L'ambivalence de l'institutionnalisation de l'épouse du Président de la République
Auteur : GOVERNATORI Jean-Joël
Publié le :
09/05/2012
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Le sujet a été abordé à l’occasion de la réforme des institutions en 2008 mais il est resté lettre morte.
La constitutionnalisation de l’organe du conjoint du Président de la République résoudrait pour certains l’ambiguïté, d’autres parleront de malaise ou d’inconfort, d’un statut strictement forgé par la personnalité des compagnes des présidents. À notre sens, l’institutionnalisation de cette fonction est incompatible avec la théorie de l’État républicain déniant toute personnification de la puissance étatique au travers de l’organe de la présidence de la république (A). De surcroît, le droit positif offre déjà les outils au chef de l’État d’intégrer, s’il entend ainsi, son épouse à l’institution de la Présidence de la République la dotant alors d’un statut particulier, celui des collaborateurs du Président (B).
A. Une institutionnalisation impossible en raison de la théorie de l’État républicain
Le droit constitutionnel français n’érige nullement le Président de la République en organe de personnification ni de l’État ni de la Nation. Ainsi, l’action de conférer un statut juridique à l’épouse de celui-ci en cette seule qualité instille l’idée selon laquelle tout ce qui se rattache à la personne du Président de la République justifie la distribution d’une fonction juridique et politique. L’État moderne est conçu comme la propriété commune d’une entité collective, d’où la dépersonnalisation de l’appareil étatique.
La conception du pouvoir politique dans un État républicain ne repose pas sur une absorption de l’État par le chef de l’exécutif contrairement à la conception monarchique du pouvoir (51). Il convient de noter que même certains auteurs ont contesté la véracité de la maxime « l’État, c’est moi » que Louis XIV aurait prononcé en son parlement le 13 avril 1655 (52) et donc défendu la thèse d’une distinction entre le roi et l’État sous l’Ancien Régime (53). Par ailleurs, sous la monarchie absolue le principe de gouvernement est l’unité et l’indivisibilité du pouvoir, « le Roi n’a pas de compagnon en sa majesté royale » (54).
Cette dernière observation n’a rien de surprenant car étymologiquement monarque signifie « seul à commander ». L’histoire enseigne qu’à l’exception de la dynastie capétienne dans laquelle « le Roi exerce son autorité de concert avec son lignage et d’abord avec la Reine, sa femme…d’ailleurs, la reine est couronnée et sacrée, comme le roi » (55), la fin du 13e siècle marque l’évolution vers un pouvoir royal unique mettant fin à la tradition capétienne. Le Roi seul porte le titre de Majesté et à compter du sacre, la chose publique est son « épouse mystique et la plus privilégiée » (56). Le roi délègue le commandement souverain, la régence et l’administration du royaume à son épouse ou à sa mère dans l’hypothèse de longs voyages hors de France (57).
Aussi, en France, il n’y a pas une tradition monarchique de régence en couple, « les femmes des Roys s’abstiennent entièrement du maniement des affaires du royaume » (58). Dès lors, il est erroné de parler de monarchie républicaine pour qualifier le régime actuel français en mettant en exergue le rôle important des épouses des Présidents successifs. La théorie de l’État monarchique exclut toute participation au pouvoir exécutif des épouses des Rois et la théorie de l’Etat républicain exclut aussi par définition toute collaboration des conjointes des Présidents.
L’État républicain désigne la permanence des fonctions sous le changement des titulaires. À ce titre, le Professeur Burdeau écrit que « cette permanence d’une puissance ignorant les solutions de continuité, seul le régime d’État peut l’assurer en ce qu’il substitue, comme support du Pouvoir, une entité durable aux individus essentiellement éphémères. C’est parce qu’il est étatique que le pouvoir est continu » (59). Par conséquent, l’institution de Président de la République vise une fonction et non un individu, et une fonction n’a pas de conjoint.
En définitive dans l’État républicain, la caractéristique de la puissance étatique est sa continuité et donc le pouvoir de l’État est forcément impersonnel. Toute personnalisation du pouvoir porte en germe la dénaturation du régime politique. Doter automatiquement le conjoint du chef de l’État d’un statut sur la base de cette seule qualité tirée du droit de la famille, c’est admettre que la puissance étatique est attachée physiquement à un homme, et à ses choix d’ordre privé, donc ce pouvoir aurait pour support un élément précaire.
L’émergence en droit constitutionnel de la notion de couple présidentiel n’est pas possible. Le seul lien marital ne peut suffire à permettre l’institutionnalisation d’une personne au sein des autres corps constitués. L’automaticité de la reconnaissance juridique de l’épouse du Président de la République signifierait qu’une décision d’ordre privé impacterait l’ordre juridique et politique. Cela poserait implicitement une nouvelle condition à la candidature à l’élection présidentielle ce qui aurait empêché la candidature de Monsieur Hollande.
Le processus d’appropriation, personnification de l’État par le Président de la République est entretenu par le développement de la fonction la Première dame de France. On a pu croire que l’enracinement du rôle de celle-ci n’est qu’un épiphénomène mais l’institutionnalisation de fait de l’épouse du chef de l’État est avant tout un élément de l’intensification de la personnification du pouvoir politique sur la tête du chef de l’exécutif national (60).
À l’occasion du débat politique sur la réforme des institutions françaises en 2008, il a été question de l’octroi d’un statut constitutionnel au conjoint du chef de l’État. Dans l’hypothèse d’une modification de la constitution, quelle serait la valeur d’une loi constitutionnelle portant statut du conjoint du chef de l’État. Certains auteurs ont estimé que le pouvoir constituant était soumis à une « superlégalité constitutionnelle ». Celle-ci comprenait non seulement la constitution écrite, mais « elle comprend bien autre chose et, par exemple, tous les principes fondamentaux du régime, c’est-à-dire, tant les principes de l’ordre individualiste qui sont à la base de l’État que les principes politiques qui sont à la base du gouvernement. Ces principes constituent une sorte de légitimité constitutionnelle qui prend place au-dessus même de la constitution écrite » (61).
Le Professeur Hauriou illustre son propos en se référant à l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 qui déclarait que « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition de révision ». Les principes individualistes proclamés en 1789 interdiraient même au pouvoir constituant de modifier la Constitution si cela devait altérer l’essence de l’État selon Hauriou. Certes, cela ne devait « s’entendre que du principe de chacune des libertés et non des modalités de son organisation, mais cela est déjà important, car cela signifie qu’aucune liberté ne peut être complètement supprimée, soit directement, soit indirectement » (62).
Cette limite à l’action du pouvoir constituant est reprise à l’article 89 de la Constitution de la Ve République. L’obligation de l’intangibilité de la forme républicaine de gouvernement est une notion floue mais il est possible de conclure que les structures essentielles de l’État, telles que la séparation des pouvoirs entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire, le principe de la hiérarchie administrative, le principe du suffrage universel sont des éléments intouchables (63). Est-il possible d’y inclure le principe selon lequel le Président n’a pas de compagnon en son épouse au regard de la théorie de l’État républicain ? De toute façon, la glose sur la portée de l’alinéa 4 de l’article 89 revêt peu d’importance dans la mesure où le Conseil constitutionnel a affirmé qu’il « ne tient ni de l’article 61, ni de l’article 89, ni d’aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle » (64).
B. Une institutionnalisation non nécessaire en raison de la théorie des organes de l’État
La République française fonctionne suivant un schéma organisationnel s’appuyant sur deux idées cardinales : l’élection (le représentant) ou la compétence (l’agent public). Duguit, dan son manuel de droit constitutionnel a dégagé une théorie française des organes de l’État s’articulant autour de trois éléments : « il existe un organe direct suprême qui exprime la volonté même de la Nation, support de la souveraineté ; il existe suivant les époques, un ou plusieurs organes de représentation qui sont les mandataires de la Nation et dont la volonté est comme la volonté même de la Nation ; il existe des agents de l’État qui n’ont point le caractère représentatif, qui expriment une volonté qui est la leur en fait et en droit et qui peuvent faire au nom de l’État valablement des actes juridiques ou régulièrement des actes d’exécution matérielle, à la condition qu’ils interviennent dans les limites de la compétences qui leur est impartie par la loi et en vue du but que la loi a prévu en leur donnant cette compétence » (65).
Cette doctrine repose sur le principe selon lequel l’État est la personnification de la collectivité nationale (66). Par conséquent, la décision étatique n’est juridiquement que la décision de la collectivité elle-même. M. le Professeur Burdeau notamment a vivement critiqué cette opinion car en faisant de la Nation personnifiée en l’État le titulaire de la puissance étatique, la collectivité nationale est de façon concomitante « sujet actif et le sujet passif de la puissance d’État » (67). Le titulaire de la puissance de l’État, ce n’est pas la collectivité nationale mais l’État lui-même dont la concrétisation matérielle du pouvoir passe l’instauration d’une force gouvernante qui doit permettre la légitimation de la puissance étatique.
Aussi, la légitimité du pouvoir étatique suppose une théorie des organes de l’État moderne reposant sur deux critères alternatifs : un mandat de représentation par l’élection ou une mission d’exécution par la compétence (68). À défaut de légitimité tirée de l’élection (une candidature de couple à la présidentielle est inenvisageable), nul besoin de graver dans la charte suprême le statut de l’épouse du Président de la République étant donné que la théorie française des organes de l’État permet de conférer un statut d’agent de l’État à la Première Dame de France sous réserve d’une nomination expresse faite par le chef de l’État.
Ainsi, ne peuvent recevoir la qualité d’organes de l’État que les personnes se soumettant à la loi du suffrage ou les personnes habilitées par une norme à exercer une fonction administratives en vertu de leur capacité. Le droit constitutionnel offre la possibilité au Président de la République de composer à la suite d’une nomination son « entourage ».
Le secrétariat de la Présidence de la République est, lors de sa création sous le « mandat » de Thiers, apparu comme une instance informelle (69). Mais au fur et à mesure de l’histoire des Républiques, la pratique s’institutionnalise au point de s’apparenter à un véritable cabinet ministériel composé d’« une équipe de collaborateurs directs, choisis et nommés par le Président en toute liberté et qui change avec lui » (70). L’entourage présidentiel voit graviter dans sa sphère divers organes nombreux, spécialisés et hiérarchisés tels que le secrétaire général, le chef de l’État major particulier, un conseiller spécial un directeur du cabinet (71). Ce sont des éléments de l’institution de la Présidence de la République. La caractéristique de la « maison présidentielle », outre le poids important de la haute fonction publique et son aspect protéiforme est d’une part que dans un État républicain les liens de sang ou maritaux ne sont pas des critères d’incorporation à ce corps et d’autre part que le Président utilise l’arsenal juridique que lui offre la Constitution (pouvoir de nomination) pour se former son entourage.
Dès lors, sur ce modèle, la « Première dame de France » pourrait parfaitement profiter des prérogatives du Président de la République en ce qui concerne sa nomination à un poste officiel de collaborateur et disposer ainsi d’une existence juridique propre non scellée dans la Charte suprême. Toute institutionnalisation constitutionnelle de l’épouse du Président de la République serait une forme de nomination ex ante alors que dans un régime « semi-parlementaire », il revient « au chef de l’État la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement » (72). Cette réflexion du futur Premier Président de la Ve République vise principalement l’équipe gouvernementale mais elle traduit aussi le fait que le pouvoir de nomination du Président de la République existe à compter de son élection au moment où il devient le délégataire de la souveraineté nationale.
Le processus de juridicisation de l’entourage présidentiel qui est une institution d’initiative humaine qui dure et se réalise grâce au droit dans un milieu social (73), laisse à penser que le même mouvement est enclenché pour l’institutionnalisation de l’épouse du Président de la République.
Il a été dit précédemment que la reconnaissance automatique d’une fonction et d’un titre à la femme du Président serait contraire à la conception républicaine du pouvoir, en revanche, sur le terrain des principes républicains, un chef d’Etat peut parfaitement user de son pouvoir de nomination (74) si l’action de son épouse l’exige pour conférer à son conjoint un statut de collaborateur. C’est la consécration d’un régime juridique spécial qui soulèverait des difficultés en confortant le processus de personnification du pouvoir.
Tant que le rôle de l’épouse du Président de la République reste un rôle de l’ombre, l’absence de statut juridique ne soulève guère de difficultés car les fonctions exercées dans l’ordre administratif sont inexistantes. En revanche, si elle entend sortir des coulisses et débouler sur la scène juridique et politique, un État de droit ne peut tolérer une situation où un proche collaborateur du Président de la République n’emprunte pas les chemins habituels de la nomination post-élection en se prévalant d’une union maritale qui s’apparente à une forme de nomination ante-électoral. L’édifice de la Présidence de la République a longtemps fonctionné selon le principe suivant lequel la place de chacun des conseillers devait se régler dans le plan politique et non dans le plan juridique mais la pratique et la maturation du système républicain a opéré un bouleversement des modes de fonctionnement à l’exception de l’épouse du Président de la République qui n’existe encore et toujours politiquement que de sa seule qualité tirée du droit de la famille.
* * *
La célèbre théorie de Lamarck, « la fonction crée l’organe », trouve un écho particulier en droit constitutionnel. La personne étatique sollicitée par l’action du milieu social, par les nécessités de l’adaptation politique éprouve des besoins spécifiés, c’est-à-dire que la puissance étatique s’adapte à sa fonction, elle se transforme, plus exactement les supports de cette puissance se modifient de sorte que peu à peu la fonction crée l’organe institutionnel lui correspondant. En même temps, l’histoire des Républiques démontre que chaque Président a ajusté son costume en fonction de ses ambitions politiques, de sa conception du pouvoir et du rapport de force politique.
Le renversement de la formule de Lamarck, c’est-à-dire l’organe crée la fonction, tend à correspondre au processus d’institutionnalisation de l’épouse du Président de la République, c’est l’organe qui préexiste à la fonction. Loin de toute considération juridique, il faut alors accepter que l’homme qui accède à la présidence de la République est un être fait de chair et de sentiment et que, dans l’expérience de la vie politique, il est assisté de son épouse pour accomplir les diverses fonctions qui lui sont dévolues par la Constitution. Même dans l’hypothèse d’une reconnaissance juridique de l’épouse du Président de la République, l’encadrement de la relation de pouvoir entre ces deux organes de la République par le droit ne sera jamais total car il est des rapports humains qui ne sont pas des objets saisissables entièrement par le droit.
Index:
(51) V. B. VONGLIS, La monarchie absolue française, L’Harmattan, Paris, 2006.
(52) Sur cette question, v. F. OLIVIER-MARTIN, L’absolutisme français, éd. Loysel réimp. 1988, p. 38 et s.
(53) Idem., p. 48 et s.
(54) Idem., p.82.
(55) Idem., p. 83.
(56) Propos de DU CHESNE rapportés par F. OLIVIER-MARTIN, L’absolutisme français, op. cit., p. 87.
(57) R. MOUSNIER, Les institutions de la France sous la monarchie absolue, tome 1, PUF 1974, p. 518.
(58) LE BRET, Souveraineté, I, p.42.
(59) G. BURDEAU, Traité de science politique, tome 2, LGDJ 1980, p. 350.
(60) Entretiens de Dijon, La personnalisation du pouvoir, 1964, CERPUD, PUF.
(61) M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, 1923, p. 296.
(62) Idem., p. 298.
(63) M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, 1923, p. 318.
(64) Cons. Const., déc. n° 2003-469 DC du 26 mars 2003.
(65) L. DUGUIT, Manuel de droit constitutionnel, 4e éd, réed., éd. Panthéon-Assas, 2007, coll. Les introuvables, p. 137.
(66) A. ESMEIN, « Éléments de droit constitutionnel français et comparé », Sirey, 1914, pp. 1-9.
(67) G. BURDEAU, Traité de science politique, tome 2, LGDJ 1980, p. 334.
(68) Sur la conception restrictive de la notion d’organe, v. C. DE MALBERG, Contribution, tome II, p. 386.
(69) Sur la difficile émergence du secrétariat général civil de la présidence de la république, v. G. LE BEGUEC, « Les entourages des chefs de l’État sous les IIIe et IVe République », Histoire@Politique. Politique, culture, sociétés, n° 8, mai-août 2009, histoire-politique.fr.
(70) Y. CANNAC, « La machine élyséenne 1974-1981 », in S. BERSTEIN, R. REMOND et J.-F. SIRINELLI (dir.), Les années Giscard. Institutions et pratiques politiques, 1974-1978, Paris Fayard, 2003, p. 90.
(71) V. arrêté du 19 mars 2008 portant nomination à la présidence de la république.
(72) Discours de Bayeux du Général De Gaulle du 16 juin 1946.
(73) M. HAURIOU, « La théorie de l’institution et de la fondation. Essai de vitalisme social », in « Aux sources du droit : le pouvoir, l’ordre et la liberté », Cahiers de la nouvelle journée, n° 23.
(74)Article 13 et 14 de la Constitution de 1958.
Cet article n'engage que son auteur.
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