Affaire Tapie (5) : que penser de la décision de relaxe ?
Auteurs : BOTTIN Matthieu, NEVEU Pascal
Publié le :
16/07/2019
16
juillet
juil.
07
2019
Lire les articles précédents :
- Affaire Tapie (1) : Suite et enfin... fin ? 25/06/2018
- Affaire Tapie (2): Les sociétés GBT et FIBT étaient-elles éligibles à la procédure de sauvegarde ? 10/07/2018
- Affaire Tapie (3) : Un plan de sauvegarde commun aux 2 sociétés pouvait-il régulièrement être arrêté ? 16/07/2018
- Affaire Tapie (4) : Le sort de sauvegarde après l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris. 08/01/2019
On peut d’ailleurs dire que ce procès était celui « qui ne devait pas avoir lieu » du moins si le (trop) fameux arbitrage n’avait pas été annulé in extremis dans des conditions procédurales « acrobatiques » (un procès en révision…).
L’accusation s’était donc félicitée de sa tenue mais le jugement de relaxe qui vient d’être rendu a douché sérieusement cet enthousiasme et, depuis, le Parquet s’est tenu dans un silence que l’on pourrait qualifier de « glaçant ». A tel point qu’aujourd’hui encore, on ne sait si le Parquet fera appel de cette décision alors qu’il le fait presque toujours lorsque des prévenus, contre lesquels il a requis de lourdes charges, ont été relaxés.
Sans doute, ce silence embarrassant s’explique-t-il par l’absence d’instruction claire de sa hiérarchie : précisément, la hiérarchie ne peut donner d’instruction dans un procès précis, ce pourquoi l’intervention du garde des sceaux est très choquante, la garde des Sceaux étant intervenue elle-même à la surprise générale pour déclarer que cette appel « ne serait pas forcément logique »[2]. Cette position ajoute une certaine confusion dans cette affaire qui n’en avait pas besoin[3].
A l’inverse cette décision de relaxe a été saluée par la défense avec un bruit assourdissant et même un peu dérangeant car presque dépourvu de toute contradiction.
Bien sûr, il est parfaitement normal pour une défense, qui a consacré beaucoup d’énergie et de talent pour parvenir à ce résultat, d’exprimer avec éclat ce succès formidable qui semble même l’avoir un peu surpris…
Cependant, saluer « l’indépendance » et « le courage » des magistrats qui ont rendu la décision apparaît un peu excessif d’autant que la défense a ajouté que ces magistrats avaient statué en droit.
Les magistrats du Tribunal correctionnel de Paris avaient-ils un autre choix ? Les magistrats qui ont rendu les décisions précédentes s’étaient-ils écartés du droit ?
Il est donc difficile, du moins à travers de telles postures, de se faire une idée concrète sur la solidité de ce jugement.
Certes un procès, de surcroît pénal, ne doit jamais être fait pour l’exemple, mais pour établir une éventuelle culpabilité. Sur ce plan, il est vrai qu’on reste un peu sur sa faim car l’audience non seulement n’avait pas été décisive mais n’avait pas apporté de grande nouveauté à ce que l’on savait déjà.
Toutefois, le dossier d’instruction était très complet et les preuves de la commission des infractions apparaissaient déjà réunies avant même son ouverture.
C’est du moins ce qu’a soutenu l’accusation en s’appuyant sur les décisions qui avaient rétracté la décision d’arbitrage en dénonçant une fraude masquée par un simulacre d’arbitrage.
Cette présentation a été, sans surprise, dénoncée par la défense qui a stigmatisé la position de l’accusation en la qualifiant de thèse « complotiste »… Mais en définitive c’est bien elle qui a été entendue.
La lecture de cette longue décision (plus de deux cents quarante pages) laisse toutefois le commentateur dubitatif et même insatisfait.
Un examen de cette décision requiert donc une attention particulière mais à première vue on peut émettre plusieurs réserves et même des critiques assez évidentes, qui n’ont pas manqué d’être déjà soulignées, le premier moment de surprise passé.
La première porte sur le choix fait par le Tribunal de ne retenir que l’infraction d’escroquerie alors que les réquisitions du Parquet offraient plusieurs choix d’infractions et notamment celle de détournement de fonds publics.
On pourrait même voir dans ce choix un moyen d’affaiblir l’accusation, car les commentateurs les plus avertis avaient déjà souligné que la démonstration de manœuvres frauduleuses par le Parquet serait le point le plus délicat du dossier.
Par ailleurs, la motivation du jugement destinée à justifier ce choix n’apparaît pas elle-même à l’abri de toute critique car elle semble élargir le principe non bis in idem pour justifier l’unité de qualification. Ce point plus technique sera développé ultérieurement.
Mais même sur le seul terrain de l’escroquerie, le jugement de relaxe peine à convaincre, du moins pour les prévenus les plus en vue car il contredit les précédentes décisions rendues pour invalider ce fameux arbitrage.
Pour tenter de développer une analyse un peu plus consistante, il est nécessaire d’entrer dans ce procès tentaculaire et d’en retracer le cours au travers des informations, des pièces, des actes de procédure, ou encore des commentaires qui ont été relatés ou évoqués dans les revues juridiques les plus sérieuses et dans la presse[4].
Pour tenter de donner à cet exercice une présentation plus académique, on tentera donc de refaire une relation de l’audience au travers de ses personnages et de ses acteurs, selon ce qu’ils ont dit ou n’ont pas dit, ou que le dossier révèle.
Puis, on prolongera cette relation en confrontant les réponses apportées par le Tribunal pour justifier sa décision de relaxe.
Dans le souci de rendre la lecture de ce texte (sans doute trop long) plus attractive et plus divertissante, on développera le propos au travers de quelques réflexions impertinentes, qui ne sont donc pas par nature objectives (I).
Ensuite on cherchera à savoir, au travers d’une discussion juridique plus technique et plus rigoureuse, si la motivation du jugement appelle à des réserves ou même de sérieuses critiques (II).
Enfin on donnera une impression générale sur ce dossier qui a un fort parfum de IIIème République (III).
>> Lire la suite de cet article ici <<
Cet article n'engage que ses auteurs.
[1] Prévu à l’origine jusqu’au 5 avril 2019, il s’est donc terminé avec un jour d’avance sans doute en raison des nombreuses absences, notamment des témoins.
[2] Intervention sur France 2 le mercredi 10 juillet 2019 et diverses radios.
[3] Le suspense sera de courte durée puisque l’appel du Parquet doit être formé à peine d’irrecevabilité dans les 10 jours.
[4] Thomas Clays, « Au tapis ! », éd. Dalloz, 26 fév. 2015 ; Cette relation est apparue dans de très nombreux journaux et revues qui seront cités ci-après mais également sur Mediapart qui a publié en pièce jointe à ses nombreux articles le réquisitoire du parquet (203 pages) et l’ordonnance de renvoi (303 pages) et la revue Dalloz lui a aussi consacré plusieurs autres articles.
Historique
-
Affaire Tapie (7) : La parole à Bernard Tapie
Publié le : 18/07/2019 18 juillet juil. 07 2019Actualités du cabinetEntreprises / Contentieux / Justice commercialeLire les articles précédents : Affaire Tapie (1) : Suite et enfin.....
-
Délai et forme imposés à l’intimé pour réaliser un appel provoqué
Publié le : 16/07/2019 16 juillet juil. 07 2019Particuliers / Consommation / ProcéduresIl s’agit là d’une question historique puisque le décret n° 2017-891 du 6 mai...Source : www.eurojuris.fr
-
Affaire Tapie (6) : L'audience et les réponses apportées par le Tribunal
Publié le : 16/07/2019 16 juillet juil. 07 2019Actualités du cabinetEntreprises / Contentieux / Entreprises en difficultés / procédures collectivesLire les articles précédents : Affaire Tapie (1) : Suite et enfin.....
-
Affaire Tapie (5) : que penser de la décision de relaxe ?
Publié le : 16/07/2019 16 juillet juil. 07 2019Actualités du cabinetEntreprises / Contentieux / Justice commercialeLire les articles précédents : Affaire Tapie (1) : Suite et enfin.....
-
La France condamnée à payer 20 000 euros de dommage moral au requérant blessé lors de son interpellation par la police
Publié le : 02/07/2019 02 juillet juil. 07 2019Collectivités / International / Droit Européen / Droit communautaireCommentaire de l'arrêt CEDH 23 mai 2019, Chebab c. France, req. n° 542/13:...Source : www.eurojuris.fr
-
La clause pénale : clause souple mais limitée
Publié le : 01/07/2019 01 juillet juil. 07 2019Entreprises / ContentieuxParticuliers / Civil / Pénal / Procédure pénale / Procédure civileLa clause pénale, régie par l’article 1231-5 du code civil, est la clause par...Source : www.eurojuris.fr
-
La nouvelle théorie de l'imprévision des contrats et la possibilité de renégocier les contrats
Publié le : 01/07/2019 01 juillet juil. 07 2019Entreprises / Marketing et ventes / Contrats commerciaux/ distributionL’article 1195 du code civil est une nouveauté du code civil. Il définit l’im...Source : www.eurojuris.fr
-
Congé avec offre d'indemnité d'éviction et prescription de l'indemnité d'occupation
Publié le : 26/06/2019 26 juin juin 06 2019Particuliers / Patrimoine / Immobilier / LogementCommentaire d'arrêt : Cour de cassation, Chambre civile 3, 14 mars 2019 n°18-...Source : www.eurojuris.fr
-
Rupture conventionnelle : le plus important c’est le consentement !
Publié le : 24/06/2019 24 juin juin 06 2019Entreprises / Ressources humaines / Contrat de travailAu gré des années, la Cour de Cassation a affiné sa jurisprudence concernant...Source : www.eurojuris.fr
-
La médiation, une solution alternative pour le règlement des conflits de voisinage nés d’un projet de construction
Publié le : 21/06/2019 21 juin juin 06 2019Entreprises / ContentieuxParticuliers / Consommation / ProcéduresCommentaire de la Loi ELAN n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 et CAA Versailles...Source : www.eurojuris.fr
-
La nouvelle place des modes amiables de résolution des litiges dans la réforme de la justice
Publié le : 21/06/2019 21 juin juin 06 2019Particuliers / Consommation / ProcéduresLa loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme d...Source : www.eurojuris.fr
-
Responsabilité pénale : Mark Zuckerberg est-il un directeur de la publication comme les autres ?
Publié le : 20/06/2019 20 juin juin 06 2019Particuliers / Civil / Pénal / Procédure pénale / Procédure civileMark Zuckerberg est-il un Directeur de la publication comme les autres ? Libr...Source : www.eurojuris.fr
-
Location : un salon-séjour constitue-t-il deux pièces habitables ?
Publié le : 18/06/2019 18 juin juin 06 2019Particuliers / Patrimoine / Immobilier / LogementCour de cassation, civile, Chambre civile 3, 14 mars 2019, 18-11.409 En...Source : www.eurojuris.fr
-
La peine de travail d’intérêt général présuppose l'accord du prévenu et ne peut donc déroger à la motivation de la peine
Publié le : 14/06/2019 14 juin juin 06 2019Particuliers / Civil / Pénal / Procédure pénale / Procédure civileL’accord préalable de la personne concernée au prononcé d’un travaux d'intérê...Source : www.eurojuris.fr
-
La marchandisation du domaine public : quel point commun entre le domaine de Chambord et la bière Kronembourg ?
Publié le : 14/06/2019 14 juin juin 06 2019Collectivités / Services publics / Service public / Délégation de service publicL'on sait que l'article L711 – 4 du code de la propriété intellectuelle autor...Source : www.eurojuris.fr