La déclaration de créance n'est pas un acte de procédure
Auteur : NEVEU Pascal
Publié le :
25/03/2011
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Le paradoxe de la déclaration de créance est que la loi est libérale alors que la jurisprudence ne l’est pas. Il n’existe pas de condition légale sauf celle d’exprimer l’intention de déclarer une créance et de permettre l’identification de son auteur.
Assemblée plénière, 4 février 2011 - N°09-14619
Arrêt de la Cour de cassation du 4 février 2011.
1 - La régularité de la déclaration de créance constitue un interminable feuilleton judiciaire qui alimente le droit des procédures collectives depuis prés de vingt ans et qui ne cesse de rebondir comme le montre cet Arrêt récent de l’Assemblée Plénière, alors que l’on pouvait penser que le débat avait perdu de son intensité.
2 - Le paradoxe de la déclaration de créance est que la loi est libérale alors que la jurisprudence ne l’est pas. Il n’existe pas de condition légale (1) sauf celle d’exprimer l’intention de déclarer une créance (2) et de permettre l’identification de son auteur.
Mais, la jurisprudence impose un formalisme plus rigoureux surtout lorsqu’un créancier, personne morale, vient à déclarer une créance en exigeant la production d’un pouvoir puisque la Cour de Cassation a assimilé « audacieusement » la déclaration de créance à une demande en justice (3).
Cette assimilation devait la conduire à appliquer à cette déclaration les dispositions régissant la procédure devant le Tribunal de Commerce (non seulement pour les procédures collectives commerciales mais encore pour celles soumises au Tribunal de Grande Instance puisque la procédure est la même).
Or, pour agir devant le Tribunal de Commerce, la partie peut se défendre elle-même ou être représentée par un mandataire (ce qui est la règle pour les personnes morales) muni en ce cas d’un pouvoir spécial sauf s’il est avocat (article 853 du CPC).
La Cour de Cassation en a déduit que le pouvoir devait être joint à la déclaration ou produit au mandataire dans le délai déclaratif (4).
Ainsi, le piège s’est-il refermé sur la déclaration de créance, du créancier personne morale, qui devait alors, soit émaner de son représentant légal (ce qui devient très délicat pour les sociétés importantes), soit être signée par un préposé mais alors muni d’un pouvoir régulier ou d’une délégation.
3 - Il faut dire que cette assimilation n’allait pas de soi car une déclaration de créance n’apparait être pas un acte de procédure qui saisit le juge, mais une demande adressée à un mandataire qui va en vérifier le montant et/ou la régularité, et ce n’est qu’en cas de contestation qu’il déposera un état qui opèrera la saisine du juge commissaire.
La déclaration de créance n’est donc pas une assignation au sens de l’article 854 du CPC.
D’ailleurs, la Cour de Cassation a toujours précisé que « la déclaration de créance équivaut à une demande en justice », il n’y a donc pas d’identification totale entre déclaration de créance et acte de procédure, mais simplement équivalence quant aux effets (5).
4 - Cette nuance aurait pu conduire la Cour de Cassation à exclure le formalisme des articles 853 et ss du CPC, mais ne l’ayant pas fait, elle a été amenée à distinguer le cas où la personne morale était déclarante du cas où il s’agissait d’un tiers.
Dans le premier cas, elle a permis au préposé de la personne morale de déclarer régulièrement la créance dès lors qu’il était titulaire d’un pouvoir ou d’une délégation sans que cet acte soit soumis aux conditions du mandat de représentation en justice (6) permettant dès lors au créancier d’en justifier à tout moment du moins jusqu’au jour où le Juge statue, que le pouvoir ou la délégation est acquis ou non date certaine (7).
En revanche, lorsque la déclaration avait été faite par un tiers, la Cour de Cassation est toujours restée ferme sur l’exigence de la production du pouvoir dans le délai déclaratif, l’affirmant de la façon la plus solennelle (8).
5 - Cette position a fait des ravages dans le cas où la déclaration avait été faite par un membre d’un pool bancaire même s’il s’agissait d’un « chef de file » (9). En effet, le pool bancaire informel ou constitué sous la forme d’une société en participation, qui est dépourvue de personnalité morale, ne dispose pas d’organe habilité à le représenter légalement.
Il faut distinguer cette situation des créanciers solidaires, car en ce cas, chacun peut déclarer pour le compte des autres si le titre le permet selon l’article 1197 du Code Civil (10).
Mais, dans le cadre d’un pool bancaire, chaque membre ne dispose que de sa créance propre et en l’absence de représentation mutuelle, la déclaration de la créance des autres par un des membres, sans disposer d’un pouvoir écrit, rend la déclaration irrégulière.
6 – C’est cette dernière solution que la Cour de Cassation réaffirme en rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’Appel de PARIS (11) tout en validant néanmoins la déclaration de créance, au motif « qu’en cas de contestation, il peut en être justifié jusqu’au jour où le juge statue », ce qui est l’apport essentiel de l’arrêt.
La Cour d’Appel de PARIS, pour parvenir au même résultat, s’était surtout fondée sur une atteinte au procès équitable (article 6-1 de la CEDH), motivation que l’arrêt ne reprend pas, même cette préoccupation a pu inspirer le rapport (12).
La saisine de l’Assemblée Plénière semble donc se justifier davantage par la modification apportée de la solution arrêtée en 2001 que par la contradiction apportée par la Cour d’Appel de PARIS, même si elle a pu être présentée comme telle.
Il faut rappeler qu’en l’espèce, le créancier avait justifié d’un pouvoir « délivré dans le délai imparti pour effectuer la déclaration » mais produit ultérieurement ; sans doute le pouvoir lui-même n’avait il pas de date certaine.
Dès lors, on peut voir dans cet arrêt non seulement un assouplissement probatoire (13) mais aussi une timide avancée sur le terrain processuel car il semble bien que la Cour de Cassation ne soit désormais plus très loin de reconnaître que la déclaration de créance n’est pas un acte de procédure.
7 – En effet, jusqu’à présent la Cour de Cassation considérait que le défaut de pouvoir spécial constituait une irrégularité de fond qui affecte la validité de l’acte de déclaration de créance (14) et les irrégularités de fond (article 117 du CPC) concernent que les seuls actes de procédure.
Mais, si l’on peut assimiler une déclaration de créance à une demande en justice, il est excessif de l’identifier à un acte de procédure.
Dès lors, il semble plus logique de considérer que ce sont les règles qui régissent les fins de non recevoir qui doivent s’appliquer en la matière.
Il est vrai que la distinction n’est pas toujours aisée à faire entre les irrégularités de fond qui gouvernent les actes de procédures et les fins de non recevoir qui sanctionnent l’action en justice.
La confusion s’installe entre le défaut d’autorisation d’agir en justice et le défaut de pouvoir d’une personne figurant au procès comme représentant une personne morale (15).
Il est clair que le contenu du pouvoir en cause dans une déclaration de créance relève de
l’autorisation à agir en justice et non de la représentation en justice, on retrouve donc la distinction classique entre mandat ad litem et mandat ad agendum (16).
Dès lors, la solution arrêtée par la chambre plénière apparait compatible avec l’application de l’article 126 du CPC (le pourvoi ne pouvait l’invoquer puisqu’il se fondait au contraire sur l’article 118 du CPC soit sur une irrégularité de fond) qui permet au juge d’écarter l’irrecevabilité de la demande si sa cause a disparu au moment où il statue.
Certes, on peut objecter que l’article 121 du CPC qui traite des irrégularités de fond est rédigé dans les mêmes termes, mais la nullité doit être alors couverte dans le délai déclaratif, ce qui n’avait pas été le cas.
En revanche, la fin de non recevoir ne fait obstacle qu’au droit d’agir, en l’espèce au droit de déclarer, droit qui avait bien été exercé dans le délai de forclusion.
Dès lors, on est fondé à conclure que la déclaration de créance n’est pas un acte de procédure mais un acte juridique relevant de l’exercice d’une action en justice qui suppose que celui qui l’engage en ait reçu l’autorisation et oblige celui qui la conteste à établir l’existence d’un grief (ibid 15).
Décidément, il ne faut pas confondre procédure collective et instance procédurale (17) et comparaison n’est pas raison.
Index:
(1) En effet, ni l’article 40 de la Loi du 13/07/1967, ni même l’article 50 de la Loi du 25/01/1985 ne se fait écho d’une telle exigence, la loi du 10/06/1994 modifiant l’article 50 (devenu L 622-24) ne fait qu’ajouter l’alinéa suivant « la déclaration des créances peut être faite par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix » mais sans évoquer la nécessité de disposer d’un pouvoir ».
(2) Cass. Com. 15/02/2011 n°10-12149 Dalloz 2011 Actualités n°673
(3) (Cass. Com. 14/12/1993 Bull. Civ.n°471 – deux arrêts)
(4) Cass. Com. 12/07/1993 Bull. Civ. n°308)
(5) “La Cour de Cassation n’a pas dit que la déclaration de créance est une demande en justice mais qu’elle lui équivaut, ce qui revient à dire qu’elle n’en est pas une » Conclusions de l’Avocat général M. LE MESLE sur l’arrêt n°588 du 04/02/2011
(6)Cass. Com.14/02/1995 Bull. Civ. n°43
(7) Cass. Com.14/01/1997 D97IR39
(8) Ass. Plen. 26/01/2001 Bull. Civ. n°1
(9) Mais, pas seulement, pour un Notaire (Cass. Com. 27/05/2008 n°07-10167), pour un Huissier de justice (Cass. Com. 12/11/2002 n°99-19421, pour un Avoué (Cass. Com. 28/06/2005 n°04-14651, pour une société de caution mutuelle (Cass. Com. 13/04/1999 n°96-18133), pour la filiale d’une société mère (Cass. Com. 28/11/2000 n°98-22181).
(10) Cass. Com. 20/03/2001 Dalloz 2002 Obs. 1282 Obs. A. Honorat
(11) 3ème Chambre B 26/02/2009 Dalloz 2009 AJ p.1354
(12) Rapport du Conseiller LAMBREMON sur l’arrêt n°588 du 04/02/2011
(13) Op. Cit. Lienhard Dalloz 2011 Actualités n°7 n°439
(14) Cass. Com. 19/03./1996 n°93-16875
(15) ( La raison d’être des autorisations d’agir en justice au nom d’une personne morale
Christian ATIAS D.2011 n°10 N°701)
(16) Philippe PETEL – Déclaration de créance et représentation en justice in Mélanges Christian MOULY Litec 1998
(17) Cass. Com. 10/01/2006 n°03-14923
Cet article n'engage que son auteur.
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