Avocats au Barreau de Nice
Le secret professionnel de l'avocat: entre contrainte et privilège

Le secret professionnel de l'avocat: entre contrainte et privilège

Auteur : CHARLES-NEVEU Brigitte
Publié le : 23/06/2010 23 juin juin 06 2010

La relation entre l’avocat et le secret professionnel traduit toute l’ambivalence de la fonction de l’avocat. Défenseur de son client, l’Avocat est tout à la fois le dépositaire de ses confidences et, le maître des limites du secret.

L'obligation au secret et les limites de cette obligation

Défenseur de son client, l’Avocat est tout à la fois le dépositaire sacré de ses confidences (A) et, dans une certaine mesure, le maître des limites du secret (B).


A - L’obligation au secret

1. La jurisprudence a, de longue date, appliqué aux avocats les dispositions de l’actuel article 226-13 du Code Pénal qui sanctionne la divulgation, par un professionnel, d’informations confidentielles (1)

Les textes réglementant le statut de la profession ont expressément rappelé cette obligation (2). Notamment, l’article 66-5 de la loi du 31.12.1971 précise les spécificités du secret professionnel de l’avocat (modifié en 2009, pour tenir compte de la loi sur la fiducie)

Enfin, le règlement intérieur national de la profession en définit l’étendue (3).

Le non respect de cette obligation au secret expose l’avocat à de lourdes sanctions : sanctions pénales, civiles, et disciplinaires.

Le secret est également protégé au titre de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, particulièrement par les articles 6 (procès équitable), 8 (respect de la vie privée), 10 (restrictions admises à la liberté d’expression).

Quelques règles spécifiques ont été introduites pour concilier la protection du secret et le libre exercice de la profession, notamment en matière de marchés publics de services juridiques, de publicité (4) et, plus récemment, pour l’avocat « fiduciaire » (5).


2. Mais c’est surtout en matière de perquisitions et saisies au cabinet de l’avocat et de lutte contre le blanchiment que ce sont dégagées des règles spécifiques à la profession.

L’article 56-1 du code de procédure pénale encadre très strictement les perquisitions et saisies effectuées dans un cabinet d’avocat (décision d’un magistrat, présence du Bâtonnier ou de son délégué, motivation, information préalable du Bâtonnier, lequel peut s’opposer à la saisie de certains documents, …)

Ces garanties doivent profiter, en France, à un avocat inscrit à un barreau étranger (6)

Les arrêts rendus par la Cour Européenne des Droits de l’Homme les 21 février 2008 (Ravon) et 24 juillet 2008 (André) ont fustigé l’insuffisance de garanties dans la mise en œuvre des perquisitions et saisies chez l’avocat, notamment par l’administration fiscale…

Par ordonnance (frappée de pourvoi) du 21 janvier 2010, le Premier Président de la Cour d’Appel de Paris a annulé partiellement la saisie par l’administration fiscale de fichiers informatiques contenant des courriers échangés entre un avocat et son client.

En matière de lutte contre le blanchiment et financement d’activités terroristes, plusieurs directives ont fait l’objet de textes de transposition, critiqués et attaqués en raison des atteintes portées au secret professionnel de l’avocat (7)

Il en résulte désormais que sont exclues du champ des obligations d’information et de coopération les informations reçues ou obtenues par les avocats tant dans le cadre de leur activité juridictionnelle que de conseil.

L’obligation ne vaudrait en définitive que pour des activités qui ne correspondent pas à la définition traditionnelle des missions de l’avocat, ou pour la participation directe ou indirecte de l’avocat à une opération de blanchiment !

Enfin, le Bâtonnier joue le rôle de « filtre » pour les déclarations de soupçon, demandes de pièces, saisine du Parquet, … Il n’y a donc pas de contact direct de l’avocat avec la cellule TRACFIN.


B/ Les limites de l’obligation au secret

Il est clair qu’en dehors de l’exercice de ses fonctions, l’Avocat n’est pas tenu au secret (voir notamment Cass. Crim. 2 mars 2010 n° 09-88.453 (révélations faites par une avocate à sa collaboratrice à titre amical et non dans l’exercice de son activité).

Dans l’exercice de ses fonctions, les limites apportées au secret sont diverses et dépendent dans une certaine mesure de l’avocat lui-même :

1. La maîtrise de la défense libère l’Avocat du secret : En effet, l’avocat - porte parole de son client – choisit ce qu’il convient de révéler pour assurer le plus efficacement sa défense. La mission de l’avocat consiste précisément à opérer ce choix en fonction de la stratégie procédurale arrêtée.

La première particularité du secret professionnel de l’avocat tient donc au fait que les informations qui lui sont livrées sous le sceau de la confidence sont, au moins pour partie, destinées … à être divulguées !

2. En ce qui concerne certains crimes, la liberté de conscience de l’Avocat lui permet de se taire sans s’exposer aux sanctions prévues aux articles 434-1 et 3 du Code Pénal qui incrimine la non dénonciation de crimes au titre de l’entrave à la saisine de la justice (dispositions analogues pour les médecins), ou de dénoncer sans s’exposer au délit de violation du secret…

3. Mais le point le plus délicat est assurément celui des « nécessités de la Défense ».

Les textes applicables à la profession d’avocat prévoient d’assouplir les contraintes liées à l’obligation au secret dans deux séries d’hypothèses :

- d’une part lorsqu’il s’agit pour l’avocat d’assurer sa propre défense, par exemple dans un litige l’opposant à un ancien client (action en responsabilité civile professionnelle, contestation d’honoraires, …), ce qui ne fait guère difficulté. Cette hypothèse est expressément réservée par l’article 4 du décret de 2005 et par l’article 2.1 al.3 du RI.N.

- d’autre part, lorsque les nécessités de la défense du client l’amènent à produire des informations ou des pièces qui sont normalement protégées par le secret, le sien (violation directe) ou celui des autres (recel).

En dehors des hypothèses de dérogation légale comme celle de l’article 259-3 du Code Civil (divorce, recherche à la demande du juge auprès des débiteurs ou détenteurs de valeurs pour le compte des époux), la question des nécessités de la défense se révèle extrêmement délicate.


Pour la Cour de Cassation, cette question relève de l’appréciation souveraine des juges du fond … ce qui place l’avocat devant un véritable dilemme : privilégier la défense du client ou sa propre sécurité ! (8)


L’examen des décisions rendues révèle d’inévitables divergences entre les juridictions de fond, plaçant l’avocat dans une situation particulièrement inconfortable.

La recherche d’une solution uniformisée s’imposerait.



Index:
(1) Article 226-13 du Code Pénal : la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende
(2) Article 160 du décret du 27.11.1991 repris par le décret n° 20056790 du 12 juillet 2005 (déontologie de la profession) modifié par décret n° 2007-932 du 16.05.2007, article 4 : sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel.
(3) R.I.N., Article 2.1 : L’avocat est le confident nécessaire du client.
Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps.
Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de révélation ou de déclaration prévues ou autorisées par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel.
Article 2.2 : le secret professionnel couvre en toute matière, dans le domaine du conseil ou de la défense et quels qu’en soient les supports, matériels ou immatériels (papier, télécopie, voie électronique, …) : (consultations, correspondances, notes, agenda, comptabilité, …)
Article 2.3 : l’avocat doit faire respecter le secret par les membres du personnel de son cabinet et par toute personne qui coopère avec lui dans son activité professionnelle. Il répond des violations du secret qui seraient ainsi commises. (idem entre associés y compris de moyens)
(4) Limitation et encadrement de la publicité : voir avis commission règles et usages du CNB du 11.01.2008
(5) Loi dite de modernisation de l’économie du 4 août 2008 – Pour la compatibilité de la profession d’avocat avec l’exercice de la fonction de correspondant informatique et libertés (CIL), voir rapport au CNB du 14.03.2009.
(6) CEDH 21.01.2010 Da Silvera/ France
(7) La directive du 10 juin 2001, modifiée par celle du 4 décembre de la même année, a été transposée par le décret du 26 juin 2006, partiellement annulé par décision du Conseil d’Etat du 10 avril 2008 notamment à la requête du CNB.
La directive du 26 octobre 2005 (3ème dir.) a été transposée par l’ordonnance du 30 janvier 2009, ratifiée par la loi du 12 mai 2009 ; les décrets d’application sont intervenus les 6 et 18 janvier 2010 (plus circulaire d’application du 14 janvier) et font l’objet d’un recours par le CNB.
Voir également l’important arrêt a été rendu par la CJCE (aujourd’hui CJUE) le 26 juin 2007 (Ordres des Barreaux francophones et germanophones).
(8) Voir notamment : Cass. Crim. 14.10.2008 n°07-88.459 : l’avocat de la partie civile qui communique dans le procès civil des pièces tirées du dossier d’instruction nécessaires aux besoins de la défense ne commet pas de violation du secret (mais l’avocat de la PC n’est pas tenu au secret de l’instruction)

Cass. Crim. 28.10.2008 : la communication à la presse par l’avocate de la partie civile d’un rapport d’expertise se trouvant dans le dossier d’instruction pénale n’est pas justifié par les nécessités de la défense ; il y a donc violation du secret prof.

Cass.Crim. 9 juin 2009 : le fait pour le salarié de photocopier des documents appartenant à l’entreprise et de les produire dans une instance pénale en diffamation constitue un vol qui n’est pas justifié par les droits de la défense (revirement sur Cass. Crim. 11.05.2004)… alors que la chambre sociale considère qu’il n’y a pas vol si les documents sont produits dans le cadre d’un litige prud’homal entre employeur et employé…

Cass. Crim. 05.01.2010 : production par l’avocat du mari de coordonnées de compte bancaire de l’épouse et de relevés de carrière et d’honoraires dans le cadre du divorce= violation du secret professionnel

Cass. Crim. 19.01.2010 n°09-84.408 : la production – pour les nécessités de la défense d’une personne poursuivie en diffamation – de pièces couvertes par le secret professionnel n’a pas à être écartée …

Cass. Com. 19.01.2010 n°08-19761 : le respect des droits de la défense ne justifie pas la production, dans un procès civil, d’informations ou pièces issues d’une procédure devant l’Autorité de la concurrence.





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © Artsem Martysiuk - Fotolia.com

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