Première Dame de France: une fonction factuellement étendue
Auteur : GOVERNATORI Jean-Joël
Publié le :
09/05/2012
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L’histoire de la République française montre que l’épouse du Président de la république est une présidente sociale pour reprendre les mots de Vincent Auriol.
B. Une fonction factuellement étendueL’histoire de la République française montre que l’épouse du Président de la république est une présidente sociale pour reprendre les mots de Vincent Auriol. Ce service social avait été confié à son épouse à laquelle il avait remis une somme prélevée sur sa dotation personnelle et prêté certains collaborateurs (31).
L’actualité conforte le rôle humanitaire de l’épouse du Président de la République au travers d’interventions ciblées. Cette vocation hautement estimable suscite des interrogations par rapport aux modalités de fonctionnement de ces actions.
À ce titre, Mme C. Demontès, sénateur socialiste, a attiré « l’attention de Mme la secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme sur les déclarations relatives à la mise à disposition de “l’appareil du Quai d’Orsay” pour aider l’épouse du Président de la République dans son action future en faveur des droits de l’homme ».
Ce parlementaire constate que « nombreuses sont les organisations non gouvernementales (ONG) qui oeuvrent pour la défense et la promotion des droits de l’homme à travers le monde… Très récemment, il a été affirmé que les services du Quai d’Orsay pourraient être mis à la disposition de l’épouse du chef de l’État, laquelle ne dispose d’aucun rôle constitutionnellement reconnu » (32).
La problématique qui sous-tend cette question est la validité au regard du droit constitutionnel français de la mise à disposition de l’appareil gouvernemental au profit d’une individualité sans qualité pour agir.
L’action humanitaire de l’épouse du Président de la République peut soulever des difficultés d’ordre politique lorsque la direction d’une association sert de tribune oratoire qui pourrait « embarrasser » la diplomatie française. Ainsi, M. le député G. Gantier apostrophe le gouvernement français sur la situation délicate engendrée par l’inauguration par l’épouse du Président de la République d’un colloque sur le thème « Le choix contre toute forme d’apartheid ». En effet, lors du discours liminaire, le conjoint du chef de l’État français, également présidente de l’association « France-Libertés » a condamné l’embargo imposé par les États-Unis contre Cuba depuis 1961 (33).
Mme Danielle Mitterrand, durant un entretien télévisé, évoque ensuite ses convictions qui s’expriment à travers le Parti socialiste mais surtout à travers ses actions pour les droits de l’homme et les libertés comme son implication pour des projets de fondation axée sur l’enfance. L’ancienne Première Dame de France se défend d’avoir à plusieurs reprises pris position sur certains dossiers du gouvernement : « je n’ai jamais critiqué un gouvernement, mais des faits ; je suis une Française libre, je dois pouvoir dire ce que je pense ; on a dit beaucoup de choses non justifiées... » (34). La présidente de « France-Libertés » met simplement en avant sa qualité de citoyenne et de militante pour circonscrire son rôle dans la République. Elle se cantonne à opérer une interprétation exégétique de la Constitution, cette dernière n’est pas soumise à un devoir de réserve résultant de son statut puisqu’elle n’en a pas. C’est tout l’avantage de l’absence de reconnaissance officielle de la fonction d’épouse du Chef de l’État.
M. G. Gantier fait observer à M. le Premier ministre que « depuis les origines de la République, et notamment depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de la Ve République, les épouses des Présidents successifs se sont strictement abstenues de toute prise de position publique dans le domaine diplomatique aussi bien qu’en politique intérieure, puisqu’elles ne sont investies d’aucune légitimité électorale ». Ce parlementaire s’interroge donc s’« il ne conviendrait pas de préciser, par une loi organique ou par une modification de la Constitution, les limites de la liberté d’action dont peut disposer le conjoint du chef de l’État dans le domaine politique… en raison des interventions répétées de la Présidente de “France-Libertés” et notamment de la mise en cause de pays avec lesquels la France entretient des relations diplomatiques régulières » (35).
L’épouse du Président de la République joue encore le rôle d’un organisme consultatif quant aux nominations effectuées par le résident de l’Élysée. Ainsi, Yvonne de Gaulle a été à l’origine de l’exclusion de tout divorcé de l’entourage présidentiel au nom de la moralité chrétienne (36). L’ex-Première Dame de France Cécilia Sarkozy, même si elle s’en défend (37), a substantiellement influencé la composition du gouvernement Fillon I (38).
L’épouse du Président de la République a également joué le rôle de traductrice notamment Mme Giscard d’Estaing qui a servi d’interprète en portugais lors de la visite du Chef d’État brésilien le 28 janvier 1981 comme elle l’avait déjà effectué à l’occasion de la visite de M. Lopez Portillo (39).
À certaine reprise, elle apparaît comme l’alter ego du chef de l’exécutif français. Mme Giscard d’Estaing a joint ses vœux à ceux de son époux lors de l’allocution de fin d’année. Le 2 mars 1981, les époux Giscard d’Estaing sont venus ensemble sur un plateau télévisé faire une déclaration de candidature pour la prochaine élection (40). Si cet acte ne permet pas d’affirmer que le couple est un nouveau sujet de droit en droit constitutionnel, néanmoins, il est symbolique de l’émergence de la notion de couple présidentiel sur le plan politique.
Son rôle de représentation doit être partagé avec les services officiels de la Présidence de la République. C’est pourquoi, lors de l’enterrement de la Princesse de Monaco le 18 septembre 1992, le Président de la République était représenté par son directeur de cabinet, M. Colliard (41) et non par son épouse pourtant présente. Mais à plusieurs reprises, les habits de représentant du chef de l’État sont revêtus par son épouse lors de voyages comme cela a été le cas pour Mme Danièle Mitterrand qui lors de son séjour en chine le 16 novembre 1984 a remis au nom du Président français une invitation au secrétaire général du Parti communiste chinois, M. Hu Yaobang (42) ou lors d’un prononcé d’un discours fait au nom du chef de l’État. M. Schwarzenberg souligne encore dans « l’État spectacle » que Mme Giscard d’Estaing a été mandatée pour prononcer un discours au colloque du Nouveau contrat social le 13 avril 1975 à Poitiers (43).
La question du rôle et de la place de la Première Dame de France a trouvé une acuité particulière sous la Présidence Sarkozy. Tout d’abord, en juillet 2008, l’épouse du chef de l’État s’est rendue par deux fois en Libye lors de la phase finale des négociations ayant mené à la libération des infirmières bulgares qui étaient détenues depuis huit ans. La commission parlementaire destinée à examiner les circonstances exactes de la libération du personnel médical condamné à mort par la justice libyenne a demandé en vain à entendre Mme. Cecilia Sarkozy. Créée pour examiner les conditions de libération des soignants bulgares et les éventuelles contreparties accordées à Tripoli, la commission d’enquête parlementaire a entendu le secrétaire général de l’Élysée, M. C. Guéant. En revanche, le Président de la République a exclu que son épouse le soit en projetant sur sa personne un privilège de procédure et une immunité dont seul bénéficie le chef de l’État. Cette doctrine élyséenne confirme l’apparition de la notion de couple présidentiel en droit constitutionnel. Le statut constitutionnel du Président paraît de fait rejaillir sur son épouse, il y aurait une sorte d’immunité par renvoi.
Mme. Sarkozy ne bénéficiant juridiquement d’aucun régime particulier en sa qualité de citoyenne était tenue de répondre à la convocation en vertu de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Un refus de se présenter pouvant, au demeurant, justifier le recours aux forces de l’ordre et conduire au prononcé d’une peine d’emprisonnement et au paiement d’une amende.
Mme Sarkozy a été qualifiée d’« émissaire personnel » ou « d’ambassadeur extraordinaire du président ». Ce sont les qualités qui lui ont été décernées quelques jours seulement après son action à Tripoli. Dans l’éditorial du journal Le Monde, il est souligné que « les hésitations sémantiques des autorités françaises pour qualifier l’intervention de Mme. Sarkozy donnent une idée de la difficulté posée par cette initiative (...) » (44). À la suite des propos tenus par M. le Premier Ministre, les circonstances exceptionnelles et l’urgence pourraient justifier le titre de collaborateur occasionnel du service public accordé à l’épouse du Président de la République car « Le Président Kadhafi ne recevait pas les ministres, ne recevait pas les commissaires européens. Il fallait donc une relation directe entre le chef de l’État français et lui, et cette relation s’est instaurée d’abord par leurs conversations téléphoniques et ensuite par la présence symbolique de l’épouse du chef de l’État à Tripoli » (45).
Madame Carla Bruni-Sarkozy a un rôle plus commun celui de directrice d’action associative.
En effet, le site élyséen indique que " l'épouse du chef de l'État est aussi très impliquée dans les œuvres sociales." En 1976, une commission des secours est créée auprès du Service social lui-même rattaché au secrétariat d'Anne-Aymone Giscard d'Estaing, et en 1985, une crèche est ouverte sous l'impulsion de Danielle Mitterrand pour les enfants du personnel de la présidence de la République.
Sous la Ve République, chaque épouse de président a souhaité exprimer ses convictions en créant sa propre fondation ou en parrainant des opérations caritatives et d'intérêt général. On peut citer la Fondation Claude Pompidou créée en 1970 avec la mission de venir en aide aux personnes âgées, aux malades hospitalisés et aux enfants handicapés, la Fondation Danièle Mitterrand "France Libertés" créée pour défendre les droits de l'homme, le droit d'accès à l'eau et les droits des minorités ethniques, l'opération Pièces Jaunes soutenue par Bernadette Chirac pour les enfants malades et les services pédiatriques, ou bien la Fondation Carla Bruni-Sarkozy créée en 2009 dans le but de faciliter l'accès à la culture, à l'éducation et au savoir pour lutter contre les inégalités sociales.
Qu'elle soit plutôt discrète à l'image d'Yvonne De Gaulle ou plus engagée politiquement comme Bernadette Chirac, seule Première dame à avoir une carrière politique en tant que conseillère générale de Corrèze pendant le mandat présidentiel de son mari, c'est avant tout la personnalité de la Première dame de France qui définit la place qu'elle tient auprès de son époux et la façon dont elle représente la France et les Français ». (46)
Madame Carla Bruni-Sarkozy dernière a crée une Fondation à son nom le 23 avril 2009 placée sous l'égide de la Fondation de France dont la mission est de favoriser l'accès à l'éducation et à la culture pour les publics vulnérables.
Les trois domaines d'action de la Fondation Carla Bruni-Sarkozy sont : la lutte contre l'illettrisme, le soutien à l'éducation pour les jeunes, et tout particulièrement concernant le passage de l'enseignement secondaire à l'enseignement supérieur, et l'accès à la culture et aux pratiques artistiques.
Engagée par ailleurs dans la lutte contre le Sida, Carla Bruni-Sarkozy est ambassadrice mondiale pour la protection des mères et des enfants contre le virus du sida auprès du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, l'UNICEF et l'ONUSIDA depuis le 1er décembre 2008.
Afin d'aider à éradiquer la transmission du virus de la mère à l'enfant, Carla Bruni-Sarkozy initie le 19 mai 2010 dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le développement, un vaste mouvement de sensibilisation sur les réseaux sociaux numériques : BORN HIV FREE (47).
Le droit public autorise et encourage même par un régime protecteur en cas de dommages la collaboration par ingérence pour reprendre les termes employés par M. Hauriou. Toutefois, ces hypothèses de gestion des affaires publiques par des individualités sans compétence sont précisément circonscrites soit à une défaillance des structures administratives soit à raison d’évènements exceptionnels et urgents justifiant un accomplissement de tâches en dehors de tout formalisme juridique (48). Si l’épouse du Président de la République peut être qualifiée de collaboratrice par ingérence de la chose publique, cette modalité de participation des particuliers avec l’administration ne constitue pas une infraction pénale à condition que cette intervention soit occasionnelle et justifiée pars des circonstances exceptionnelles.
Il n’empêche que ces titres ne confèrent pas de statut équivalent à celui du chef de l’État. La qualification d’« envoyé personnel du Président » n’autorise pas son titulaire de jouir, par ricochet, des droits attachés à la fonction du Président de la République. Aussi, en l’absence de tout statut du conjoint du chef de l’État, il faut en déduire par conséquent qu’il n’existe aucun obstacle dirimant à la convocation de Mme. Cécilia Sarkozy par la commission d’enquête parlementaire. Cette décision de non audition de la Première dame de France opposé par la Présidence de la République est un élément probant d’une institutionnalisation de la fonction du conjoint du chef de l’État sur le modèle du statut de ce dernier.
Enfin, la question du statut de l’épouse du Président de la République s’est posée lorsque M. René Dosière a signalé à M. le Premier ministre que, « pour la première fois dans l’histoire de la République française, l’épouse du chef de l’État gère des fonds publics puisque désormais elle est titulaire d’une carte de paiement dont les sommes dépensées sont directement débitées sur le compte du Trésor public ouvert à la Présidence de la République. Il aimerait donc savoir à quel titre l’épouse du chef de l’État peut gérer l’argent public, dans la mesure où elle n’a pas d’existence juridique selon les termes de la réponse à la question n° 94561 publiée au Journal officiel du 28 novembre 2006 et qu’elle ne fait pas partie des services de la présidence. C’est pourquoi il renouvelle sa proposition de donner à l’épouse du chef de l’État un statut lui permettant d’agir dans le respect des règles juridiques et comptables qui fondent les valeurs républicaines » (49).
En disposant d’une carte de paiement, l’épouse du Président de la République assure un rôle de comptable public sauf qu’à défaut d’habilitation, il serait plus juste de parler comptable de fait et d’usurpation de fonctions (50) même si la destination des fonds reste la satisfaction de l’intérêt général. Les critères de la gestion de fait sont définis par l’article 60-XI de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 qui prévoit que : « Toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d’un comptable public, s’ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d’un poste comptable ou dépendant d’un tel poste doit, nonobstant les poursuites qui pourraient être engagées devant les juridictions répressives, rendre compte au juge financier de l’emploi des fonds ou des valeurs qu’elle a irrégulièrement détenus ou maniés. Il en est de même pour toute personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement des fonds ou des valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d’un organisme public, et pour toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public, procède à des opérations portant sur des fonds ou des valeurs n’appartenant pas aux organismes publics mais que les comptables publics sont exclusivement chargés d’exécuter en vertu de la réglementation en vigueur ».
L’épouse du Président de la République est un protagoniste actif des institutions de la République. Cette situation suit le mouvement général de l’émancipation professionnelle des femmes dans la société française. En raison de l’absence de statut particulier, c’est un costume qui s’adapte aux envies et aux ambitions de chacune. L’avantage de l’institutionnalisation de la fonction est de clarifier le rôle de celle-ci mais le risque est que cette consécration juridique de l’existence du conjoint du chef de l’État emporte « statufication » de la fonction. Devant les propositions de modification de la Constitution, il se pose la question de la faisabilité de cette réforme au regard de la conception de l’État républicain d’autant que le droit positif permet de sortir de la zone de non-droit en conférant un statut de collaborateur officiel du Président de la République à son épouse.
Index:
(31) V. AURIOL, Journal du septennat, éd. Tallandier, 2004, p.15.
(32) Question écrite n° 6071. Publication au JO : Sénat du 6 novembre 2008.
(33) Question écrite n° 62048. Publication au JO : AN du 28 septembre 1992.
(34) « À travers elles : Madame Mitterrand », MIDI 2 - 07/04/1988 - 12min53s, http://www.ina.fr/politique/
elections/video/CAB88013825/a-travers-elles-madame-mitterrand.fr.html.
(35) Question écrite n° 62048. Publication au JO : Assemblée nationale du 28 septembre 1992.
(36) P. VIANSON-PONTE, Les Gaullistes. Rituel et annuaire, Paris, Seuil, 1963, p. 53.
(37) Entretien du 198 octobre 2007 dans le journal L’Est Républicain, http://www.lejdd.fr/Politique/
Actualite/Cecilia-101862/.
(38) D. DEMONPION et L. LEGER, Cécilia, la face cachée de l’ex-première dame, Pygmalion.
(39) Revue Pouvoirs, n° 17, p. 213 et n° 15, p. 180.
(40) S. MARASCO, Le Président de la Ve République, Thèse Droit Nice, 1986, p. 165.
(41) Revue Pouvoirs, n° 24, p. 196.
(42) Revue Pouvoirs, n° 33, p. 172.
(43) R.-G. SCHWARTZENBERG, L’État spectacle, Essai sur et contre le Star System en politique, Flammarion, 1977, p. 137.
(44) http://tf1.lci.fr/infos/france/politique/0,,3500845,00-role-inedit-cecilia-sarkozy-.html.
(45) Déclaration faite le 24 juillet 2007, v. http://tf1.lci.fr/infos/monde/afrique/0,,3500250,00-que-clarte-soit-faite-demande-.html.
(46) http://www.elysee.fr/president/la-presidence/la-premiere-dame-de-france/la-premiere-dame-de-france.117.html
(47) http://www.elysee.fr/president/la-presidence/la-premiere-dame-de-france/la-premiere-dame-de-france.117.html
(48) M. HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Dalloz 2002, 12e éd., réed., p. 142.
(49) M. R. DOSIERE, Question publiée au JO le 3 juillet 2007, p. 4759. Décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique.
(50) Article 433.12 du code pénal.
Cet article n'engage que son auteur.
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