement qui heurte l’intérêt général ou les tiers.
Il est rare qu’aujourd’hui, une nouvelle loi, dans quelque domaine que ce soit, ne soit pas assortie d’un volet pénal …
A côté de ce constat, le rapport relève :
* Certaines incohérences comme, par exemple :
- des sanctions différentes appliquées au détournement d’actif selon qu’il s’agit de sociétés de personnes ou de capitaux
- le délit de banqueroute si les faits sont commis après cessation des paiements (mais pas avant)
- des sanctions différentes pour la surévaluation des apports selon qu’il s’agit d’une SARL ou d’une société par actions
* Des doubles qualifications comme, par exemple :
- publicité trompeuse et tromperie (Code de la Consommation.)
- abus de faiblesse (C.Conso. et Code Pénal)
- vente ou prestation de service sans commande préalable (idem)
* Des situations de cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives ou autres.
Il s’agit essentiellement des sanctions relevant de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) et du Conseil de la Concurrence
Il conclut donc à la nécessité de revenir à une pénalisation destinée à réprimer les comportements les plus graves, retrouver la hiérarchie des infractions.
Des circulaires de politique pénale devraient :
- dégager des priorités,
- inciter à la composition pénale, à la comparution sur reconnaissance préalable de responsabilité
- harmoniser les réponses pénales sur l’ensemble du territoire national afin éviter des distorsions entre acteurs économiques selon la juridiction dont ils dépendent.
Les autorités administratives ne devraient transmettre aux parquets que les actes vraiment graves (notion de « seuils »).
II – LE JUGE
La Commission constate une ignorance mutuelle des mondes respectifs des chefs d’entreprise et des magistrats ; elle regrette l’absence de stages en entreprise ou de formation spécifique des magistrats avant une prise de poste en matière économique et financière.
Elle propose de procéder à une véritable gestion des ressources humaines, de prévoir une spécialisation, de rompre avec la gestion de carrière actuelle des magistrats (ancienneté), de changer les mentalités,…
Un objectif qui paraît difficile à atteindre si l’on songe que, dans le même temps, et pour la première fois dans l’histoire de l’Ecole Nationale de la Magistrature (Le Monde 25.03.2008), les auditeurs de justice ont manifesté contre une réforme de leur formation … !
La commission invite à s’inspirer des autres pays européens … afin de restaurer la confiance des entreprises dans leur système judiciaire.
Pour y parvenir :
• L’échevinage, une meilleure formation de magistrats spécialisés,
• Préférer des sanctions plus appropriées comme l’interdiction de gérer, d’opérer en bourse, à l’emprisonnement « peu adapté à certains délits économiques et financiers »,
• « Recentrer la justice pénale sur les véritables affaire pénales, limiter l’instrumentalisation de la justice, améliorer la formation des magistrats »,
• Privilégier les mécanismes transactionnels,
• Réserver l’audience aux cas les plus graves,
• Préférer, pour les autres, des procédures rapides et confidentielles (art. 41-1 CP, composition pénale, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, transaction pénale, …)
L’intention coupable mériterait également une analyse spécifique : le juge ne doit pas considérer que le chef d’entreprise ne peut ignorer les règles et doit donc être automatiquement responsable pénalement en cas de non respect.
En d’autres termes, il ne doit pas déduire automatiquement l’élément intentionnel de l’élément matériel !
III – LE PLAIDEUR
La Commission dénonce l’existence d’un contentieux pénal « virtuel », artificiellement créé par les acteurs économiques dans un but de déstabilisation concurrentielle ; pour preuve, le nombre très important de plaintes avec constitution de partie civile ou de citations directes.
Ces plaintes représentent 75% des saisines des juges d’instruction du pôle financier de Paris ; elles aboutissent à 80 % de non lieu ! (rapport p. 81).
Le besoin de dépénalisation concerne surtout ce « faux » contentieux pénal.
La faveur donnée à une justice « bon marché » se retrouve dans d’autres domaines du droit (famille, travail, urbanisme, …)
Le rapport stigmatise ces « plaintes abusives, dilatoires, portant une atteinte injustifiée aux libertés individuelles » : En effet, chacune de ces plaintes est susceptible de déboucher sur une garde à vue, voire une mise en examen pendant les investigations (…) ces statuts pourtant à l’origine protecteurs ont toutefois un impact médiatique important et contribuent à une perception d’une forme abusive et injustifiée de pénalisation ».
Quelles solutions ?
- Mieux encadrer l’accès à la justice pénale par les parties privées
Pour louable qu’elle soit, cette volonté apparaît en contradiction avec la multiplication des incriminations pénales – qui incite au dépôt de plaintes tous azimuts, lesquelles ne sont pas poursuivies par les Parquets (alors que l’infraction est bien constituée) !
Depuis la loi du 05.03.2007, une plainte préalable au Parquet conditionne la recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile (corollaire du principe d’opportunité des poursuites)
La commission propose de :
- porter le délai de 3 à 6 mois
- motiver les classements sans suite
- fixer une consignation en adéquation avec situation financière du plaignant
- convertir automatiquement la consignation en amende en cas de non lieu
- Renforcer l’attractivité de la justice civile
En rappelant notamment que le procès civil est « entre les mains des parties » (Mais est-ce toujours bien vrai ?)
Reste le problème du coût élevé de la justice civile par rapport à la justice pénale ...
Pour y remédier, la commission propose :
- de rembourser les sommes « effectivement » dépensées :
- de développer des actions de groupe, « class actions », à l’instar de certains pays étrangers, mais en prenant soin d’éviter le risque de dérive « à l’américaine » ! (p. 94)
IV – LES MEDIAS
La « sanction médiatique » a été unanimement dénoncée par les personnes interrogées dans le cadre de la réflexion menée par la commission.
Elle occasionne des dégâts considérables, qui ne seront pas réparés, même en cas de non-lieu ou de relaxe.
Comment arbitrer les intérêts en présence ?
- Secret de l’instruction (de « Polichinelle » ?) ou secret des sources journalistiques ? (NB. Un projet de loi a été soumis le 12 mars dernier en conseil des Ministres sur la protection des sources journalistiques)
- Liberté d’information ou présomption d’innocence ?
Sans prendre parti, la commission préconise :
- Une meilleure éthique des journalistes
- Une sanction des abus (mais qui ne pourra intervenir qu’à posteriori)
FAUDRAIT-IL ALLER ENCORE PLUS LOIN ?
Comme on vient de le voir, on n’est pas allé très loin …
Il est donc possible … et souhaitable d’aller plus loin, notamment en étendant le mouvement à d’autres branches du droit, frappées du même mal :
Droit de la famille, du travail, de l’environnement (pistes soufflées par la commission, mais laissées pour plus tard),
Mais aussi, on ne peut manquer, dans un contexte de crise du logement et de pression foncière, d’y ajouter le Droit de l’Urbanisme et de la Construction !
Annexe : Quelques infractions, quelques sanctions …
Attribution frauduleuse d’apports en nature : 5 ans d’emprisonnement - 9000 € d’amende
Négociation d’actions en numéraire non libérées : 1 an - 9000 €
Comptes infidèles : 5 ans - 9000 €
Non consultation des associés en cas de variation du capital social, fusion, scission, … 6 mois – 45.000 €
Obstacle à la participation d’un actionnaire, manœuvres visant à influencer le vote : 2 ans - 9000 €
Fourniture informations inexactes dans rapport présenté à l’AG : 2 ans - 18.000 €
Absence de mention de l’état de participation dans les documents comptables: 2 ans - 9000 €
Comptabilité incomplète ou irrégulière (en cas de faillite) : 5 ans - 75.000 €
Pratique anticoncurrentielle : 4 ans - 75.000 €
Infractions dont la dépénalisation est proposée :
Fraude à l’AOC, AOP, Publicité comparative illicite, Infraction à l’appellation de boulanger : 2 ans - 37.500 €
Omission de déclaration de la répartition des parts dans l’acte de constitution d’une SARL (6 mois, 9000 €)
SARL, Absence de réunion de l’AG ou d’approbation des comptes, absence de décision quand les capitaux propres deviennent inférieurs au capital social (6 mois, 4500 à 9000 €)
SA, absence réunion AG ou approbation des comptes (6 mois, 9000 €)
Non respect des règles de dissolution,
Absence de mention « société à capital variable » dans les documents comptables
Mise au nominatif des actions des dirigeants et de leurs proches
Urbanisme : (présomption d’intention coupable …)
L 480-3 : 75.000 € et/ou 15 jours à 3 mois
L 480-4 : 6.000 €/m2 ou 300.000 €
Si récidive : 1 à 6 mois
Infractions « de droit commun » :
Homicide involontaire : 3 ans - 45.000 €
Agression sexuelle (hors viol) : 5 ans - 75.000 €
Blessures involontaires ITT > 3 mois : 2 ans - 30.000 €
Vol simple : 3 ans - 45.000 €
Liens- Loi
- Voir notre actualité "Un groupe de tarvail sur la dépénalisation du droit des affaires"
- Voir l'article "Du nouveau pour l'abus de biens sociaux"
- Infraction
- Abus de biens sociaux
Cet article n'engage que son auteur.
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